Margaret Thatcher 1925-2013 - Le néolibéralisme incarné

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« Elle a laissé en héritage la division, l’égoïsme et un culte de la cupidité, qui, ensemble, enchaînent l’esprit humain ». The Guardian

Plus de vingt-deux ans après avoir quitté le 10, Downing Street, Margaret Thatcher, qui est décédée lundi, suscite toujours la controverse et les passions.
Comme pour le président américain Ronald Reagan, on a forgé un néologisme, le « thatchérisme », pour désigner son héritage politique, social et économique. Celui-ci est surtout fait de conservatisme social et de libéralisme économique.
Peut-être davantage que le président américain précité, Margaret Thatcher a incarné les idées dites « néolibérales », qui couvaient depuis des lustres au sein des groupes de réflexion de la droite et qui, une fois mises en oeuvre, ont radicalement changé le visage de l’Occident : déréglementation, privatisations, réduction draconienne des services sociaux, etc.
Au-delà des clichés de circonstance, les hommages les plus sentis sont d’ailleurs venus des politiciens qui appartiennent à sa famille idéologique ou qui se réclament carrément d’elle, dont son successeur, David Cameron, et le premier ministre canadien, Stephen Harper.
Le premier ministre conservateur britannique est allé jusqu’à dire que la Dame de fer avait « sauvé » le Royaume-Uni. Il est vrai que les finances britanniques étaient précaires à la fin des années 1970. « Margaret Thatcher a aidé le pays à se redresser. Nous ne pouvons pas nier qu’elle divisait l’opinion. Pour beaucoup d’entre nous, elle était et restera une inspiration. Pour d’autres, elle était une force à défier », a également dit David Cameron.
Pour Stephen Harper, Mme Thatcher a « défini l’essence même du conservatisme contemporain ». « Avec la disparition de madame la baronne Thatcher, le monde a perdu une géante parmi les dirigeants mondiaux », a déclaré le chef du gouvernement canadien dans un communiqué.
L’ancienne première ministre britannique a explicité ses opinions politiques et économiques dans ses mémoires intitulés The Path to Power (Les chemins du pouvoir), publiés en 1995. « Le gouvernement doit créer le cadre approprié (une monnaie forte, des impôts peu élevés, une réglementation allégée et des marchés flexibles, dont le marché du travail) pour assurer la croissance de la prospérité et de l’emploi », a-t-elle écrit.
Les opinions sur les résultats du thatchérisme sont loin d’être unanimes. Ainsi, l’historien Gil Troy, de l’Université McGill, a déclaré lundi à La Presse canadienne : « Elle a commencé une révolution qui a défini les années 1980, que Ronald Reagan a suivie, que Brian Mulroney a suivie. »
En revanche, le militant britannique des droits de la personne Peter Tatchell, cité par l’Agence France-Presse, a estimé que Mme Thatcher « n’a montré aucune empathie pour les victimes de sa politique dure et sans pitié ». Selon lui, elle a mis en place, avec ces politiques ultralibérales, « le programme qui a mené à la crise économique actuelle ».
Bon nombre d’économistes d’obédience sociale-démocrate ou keynésienne affirment que la dérégulation du secteur financier, en favorisant les placements à risque, a mis en péril des banques, plusieurs n’évitant la faillite que grâce à une aide massive de l’État en 2008.
Le syndicat britannique des mineurs, qui avait subi de front les rigueurs du thatchérisme en 1984 et 1985, a déclaré dans un communiqué : « Le dommage causé par ses politiques fatalement erronées persiste », ajoutant : « Bon débarras. »
Sous Mme Thatcher, l’État s’est départi de ses participations dans plusieurs entreprises : outre les mines, il faut mentionner les télécommunications, le transport ferroviaire, l’aéronautique et l’automobile (Rolls-Royce). Dans le cadre des privatisations, elle a favorisé avec un certain succès le développement de l’actionnariat.
Mme Thatcher voulait faire du Royaume-Uni une « société de propriétaires ». À cette fin, elle a également vendu de nombreux logements sociaux à leurs occupants.
La ligne dure qu’elle a suivie, aussi bien sur le front intérieur que pendant le conflit en Irlande du Nord ou qu’à l’encontre de l’Argentine dans celui des îles Malouines-Falkland, lui a valu, dans plusieurs milieux, une réputation peu enviable. La Dame de fer a été vertement dénoncée dans les paroles assassines de la chanson Miss Maggie de Renaud, en 1985. D’autres artistes populaires, au Royaume-Uni même, n’ont guère été plus tendres envers elle : The Clash, The Exploited, The Smiths, entre autres.
Margaret Thatcher a lancé dans le monde financier ce qu’on a convenu d’appeler le « Big Bang », un programme de déréglementation qui a certes profité à la City, le quartier financier de Londres, et qui s’est accompagné d’une croissance économique enviable pendant une bonne partie de son « règne ».

«L’ère de la cupidité»
Ses politiques, basées sur la liberté du marché et résolument anti-keynésiennes, étaient souvent dirigées contre les syndicats, dont elle estimait le pouvoir excessif au Royaume-Uni. Quand le Parti travailliste, rebaptisé New Labour, a été reporté au pouvoir en 1997 sous la direction de Tony Blair, elles ont été en grande partie maintenues.
Les critiques de Mme Thatcher notent que les disparités entre les Britanniques plus riches et les autres se sont creusées pendant son passage au 10, Downing Street, et dans les années qui ont suivi.
D’aucuns affirment qu’elle a inauguré « l’ère de la cupidité ». C’est le cas du quotidien The Guardian, dont l’éditorial est sous-titré : « Elle a laissé en héritage la division, l’égoïsme et un culte de la cupidité, qui, ensemble, enchaînent l’esprit humain ». Le quotidien britannique de gauche rend hommage à la personnalité combative de la première, et à ce jour la seule, femme à avoir dirigé un gouvernement au Royaume-Uni.
En politique étrangère, Margaret Thatcher a suivi une politique de fermeté face à l’Union soviétique pendant la guerre froide, condamnant notamment l’invasion de l’Afghanistan en 1979. Elle a entretenu des relations très cordiales avec le dictateur chilien Augusto Pinochet.
Sa politique européenne a été critiquée, non seulement sur le continent, mais également au sein de son parti, ce qui a contribué même à sa chute en 1990.
L’ancien président français Valéry Giscard d’Estaing, a dit garder « un bon souvenir » de « l’indomptable » Margaret Thatcher, dotée selon d’une « volonté inébranlable », mais n’ayant « pas beaucoup de considération pour ses interlocuteurs ». Son fils, Louis Giscard d’Estaing, qui est candidat à une élection partielle et qui était de passage à Montréal lundi, a parlé d’une « personnalité marquante de l’Europe » et de « quelqu’un qui aura développé un concept spécifique de la vision européenne que je ne peux partager en tant qu’Européen convaincu ».
C’est surtout la poll tax, une mesure fiscale forfaitaire très injuste pour les citoyens les plus pauvres, qui a finalement précipité la chute de la Dame de fer en 1990. Entrée en vigueur l’année précédente, elle a provoqué des émeutes dans le centre-ville de Londres.


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