Maquillage

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L'évasion fiscale dans toute sa splendeur... fardée !

La scène pourrait sortir tout droit de l’oeuvre de Michel Tremblay. Voici la femme du boulanger, la mère du petit Eugène Schueller, qui montre un jour du doigt la voisine et dit, sur un ton grave : « Elle se teint les cheveux ! Nous qui croyions que c’était une honnête femme ! »

Cet art du faux-semblant devient pourtant le centre de la vie d’Eugène, fondateur du groupe L’Oréal en 1909, aujourd’hui plus grand groupe de cosmétiques au monde.

L’Oréal exerce son contrôle sur une multitude de marques, dont Vichy, La Roche-Posay, Lancôme, Biotherm, Yves Saint Laurent Beauté, Maybelline, Giorgio Armani, Ralph Lauren, Guy Laroche et The Body Shop.

L’avalanche continuelle de nouveaux produits proposés par toutes les marques du genre s’appuie souvent sur les mêmes ingrédients. Un certain nombre, par exemple les acrylates et les silicones, sont potentiellement nocifs pour l’environnement. D’autres peuvent altérer la santé de leurs utilisateurs, notamment les colorants azoïques du maquillage ou des agents de conservation comme les parabènes.

Quoi qu’il en soit, l’art industriel de la beauté conduit un pouvoir financier immense en s’appuyant sur le bas prix de revient de ses produits par rapport à leur prix de vente, toujours soutenu par une publicité tapageuse.

On n’a pas idée à quel point rapporte le commerce des apparences de la beauté toute lisse. Cette industrie a produit des familles royales ou tout comme. La fortune de Liliane Bettencourt, fille et héritière du fondateur de L’Oréal, s’élève à au moins 30 milliards de dollars, ce qui en fait la femme la plus riche du monde.

Sous l’emprise du grand règne de la beauté, dans un gentil souci d’achat de produits nationaux, supposons que je décide de m’approvisionner chez Lise Watier. Au comptoir des cosmétiques de ma pharmacie, une charmante jeune femme répond à toutes mes questions. Il me faut d’abord une base, me dit-elle avec un sourire blanc, sorte de gelée qui permet d’appliquer ensuite un correcteur, question de camoufler « les imperfections », cernes et autres marques offertes gratuitement par le passage du temps. Ensuite, prenez dans votre panier une poudre pour fixer le correcteur, égaliser le teint et couper la brillance. Puis un fard, selon votre carnation. On s’occupe alors de mes sourcils : crayon ou encore poudre appliquée avec un pinceau spécifique. Ne surtout pas négliger l’oeil : le traceur liquide ou le crayon noir sont des indispensables, ainsi que le mascara, puisque le fait d’allonger les cils et de leur donner un effet fourni « ouvre le regard ». On finira par le rouge des lèvres. Facture : environ 300 $. Sans compter les parfums, crèmes et émulsions diverses. Multipliez cette somme par des centaines de milliers d’achats du même type, comptez en souriant et partez tout de suite pour la Barbade.

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On a parlé avec beaucoup de douceur et de candeur de cette histoire d’évasion fiscale de Lise Watier dans la mer des Caraïbes. Après tout, rappelait Radio-Canada, il s’agit d’une activité légale. Rien à voir avec les allégations d’affaires financières douteuses dont on suspecte sans cesse les héritiers de L’Oréal.

Serait-on plus courtois pour la finance qu’en France ? Le 19 décembre 2013, le pays des érables a fait disparaître une contrainte légale qui forçait les sociétés canadiennes à faire en sorte que les décisions de leur filiale de la Barbade soient effectivement prises là-bas. Or ce serait, si j’ai bien compris, parce que Lise Watier aurait fait hier ce qui est tout à fait légal aujourd’hui qu’elle subirait des tracasseries. La pauvre.

En 1990, les entreprises canadiennes comptaient 11 milliards de dollars en circulation à la Barbade. En 2013, c’était 60 milliards : une croissance de 1500 %. L’évasion fiscale à la Barbade s’est développée avec la pleine collaboration de l’État canadien. J’appelle Alain Deneault, auteur de Paradis fiscaux : la filière canadienne (Éditions Écosociété). « Comme d’habitude, dit-il, le Canada fait la lutte à la fraude fiscale en légalisant aujourd’hui ce qui relevait d’un méfait hier. »

Contrairement à ce qu’on imagine, ce ne sont pas des fonds qui s’empilent peu à peu à la Barbade, mais de l’argent qui circule sans cesse, comme de l’eau qui coule dans un bassin, jamais la même mais toujours semblable. Après avoir fait trois petits tours, l’argent envoyé là-bas repart se faire cajoler ailleurs. Dans le cas de Lise Watier, révélateur de tout un système, ses billets de banque quittaient leurs vacances au soleil pour mieux continuer de dorer en Alberta, autre espace riche pour qui aime profiter de taxations pauvres.

Rien d’illégal… Mais tandis qu’on laisse pareille légalité mouliner en toute quiétude, ce sont toujours des dizaines de milliards de dollars qui ne sont pas imposés au moment où l’État réclame plus de sacrifices encore de tous ceux qui n’auront jamais le loisir de jouir de ces libertés conçues pour les riches.

Mme Watier ne cache pas que ce genre d’opération soit fait pour échapper à l’impôt, mais elle ajoute tout de go, avec un remarquable culot, que « ça fait ça de plus que je peux donner à mes oeuvres ».

Voici donc une bonté d’un nouveau genre : enlever d’abord son dû à l’État pour faire croire ensuite qu’on a la grandeur d’âme de suppléer à sa faiblesse en le remplaçant à la pièce, selon ses seuls intérêts personnels, avec son nom toujours bien gros placé au fronton d’une fondation. Que voilà du beau maquillage digne du règne de la beauté.


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