Macron anti-social… mais sans opposition : et si la diversité ethnique et culturelle était venue à bout de l’égalitarisme à la française ?

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L'homogénéité culturelle et ethnique favorise la solidarité

Les enquêtes d’opinion ne cessent de montrer que les Français trouvent la politique menée par le président injuste et pourtant, aucun opposant n’en bénéficie vraiment. La clé du mystère pourrait se trouver dans la thèse développée par des universitaires d’Harvard sur l’impact de l’immigration sur les modèles sociaux des pays développés.

 


Atlantico : Trois économistes, Philippe Aghion, Philippe Martin et Jean Pisani-Ferry ont rédigé une note critiquant l'absence de dimension sociale de la politique économique d'Emmanuel Macron, et ce, malgré leur soutien initial au candidat LaREM. Une situation qui vient encore conforter l'image d'un « président des riches » qui colle au résident de l'Elysée. Pourtant, malgré l'érosion de la popularité d'Emmanuel Macron dans les sondages, ce contexte ne semble pas profiter à l'opposition. Comment expliquer un tel paradoxe ?


Faut-il voir ici la réalisation de ce qu'annonçaient deux économistes de Harvard, Alberto Alesina et Edward Glaeser, dans leur livre Combattre les inégalités et la pauvreté et qui expliquaient dans le courant des années 2000 que « la fragmentation raciale est le meilleur prédictif des dépenses sociales », en indiquant que la poussée de l'immigration en Europe pourrait produire une érosion du soutien aux politiques de redistribution largement perçue comme étant destinées à ces populations immigrées, ne bénéficiant pas d'un même niveau de solidarité que pour le reste de la population ?


Christophe Boutin : Un an après son élection, une partie de la gauche qui a soutenu Emmanuel Macron dans sa conquête du pouvoir est effectivement déçue. Après les critiques qui portaient sur la politique en matière d’immigration, venues notamment de Terra Nova, celles sur la politique environnementale, ou celles encore considérant que « Jupiter » en faisait quand même beaucoup dans la recherche de verticalité, sans compter les désarrois de militants laïques peu sensibles au discours des Bernardins comme à l’organisation d’un Islam de France, voici la critique de la politique sociale du gouvernement, portée par les trois économistes que vous citez, qui ont tous trois contribué à la préparation du programme économique du candidat Macron.


S’ils reconnaissent l’existence de mesures sociales (du dédoublement des classes de CP dans les quartiers défavorisés à la réforme de l’apprentissage), ils estiment aussi, par exemple, que la réforme de l’assurance-chômage est nettement en-dessous des ambitions affichées, et, c’est effectivement l’image du « Président des riches » qui se profile, d’un Président qui en tout cas, n’aurait pas su tenir le cap défini par le candidat : « la lutte contre les inégalités d’accès ».


Mais l’explication qu’ils donnent de cette erreur de cap est intéressante en ce qu’elle répond, partiellement au moins, au paradoxe que vous évoquez, le fait que l’affaiblissement d’Emmanuel Macron ne profite pas à la droite. Selon nos trois économistes en effet, « beaucoup des soutiens du candidat expriment la crainte d’un recentrage à droite motivé par la tentation d’occuper le terrain politique laissé en friche par un parti Les Républicains en crise ».


Cette tentation est normale : tactiquement, Emmanuel Macron entend faire l’alliance au centre la plus large possible, ne laissant sur ses marges que le RN et un LR diminué autant que possible, et FI à gauche, tablant sur l’incapacité du PS à renaitre de ses cendres. Pour cela, il lui faut maintenir cette politique qui débuta par le recrutement au gouvernement de personnalités LR et se continue avec le jeu subtil qui consiste à se servir des troubles sociaux pour faire trembler l’électorat de droite et se donner à bon compte une image d’autorité. À force d’entendre la gauche de la gauche hurler que Macron est de droite, quand ce n’est pas Jean-François Copé le susurrer avec gourmandise ur les plateaux de télévision, une partie de la droite finit par le croire.


 Le dernier sondage de l’observatoire politique Elabe - Les Echos-Radio Classique le montre clairement. 55% des Français ne font « plus confiance » à un Président, très en baisse auprès des anciens électeurs de Marine Le Pen (-9 points à 15%) ou de Jean-Luc Mélenchon (-5 points à 22%) et même de ses propres électeurs (-4 points, 83% de confiance encore quand même), mais il progresse chez les anciens électeurs de François Fillon (+4 points à 55% de confiance). Par ailleurs, autre point important, si Emmanuel Macron a plus que jamais la confiance des CSP+ (60%, +6 points), elle s’effondre dans les classes moyennes (35%, -14 points). Ainsi, si le Président perd des points, c’est auprès d’un électorat qui, quand il n’est pas de gauche, n’arrive pas à être fidélisé par la droite LR, divisé qu’elle est entre des tendances bien peu compatibles sur certains plans et notamment sur ses deux conceptions du libéralisme.


Si tant est que l’on puisse retenir sur ce point les analyses des deux économistes américains que vous citez, ce serait en imaginant un Macron machiavélien, supposant que, de toute manière, sa faiblesse en termes de politiques sociales dénoncée par les trois économistes français ne lui serait pas préjudiciable, car elle serait plus facilement acceptée dans une France ethniquement divisée. Mais la perte de confiance constatée autant à gauche qu’au RN ou auprès des classes moyennes, permet me semble-t-il de relativiser cet hypothèse. Certes, l’individu est effectivement, et les études sociologiques le démontrent, naturellement plus enclin à aider ceux qui lui sont « proches » ou « lui ressemblent », mais de multiples critères de proximité existent, géographiques, sociaux, entrecroisés ou se substituant les uns aux autres selon les cas, et rien n’indique de manière claire que le critère ethnique ait pesé.


Eric Deschavanne : Le paradoxe que vous évoquez est assez facile à expliquer. L’étiquette « président des riches » est populiste (au sens où le « populisme » désigne une critique sociale et politique qui oppose les élites et le peuple, les riches et les pauvres, ou encore les « gros » et les « petits », les « puissants et les misérables, etc.). Or les populistes, en France, sont divisés : entre le populisme de FI et celui du FN, il n’y a pas d’alliance politique possible. De même, sur le plan social, il existe une myriade de catégories sociales qui éprouvent un sentiment de vulnérabilité, de précarité, d’inquiétude ou de frustration, mais il n’y a pas d’horizon pour une « convergence des luttes ». Entre le cheminot cégétiste, le chômeur victime de la désindustrialisation, le paysan en faillite, l’intello urbain précaire, le rural qui subit la désertification des campagnes, le jeune de banlieue qui s’estime victime de relégation sociale et culturelle, il n’existe pas de terrain commun. Il n’y a pas de front social commun ni même d’idéologie critique commune.  La mise en cause de la mondialisation économique n’y suffit pas. Deux orientations critiques contradictoires sont possibles : l’orientation internationaliste, qui entend fédérer les courants anticapitalistes, minoritaires dans chaque pays, et l’orientation nationaliste, qui voit dans la dénonciation du libre-échange le moyen d’associer la critique du capitalisme et le rejet de l’immigration. L’accord ne peut se réaliser que négativement, sur l’opposition au réformisme libéral - toute tentative de réforme de l’Etat (perçu comme le dernier rempart contre les effets de la mondialisation libérale) étant unanimement dénoncée comme une régression sociale. 


On peut se demander pourquoi l’insatisfaction et l’indignation ne débouchent pas sur une revendication sociale et politique structurée et relativement unifiée, comme a pu l’être naguère la revendication socialiste, structurée autour de la question ouvrière.  Mai 68 fut le dernier grand mouvement social : il s’est constitué non seulement sur une unité de temps, mais aussi sur une unité de lieu (l’usine) et sur une unité d’action (la lutte des ouvriers contre les patrons), ainsi d’ailleurs que sur une unité idéologique (la lecture marxiste, ou à tout le moins « socialiste », quelle que soit la tendance) de la question sociale. Une telle structuration unifiée de la protestation sociale semble désormais hors de portée. Pourquoi ? Vous évoquez l’une des réponses possibles. Les vagues migratoires des dernières décennies ont joué leur rôle. Elles ont en premier lieu contribué à briser « l’unité populaire » : il y a désormais plusieurs « peuples », que l’on peut opposer les uns aux autres. La question identitaire s’est superposée, sinon substituée à la question sociale. A la périphérie des grandes villes, le communautarisme a remplacé le communisme. Deuxième point : La solidarité repose sur l’homogénéité culturelle, qui constitue la condition de la confiance envers le compatriote dont on ne peut se sentir proche par les liens familiaux, de voisinage, ou par le métier. Multiculturalisme et solidarité sociale, autrement dit, ne vont pas bien ensemble. 


Troisième point : Le consentement à l’immigration et au multiculturalisme requiert en outre, au plan idéologique, la crédibilité du libéralisme économique. L’idéologie social-démocrate, qui fut longtemps dominante en Europe, notamment en France, promet la redistribution des richesses et la création de nouveaux droits sociaux. Avec une immigration non maîtrisée et non choisie, qui se traduit par une importation de la misère, l’immigré en vient à être perçu davantage comme un ayant-droit supplémentaire que comme un contributeur, ce qui génère quasi-mécaniquement une réaction politique protectionniste. L’acceptation de l’immigration est nécessairement plus aisée dans une société où le destin social est exclusivement l’affaire de la responsabilité individuelle, à condition toutefois que la promesse libérale garantissant à chacun le pouvoir de s’insérer et de réussir par le travail soit à peu près tenue. 


Cela dit, l’immigration est loin d’être l’unique facteur qui interdit l’unification et la structuration de la protestation sociale. Celle-ci est principalement incarnée en France par les syndicats de fonctionnaires, voire par les étudiants, ce qui la décrédibilise quelque peu dans un contexte où le niveau de la dépense publique, très élevé, génère des tensions fiscales et où la gestion de l’Etat est mise en question. Par ailleurs, qu’on le déplore ou non, l’ouverture de l’économie a plombé la conception classique de la politique sociale associant redistribution de la richesse et relance keynésienne de l’économie par le développement de la demande. 



Selon un sondage publié par Elabe, Institut Montaigne, les Echos, 40% des Français jugent les dépenses sociales trop élevées lorsque celles ci sont prises dans leur globalité, mais sont considérées trop faibles prises individuellement, notamment pour la vieillesse, les retraites, la pauvreté, ou encore la santé. Ce résultat ne montre-t-il pas justement une forme de paradoxe entre ce qui perçu au niveau global et les aides prises une par une ? Que révèle ce paradoxe ?


Christophe Boutin : 40% des Français jugent en effet le niveau des dépenses sociales trop élevé, 32% pensant qu’il est « juste comme il faut » et 28% le trouvant « pas assez élevé ». On a donc 60% de nos concitoyens qui ne souhaitent pas diminuer ces dépenses de 5 points supérieures à la moyenne européenne, et si 50% estiment qu’elles pèsent trop sur la dette, et ne permettent pas d’investir, 49% pensent eux que cela permet de maintenir notre fameux modèle social français.






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