Loi spéciale: le chef du Bureau de lutte au crime organisé claque la porte

BLACO - Bureau de lutte au crime organisé



Le gouvernement déposera lundi une loi spéciale forçant le retour au travail des 1500 procureurs de la Couronne et juristes de l'État.
Photothèque Le Soleil, Érick Labbé

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Caroline Touzin La Presse - Découragé par le dépôt de la loi spéciale prévue aujourd'hui qui forcera le retour au travail des procureurs et des juristes de l'État, le procureur en chef du Bureau de lutte au crime organisé, l'avocat d'expérience Claude Chartrand, claque la porte.
Dans une lettre envoyée au Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) dimanche, Me Chartrand demande à son grand patron d'intervenir «pour éviter le désastre».
«Malheureusement, personnellement, je n'ai pas le courage d'assister à la déconfiture, conséquemment je vous demande de me réaffecter à mes tâches de procureur le temps d'entreprendre les démarches appropriées pour hâter ma retraite», a écrit Me Chartrand au DPCP, Me Louis Dionne, dans une lettre dont La Presse a obtenu copie.
Le Québec n'a plus les moyens de combattre le crime organisé, selon Me Chartrand, qui compte 32 ans d'expérience au sein de la Couronne provinciale. «Confronté à l'état de nos ressources, je me vois dans l'obligation de vous recommander de laisser aux services des poursuites fédérales le soin de faire la lutte au crime organisé et de limiter nos mandats aux luttes que nous avons la capacité d'entreprendre.»
Le procureur-chef du BLACO croit que la loi spéciale pourrait même être à l'avantage des 155 Hells Angels arrêtés dans la vaste opération antimotards SharQc. «Bien sûr que les 155 Hells Angels visés par ces procédures voient cette loi spéciale comme une chance inespérée de se tirer d'affaire», écrit-il.
Le BLACO a pour mandat de contrer l'émergence et l'essor d'organisations criminelles qui minent les fondements de notre société. «Pour y arriver, nous avons recruté une équipe de procureurs dédiés à cette tâche dont le dévouement et l'abnégation dépassent largement la perception que ceux chargés de fixer leurs conditions de travail peuvent en avoir», ajoute Me Chartrand, soulignant au passage que cette loi spéciale est l'équivalent de leur donner une «gifle» au visage.
«Qu'adviendra-t-il de ces projets en marche dans lesquels les forces policières ont investi des millions de dollars pour pouvoir lutter contre ces organisations criminelles toujours plus dévastatrices?», se demande Me Chartrand. Déjà, le BLACO a dû retarder l'issue de projets d'enquête puisque ses «effectifs limités» ne permettaient pas d'évaluer la preuve pour porter des accusations à l'intérieur du temps escompté.
En raison de la lourdeur de la tâche, Me Chartrand n'arrive pas à combler tous les postes disponibles dans l'équipe de l'opération SharQC pour lequel le DPCP avait obtenu de Québec l'ajout de 16 procureurs. «À ce jour, je n'ai que dix procureurs et aucune candidature ne s'annonce. De l'autre côté, la défense se compose d'une armada d'une soixantaine d'avocats dont plusieurs sont parmi les plus chevronnés de notre profession.»
En plus de travailler à faire condamner les membres du crime organisé devant les tribunaux, les procureurs sous les ordres de Claude Chartrand agissent comme conseillers spécialisés auprès d'autres procureurs et de services policiers sur la lutte au crime organisé et sur l'application des dispositions sur le gangstérisme.
Adoption de la loi spéciale ce matin
L'Assemblée nationale tiendra une séance extraordinaire ce matin pour adopter une loi spéciale qui forcera le retour au travail des 450 procureurs de la Couronne et des 1000 juristes de l'État.
Cette décision est tombée à l'issue d'une rencontre du Conseil des ministres tenue samedi après-midi. Elle fait suite à la rupture des négociations samedi entre Québec et ses procureurs, qui sont en grève depuis le 8 février.
Les procureurs sont «consternés» par la décision du gouvernement, a dit dimanche le président de l'Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales (APPCQ), Christian Leblanc. Celui-ci affirme que plusieurs de ses membres lui ont signalé leur intention de démissionner si le gouvernement les force à retourner travailler.
Selon M. Leblanc, le gouvernement cherche à punir les procureurs pour avoir pris position en faveur de la tenue d'une enquête publique sur l'industrie de la construction, il y a quelques mois. «On s'attendait à des représailles, mais là, c'est la guillotine», a-t-il lancé lors d'une conférence de presse à Montréal.
Christian Leblanc juge que l'adoption d'une telle loi serait «inconstitutionnelle», «immorale», «irresponsable» et «digne de l'époque de Duplessis». Il a rappelé qu'il s'agirait de la deuxième loi à être adoptée en cinq ans pour imposer des conditions de travail aux procureurs.
M. Leblanc a accusé le gouvernement d'avoir annoncé une séance intensive de négociations, qui n'aura duré que 20 minutes, selon lui, simplement pour détourner l'attention médiatique. «Les procureurs de la Couronne, on a un certain pif pour la bullshit, et je pense qu'on en a eu notre lot cette semaine», a-t-il dit, applaudi par les quelque 200 procureurs venus assister à la conférence de presse.
L'Association des juristes de l'État a annoncé son intention d'entreprendre des recours judiciaires pour contester l'application de la loi. «C'est une négation presque totale de notre droit de nous associer et de notre droit de grève», a déploré son porte-parole, Éric Dufour.
Le gouvernement se défend
La présidente du Conseil du Trésor, Michelle Courchesne, s'est défendue d'avoir négocié de mauvaise foi ou encore d'avoir voulu punir les procureurs. Mme Courchesne a soutenu que le gouvernement doit «prendre ses responsabilités» pour que les citoyens «retrouvent un système de justice fonctionnel».
Elle a répété que les demandes des procureurs étaient trop imposantes pour respecter la capacité de payer des citoyens. Les procureurs veulent un rattrapage salarial de 40% tandis que le gouvernement offrait des hausses salariales de 22% en 5 ans.
- Avec Catherine Handfield


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