Liban, un massacre pour quoi faire ?

Par Amine Kammourieh

Géopolitique — Proche-Orient



Une nouvelle boucherie dans le village de Cana, et l'ONU regrette, sans condamner. Un cessez-le-feu est "urgent", mais toujours pas d'actualité.
Des casques bleus tués par Israël sans que le conseil de sécurité de l'ONU condamne...
Outre l'humiliation infligée à la Finul et aux familles des victimes, imagine-t-on la réaction qu'auraient suscitée ces morts si le missile avait été libanais ? Plus de 1 000 civils libanais tués, le déplacement d'environ un million de personnes (plus du quart de la population), la destruction massive des infrastructures civiles, une marée noire de grande ampleur, et le droit pour Israël de se défendre est à nouveau brandi.
Etrange manière de se défendre, qui semble montrer que, dans le "Nouveau Moyen-Orient" imaginé par les Etats-Unis, la fin justifierait les moyens. L'ambassadeur des Etats-Unis à l'ONU ne dit rien d'autre lorsqu'il refuse de comparer la mort de civils libanais à celle de civils israéliens.
Mais de quelle fin s'agit-il, au juste ?
S'agit-il d'"éradiquer le terrorisme", ce "mal absolu", ce mot aux vertus magiques qui justifie toutes les exactions ? Mais qu'est-ce qui sépare "moralement" l'aviateur qui détruit froidement des immeubles d'habitation peuplés de civils de l'activiste qui pose une bombe dans un centre commercial ?
S'agit-il du droit à l'autodéfense d'Israël ? Il est légitime de s'interroger sur les fondements de ce droit, s'agissant d'un Etat constitué en grande partie de territoires occupés, voire annexés, en toute illégalité et à l'encontre de résolutions de l'ONU, qui emprisonne les représentants élus des Palestiniens et continue d'occuper une partie du territoire libanais, dont il viole régulièrement l'espace aérien ?
S'agit-il réellement pour l'Etat hébreu de se battre pour faire respecter la résolution 1559, lui qui s'assoit depuis près de soixante ans sur toutes les résolutions de l'ONU ?
Imagine-t-on sérieusement qu'Israël, qui dispose d'une armée surpuissante et ultramoderne et de centaines d'ogives nucléaires, puisse être militairement mis en danger ?
Le Hezbollah est certes financé et armé par l'Iran. Mais n'a-t-on déjà vu dans l'histoire moderne un mouvement de résistance armé ou financé par une nation étrangère ? Cela enlève-t-il toute légitimité à son action ? Cela fait-il du Hezbollah une espèce de corps étranger qui s'imposerait aux libanais, alors qu'il représente au Parlement et au gouvernement l'immense majorité de la plus importante communauté libanaise ? Pour avoir accepté les parachutages d'armes et d'argent à destination des résistants français, de Gaulle en était-il devenu le jouet de Churchill ?
Les pertes importantes enregistrées par l'armée israélienne, la persistance des tirs de roquettes sur Israël, montrent la grande capacité de résistance du Hezbollah, qui ne serait pas possible sans un soutien populaire important. Elles montrent surtout l'inconséquence de ceux qui imaginent encore une solution purement militaire aux conflits de la région.
La toute-puissance militaire des Israéliens n'a réussi à réduire ni la résistance des Palestiniens ni celle des Libanais. Celle des américains a abouti à un désastre en Irak.
La paix aux seules conditions du plus fort semble plus que jamais impossible.
Faut-il alors penser que l'acharnement américano-israélien relève de l'aveuglement et que les politiques se sont définitivement rangés aux arguments des faucons et des idéologues les plus délirants ?
Ou faut-il y voir une stratégie cynique qui a pour but d'exacerber les divisions intercommunautaires dans les pays de la région, essentiellement entre Kurdes et Arabes, sunnites, chiites, Alaouites, druzes et chrétiens afin de susciter une guerre civile permanente qui empêcherait l'émergence d'Etats forts et viables et permettrait la totale mainmise des Etats-Unis sur les ressources de la région ?
La volonté marquée d'appliquer par la force la résolution 1559 vise à déclencher une guerre civile au Liban. Mais, outre celle du Hezbollah, un tel scénario rencontrerait l'opposition de tous ceux qui constatent qu'il s'agit de la seule résolution concernant le conflit israélo-arabe pour laquelle une intervention armée "musclée" est jugée nécessaire. Ni la restitution des territoires occupés ou annexés par Israël, ni le retour des réfugiés, ni l'occupation du Liban sud pendant vingt-deux ans n'ont eu l'heur de rencontrer une telle détermination.
La population israélienne, qui soutient massivement la guerre, ne semble pas être consciente de l'insécurité potentielle immense et durable que génèrent les actes de son armée. Israël se trouve dans une impasse.
Si l'Etat hébreu veut réellement la paix et la sécurité pour ses citoyens, il doit accepter les compromis qu'il a toujours refusés, dans l'espoir que sa puissance militaire l'en dispenserait.
Le refus de l'application de l'ensemble des résolutions de l'ONU, le massacre et le déplacement des populations civiles, la spoliation, l'expropriation, la destruction, le dénuement, les "deux poids- deux mesures" que constituent les réactions de la communauté internationale, l'humiliation quotidienne, voilà les causes pour le moins évidentes d'une guerre permanente.
Si l'on croit qu'il n'y a pas d'effets sans causes, alors une paix juste est possible, car la haine n'est inscrite ni dans nos gènes ni dans notre civilisation.
Traduit de l'arabe par Karl Ghazi
Amine Kammourieh est journaliste au quotidien libanais "An Nahar"


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