LETTRE À MONSIEUR JEAN CHAREST
Monsieur Charest,
Travaillant pour le MICC, comme professeure de français auprès des allophones adultes, je me dois de vous dire que j’adore ma profession. Elle me colle à la peau. Le contact quotidien avec des immigrants me comble. On appelle ça le bonheur au travail.
En plus d’aimer ma profession, j’y crois. Je crois fermement à tout ce que j’apporte de positif aux immigrants venus ici, pour des raisons politiques, sociales et économiques, rejoindre notre territoire et notre culture. Venus pour y vivre. C’est tout dire. Ainsi, comme figure de premier plan, j’ai à cœur de leur enseigner un bon français d’usage comme j’ai à cœur de les initier et les intégrer à notre culture et nos valeurs. Nous sommes très nombreux et nombreuses à partager ce désir.
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Pourtant, il y a là une faille. Visible, tenace. Animer chez les allophones cet amour et ce respect pour notre langue commune, les rassurer sur sa nécessaire utilisation, cela s’avère aujourd’hui de plus en plus difficile, voire inconfortable. Le fauteuil du professeur chancelle. Il lui manque des assises solides, incontournables. Les commentaires en classe abondent. « Mais apprendre le français ne nous garantit pas un travail. » « Il faudra que l’on étudie l’anglais aussi. » « Moi je prends des cours d’anglais le matin. » Je comprends leur crainte, partage leur inquiétude.
Je ne fais pas de politique en classe, là n’est pas ma fonction. Toutefois devant de telles remarques mon cœur se noue. Pour rassurer les étudiants-es, je n’ai pas les outils voulus. À preuve, Montréal s’anglicise. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Ils ne sont ni sourds, ni aveugles, les allophones. Ils sont bardés de diplômes comme de bonne volonté mais voient bien que l’anglais chez nous a une place prépondérante, une influence potentielle sur leur avenir. La mondialisation n’est pas étrangère à cet état de fait.
Toutefois, à mon avis, cela n’est pas un argument valable pour participer et ou se résigner à l’extinction des cultures, des nations telle que la nôtre. Allez lire le grand linguiste Claude Hagège, vous comprendrez vite de quoi je parle.
En conséquence, je vous en prie monsieur Charest : ouvrez vos oreilles, ouvrez vos yeux. Et votre cœur tant qu’à faire!
Ne laissez pas cette situation devenir plus intenable qu’elle ne l’est en ce moment même. Penser à revisiter la loi 101, à l’imposer sans compromis. Allez du côté des P.M.E., exigez-y la francisation, songez également aux effets, à court ou long terme, des cours d’anglais au niveau primaire, des cours d’anglais que vous offrez aux immigrants, (cela à même les fonds publics), réagissez aux écoles passerelles, au non-respect de la loi sur l’affichage en français, aux cours à temps partiel où depuis peu, les entrées continues sont bloquées après sept jours. Pensez aussi à notre capacité d’accueil et d’intégration des immigrants. Recueillir leur vote me semble un objectif sans grande noblesse. Si c’est une stratégie efficace pour votre gouvernement ce ne l’est pas pour la nation québécoise que nous formons.
Agissez donc avant que vous ne portiez le poids de votre fermeture, de votre indolence, de votre insouciance dans ce dossier de la langue et de la culture québécoise. N’êtes-vous pas le premier ministre du Québec? N’êtes-vous pas responsable devant votre peuple? Dites à votre ministre, madame St-Pierre qu’elle agisse en votre nom si cela vous semble trop lourd et délicat. Peine perdue, n’est-ce pas? On connait la réponse, sa réponse. Identique à la vôtre. Celle de la ligne de parti.
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Je sais, je sais, nous savons tous et toutes. Le Plan Nord, la prospérité économique, c’est là votre intérêt, votre souci, votre projet ultime, votre legs futur vous assurant la pérennité de votre nom d’homme politique. Pourtant, si beau soit-il, ce plan comporte des failles (fortes redevances aux compagnies, dangers pour l’environnement, l’écologie etc…) et l’empressement avec lequel il est et a été mis sur pied nous laisse perplexes et inquiets.
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Ainsi avec tout le respect que je vous dois, je crains pour vous monsieur Charest. Bancal, votre siège est-il. Ça se lève autour de vous, ça vous conteste, vous mesure. Cette colère populaire vous rattrape, vous isole, vous coince. L’avez-vous seulement remarqué? Les voyages, les rencontres d’affaires, vous font-ils oublier cette révolte du printemps québécois? Vous avez écouté la jeunesse? À la télé à tout le moins? Vous êtes-vous aperçu de leur force, leur solidarité, leur volonté? Ils s’expriment bien n’est-ce pas? Ce conflit est en pleine impasse actuellement. Quel est votre but? Gagner du temps? Tant que vous refuserez d’écouter les associations étudiantes, toutes les associations, ce problème demeurera entier. Votre argument principal (casse, intimidation) ne tient pas la route car l’entêtement de votre gouvernement envenime de lui-même la situation, engendre et maintient l’exaspération, le ressentiment. Cette crise sociale pèse à tout le monde, quelque soit l’intime conviction de chacun, chacune.
C’est ce que vous souhaitez? Plus de discordes, de mésententes? La paix sociale qu’en faites-vous? Cela fait-il si peur à madame Beauchamp de s’assoir avec tous les représentants-es des grévistes? Allez donc au front vous aussi. N’est-ce pas là votre responsabilité première?
Bien sûr, je m’écarte de mon sujet principal, la francisation des immigrants, mais tout cela n’est-il pas lié au fond? Il s’agit encore et toujours de votre gouvernance, vos décisions, vos actions. Il s’agit du Québec et de son destin.
Bref, ce troisième mandat que vous solliciterez, pensez-vous vraiment le gagner? Soustrayez dès maintenant des milliers de votes. Oui, je crains pour vous mais je vous sais fort capable de faire face à la musique quand le moment viendra. Votre sortie sera sans doute excellente. En réalité, votre cas demeure individuel. Je crains beaucoup plus pour l’avenir du Québec tout entier. Je crains pour notre langue, notre culture, notre identité.
Oui, avant de terminer cette lettre qui vous apparaîtra sans doute comme d’une grande naïveté et d’un fondement que vous réfuterez d’un revers de la main, je vous le rappelle, j’aime enseigner le français aux allophones mais sans cesse votre gouvernance revient me hanter. Vous en connaissez maintenant les raisons. Il m’importait comme citoyenne de vous le faire savoir. Voilà, c’est dit.
Demain sera un autre jour de combat et dimanche le 22 avril, un autre grand moment de solidarité collective. Serez-vous des nôtres?
Lettre à monsieur Jean Charest
Demain sera un autre jour de combat et dimanche le 22 avril, un autre grand moment de solidarité collective. Serez-vous des nôtres?
Tribune libre
France Bonneau39 articles
France Bonneau est professeure de français auprès des adultes-immigrant-e-s . (MICC)
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7 commentaires
Archives de Vigile Répondre
24 avril 2012Merci France de t'être exprimée au nom du peuple québécois qui croit encore en sa langue si précieuse et si belle.
Archives de Vigile Répondre
24 avril 2012Merci pour ce texte magnifique!
Archives de Vigile Répondre
23 avril 2012@ France Bonneau
Excellent article! John James Charest avec sa mentalité anglophone antiquébécoise du West Island s'en fout, comme l'an 14, de la langue française au Québec; c'est sa dernière priorité. Toutes ses actions, depuis qu'il est au pouvoir, le démontrent (ce serait trop long de toutes vous les énumérer...) avec éloquence. À mes yeux, Charest passera à l'histoire comme étant le plus grand fossoyeur de notre nation en tant que premier ministre du Québec, tout un déshonneur! Une note de réjouissance, ses jours sont comptés surtout avec sa dernière bavure aux étudiants, vendredi dernier, au Salon des Congrès. Ne lâchez pas, des jours meilleurs s'en viennent.
André Gignac 23/4/12
Archives de Vigile Répondre
23 avril 2012Merci Marcel de ton commentaire.
Archives de Vigile Répondre
23 avril 2012Vibrant plaidoyer en faveur de notre langue, si belle et si méprisée. Se battre, toujours se battre afin qu'elle conserve son authenticité et surtout ... son droit de parole !!! Bravo France, bien dit. Tu as exprimé ce que la majorité des francophones observe de plus en plus soit l'écartement de notre langue, de nos valeurs et nos racines. Un peuple sans sa langue, c'est une nation sans droit de parole, absente des débats, soumise, inerte et oubliée !
Marcello
Renaud Guénette Répondre
22 avril 2012Merci. Tout simplement.
Stefan Allinger Répondre
21 avril 2012Bravo pour cette lettre.
Vous m'avez apporté un regard humain sur la situation et je vous en remercie. La langue française peut-être si belle et nous permet d'exprimer exactement ce qu'on veut dire.
Nous pouvons en être fière.
Stefan Allinger