Tu ne dois pas être très heureux de la décision du Congrès de Québec solidaire (QS). Indépendantiste et partisan de la justice sociale depuis ta jeunesse, tu n'as jamais abandonné tes convictions. Tu dois sûrement te dire qu'on a manqué une belle occasion de mettre fin au régime libéral et que les libéraux risquent d'être réélus en 2018. Pire, on pourrait même voir l'élection de la Coalition Avenir Québec (CAQ). C'est désolant de voir la place des partis provinciaux qui n'ont d'autres obsessions que l'argent qu'ils prétendent vouloir «remettre dans nos poches».
Tu te dis peut-être que la décision des membres de QS manque de pragmatisme et que c'est l'ensemble de la population québécoise qui va écoper de cette division. Franchement, la solidarité à QS, ça doit être une étiquette sans contenu.
Au début, je croyais à la convergence. Je me disais qu'il fallait faire un geste, malgré tout ce que je reprochais déjà au PQ (le déficit zéro de 1996, la répression des infirmières en 1999, la cure d'austérité en 2013, le pétrole à Anticosti, les coupures à l'aide sociale, l'investissement de la Caisse de dépôt dans le pétrole albertain, l'indexation des frais de scolarité, la charte, etc.). Après tout, bien des partisans du PQ sont des indépendantistes de gauche, des vrais.
Quelques jours avant ce congrès, Lisée a dit très clairement que le PQ ne plierait pas sur la question «identitaire». J'y croyais de moins en moins, d'autant plus que la perspective d'un gouvernement péquiste même minoritaire s'éloignait, y compris avec le scénario - désormais enterré - de la convergence avec QS... Au congrès, plus de cinquante personnes, autant d'un bord que de l'autre, ont pu s'exprimer sur la question. C'était un débat riche, profond, sérieux et respectueux. Nous avons dépassé l'opposition simpliste entre la pureté idéologique et la stratégie pragmatique.
Certes, plusieurs intervenants étaient animés d'un profond ressentiment envers le PQ, à l'image de ma camarade Dalida Awada. Après tant d'années à se faire insulter en raison de son voile, en particulier à la suite de la Charte des valeurs, elle en avait gros sur le cœur... et je la comprends. Elle a livré un vibrant plaidoyer pour éviter que QS ne se lie à ce parti à la tendance identitaire. Pour moi, ce n'était pas grand-chose d'envisager me lier de manière conditionnelle à un adversaire pour un objectif «plus grand». J'ai toujours été un partisan du rassemblement, ce que nous avons réussi à faire en 2012 contre Charest. Pour Dalida et bien des immigrants, il était impossible de faire un compromis sur leur dignité. J'ai compris la violence qu'elle avait subie.
Comme bien d'autres, elle fait partie de ces jeunes de diverses origines qui ont adopté le Québec et qui désirent construire l'indépendance de notre pays. Je suis sûr que tu aurais beaucoup de plaisir à en parler avec elle.
Si le PQ a perdu tant de plumes auprès des communautés immigrantes, les livrant dans les bras des libéraux, il devrait peut-être faire un examen de conscience, en particulier son chef.
Si le PQ a perdu tant de plumes auprès des communautés immigrantes, les livrant dans les bras des libéraux, il devrait peut-être faire un examen de conscience, en particulier son chef. Lisée a gagné la chefferie entre autres en attisant la menace absurde de mitraillettes sous la burqa. Sans Lisée et sans l'épisode de la Charte, la situation aurait peut-être été différente. Jacques Parizeau avait déclaré en 2013 que « le feu commence à prendre dans notre société » en raison de la charte des valeurs. Il pensait que ce projet allait gravement nuire à la souveraineté du Québec, si ce n'est pas déjà fait... Te souviens-tu, lorsque Gérald Godin partait à vélo conquérir le cœur des immigrants pour les rallier à la souveraineté ? De l'eau a coulé sous nos ponts...
Le nouveau chef ne veut même plus parler d'indépendance, reléguée aux calendes grecques. En 2014, personne n'a été prêt au PQ à défendre l'indépendance après que PKP ait levé le poing. Les libéraux ont récolté le vote de la peur; le PQ n'a jamais autant reculé dans l'électorat.
Les partis ne sont que des instruments pour porter nos idées au pouvoir, pas des fins en soi. En votant pour la fusion avec Option nationale et la constitution d'un large front social avec les mouvements sociaux, mais contre les pactes électoraux avec le PQ, je n'ai pas voté par fidélité absolue envers QS, ni parce que le PQ serait un parti « raciste ». J'ai pensé à l'avenir du Québec, à son indépendance, à la santé de son peuple face à la montée des catastrophes écologiques, à la vie des immigrants qui décident de vivre ici, en français. Il m'apparaissait que le PQ était devenu un obstacle important à cet avenir, en plus du fait qu'il devient de moins en moins populaire dans l'électorat. À l'image de bien des héritages de la Révolution tranquille qui ont mal vieilli (Hydro-Québec), le PQ rassembleur et ouvert n'est plus.
Compte sur moi, je vais tout faire en mon pouvoir pour que ni les libéraux ni les caquistes ne gagnent les élections en 2018. Peut-être que nous n'y arriverons pas, ni les solidaires, ni les péquistes. Après tout, la politique reste un pari risqué. Il nous faudra alors reprendre le chemin de la rue, parce que la politique ne se résume pas à un vote tous les quatre ans.
Michel, combien devaient être grandes ta joie en 1976, ta déception en 1980, ton indignation en 1995. J'aurais tant voulu partager ces grands moments ! Il est difficile d'abandonner la foi en un parti qui a été au cœur de la constitution de notre identité, à la fois comme individu et comme peuple.
Lorsque tu m'auras pardonné ce vote décisif et que nous nous serons retrouvés, nous marcherons, ensemble, armés de casseroles, non pas vers un parti, mais vers l'indépendance et la justice, avec ces gens avec qui tu aimes tant parler, peu importe leurs origines ou leur religion. Parce que, au fond, nous sommes tous d'ici et d'ailleurs, comme les Cloutier, arrivés de Normandie sur des terres autochtones et maintenant installés jusqu'en Argentine.
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