Les Québécois ne sont pas vraiment ambivalents

Tribune libre


Tendance lourde

Les Québécois veulent que soit reconnu leur nature propre, différente des anglais, mais ils veulent aussi demeurer Canadiens. Afin de rester au Canada, ils acceptent tout le mal que celui-ci leur fait depuis toujours, à commencer par leur existence niée. Ils préfèrent tellement rester au Canada qu'ils ne se défendent même plus, ils se laissent aller politiquement. L'existence du PQ et du Bloc, pourtant, prouve leur volonté d'affirmation, mais à terme, comme les Québécois refusent de choisir entre être au Canada et n'être plus au Canada, ce sera le Canada par défaut. Mais ce le sera doucement, à coup de renoncements systématiques au cours des décennies. Conséquemment, même sans s'en rendre compte, les Québécois préfèrent que leur nature propre soit diluée, quitte même à la perdre, en autant qu'ils demeurent Canadiens. Faut-il le répéter pour mesurer l'ampleur du problème ?

Dans le texte [« Dion contre Dion »->3272], Denis Monière nous décrit Stéphane Dion tel qu'il le perçoit : il a réagi à une stratégie proposée par son père selon laquelle il faut menacer le Canada anglais avec la souveraineté pour qu'il fasse des concessions constitutionnelles au Québec. Comme Stéphane Dion croit que les Québécois sont tellement ambivalents qu'ils n'auront jamais le cran de se séparer, il veut obliger les nationalistes mous à cesser d'osciller entre autonomie et adhésion pleine à la fédération.

Si je ne me trompe pas au sujet de l'attachement inconditionnel des Québécois au Canada, et si c'est ce que Stéphane Dion a compris, ce dernier sera dangereux. Une brute comme Jean Chrétien parvenait à museler les autorités indépendantistes, alors imaginez un esprit raffiné comme celui de Stéphane Dion. Trudeau avait compris la même chose, il s'était convaincu de la médiocrité politique des Québécois, voire une médiocrité citoyenne, et il a décidé de nier leur existence, de les noyer dans le multiculturalisme. Ça a marché longtemps. Stéphane Dion, lui, ne niera pas les Québécois, il tentera de les amadouer.

Cet attachement irrationnel au Canada tient-il du syndrome qui fait que la victime finit par aimer son bourreau ? Serait-ce plutôt que le Canada est un acquis, qu'il nous appartient autant qu'aux anglais ? Je crois que c'est surtout l'inconscience de ce qui arrive, le refus de regarder les choses en face. En apparence, les Québécois sont ambivalents dans leurs choix électoraux, mais la tendance lourde est celle que je décris dans le premier paragraphe. Les Québécois ne sont pas ambivalents : ce qu'ils veulent est utopique, et comme ils ne s'en rendent pas compte, ils croient, ils veulent croire que le Canada des 2 ou 3 nations est possible, et qu'on y arrivera en trimant dur, en chiennant, en travaillant plus fort que les autres. Mais même ce sentiment profond est tu, nous n'aimons pas en parler. En fait, oui, Trudeau avait raison, nous sommes plutôt médiocres politiquement. C'est à cela qu'il faut travailler.

Des gens comme l'historien Jocelyn Létourneau disent que les choses sont ainsi et que c'est très bien, qu'il faut en prendre acte sans chercher à intervenir dans le cours de l'histoire. Il faudrait rester spectateur parce que nous n'avons pas fini de grandir, nous ne sommes pas encore une nation. Comme s'il n'y avait pas mille façons de grandir, comme si les gens actuels n'avaient pas de rôle dans cette croissance de la nation. C'est curieux cette façon désincarnée de s'expliquer ce qui nous arrive, de se décrire sa mort en restant passif.

Nos partis politiques

Tandis que les Québécois voudraient un parti fédéral qui aurait pour mission principale de forcer l'évolution du Canada, ils ont depuis plus de trente ans un parti provincial dont la mission principale est de rendre le Québec indépendant, ou souverain politiquement à tout le moins.

Les Québécois sont confédéralistes. Leur ambition est irréaliste mais c'est ça qu'ils veulent. C'est pourquoi ils élisent le PQ tout en lui disant de ne pas faire de référendum. A la limite, si le PQ promettait de ne pas tenir de référendum, il aurait de meilleurs résultats aux élections.

Pourtant, il n'y a que l'indépendance qui puisse permettre au Québec de devenir éventuellement membre national d'une nouvelle confédération du Canada. Techniquement, le PQ n'est pas déphasé, mais stratégiquement, oui. A chaque élection, tout est toujours à recommencer pour le PQ.

Il y a le Bloc Québécois au parlement fédéral. Techniquement, il est le seul parti fédéral qui représente fidèlement la volonté d'affirmation des Québécois, et en ce sens il contribue à la bonne santé démocratique de ce pays, mais sa mission n'étant pas confédéraliste, les Québécois ne le voient pas comme un outil bien important. On vote Bloc pour ne pas voter libéral. Si le Bloc aspirait à la gouvernance du pays, en ayant comme mission la refonte de celui-ci, il aurait toujours les majorités au Québec, et peut-être souvent le statut d'opposition officielle au Canada. Mais ça ne changerait rien, concrètement, à l'évolution du Canada tel qu'on la constate aujourd'hui.

Notre dignité pour survivre

Il faut en arriver à ce que les Québécois changent de comportement. Est-ce que ça prend une claque au visage ? non, nous en avons tellement eues... Il nous faut devenir citoyens responsables, c'est-à-dire acteurs dans la société, et responsables de sa bonne santé et de sa pérennité. Devenir citoyens responsables ? La première chose, au-delà des représentants qui nous gouvernent, c'est la presse et les médias en général. Il faudrait que cesse ce dénigrement continuel des Québécois, cette propagande qui nous rentre dans la tête que nous sommes faibles, petits, et qu'il vaut mieux rester tranquilles. Il nous faut découvrir et entretenir notre dignité. Je ne parle pas de fierté, juste de la dignité, quelque chose comme le respect de soi-même, de son intégrité.

Par exemple, l'exercice de concevoir démocratiquement une première Constitution du Québec, qui serait effective sans attendre l'indépendance et qui remplacerait le régime politique anachronique qui régule notre vie, cet exercice, bien qu'il puisse prêter flanc aux revendications partisanes de toutes sortes, serait surtout un révélateur pour les Québécois de la tâche qu'ils ont à accomplir, c'est-à-dire devenir citoyens responsables.

Avancer et prendre position

Devenir des citoyens responsables, ça prendra plusieurs années. Les acteurs politiques, dont le cycle de vie est rythmé aux quatre ans, ne peuvent que poser des pierres à la construction du projet. Mais le PQ ne construit jamais rien.

Il faut que les Québécois prennent position, qu'ils se prononcent pour quelque chose, et non pas contre quelque chose. Maintenant que nous sommes officiellement reconnus comme une nation, le temps est venu de marquer un point, d'avancer.

Un troisième référendum sur la souveraineté du Québec, sans un messie comme le fut Lucien Bouchard à l'époque, ne fonctionnera pas. Mieux vaudrait une élection référendaire qui scellerait un pacte multipartisan sur la question. Mais étant donné l'état de nos concitoyens québécois, ça ne marchera pas non plus.

J'ai toujours pensé que l'étapisme de Claude Morin a nui à la Cause, mais je crois aussi que la coupure radicale n'est pas près d'être acceptée. Comment avancer ? En prenant acte du désir profond des Québécois : exigeons la refonte du Canada, déclarons formellement que le Canada doit changer, réclamons enfin la justice. Posons la question aux Québécois : « Voulez-vous que la Constitution du Canada, que toutes les autorités du Québec n'ont jamais acceptée depuis sa transformation forcée en 1982, soit revue et corrigée pour qu'elle prenne compte de la réalité nationale des Québécois et des Amérindiens? »

Avec un vote à 70% des Québécois, on aura matérialisé la nation, on aura accéléré la prise de conscience des citoyens. Nous aurons pour la première fois une existence formelle sur la planète, et une posture solide face au Canada. La balle est dans notre camp, il faut la saisir au bond. Le PQ, au lieu de tergiverser pour satisfaire à la fois ses militants et la population, pourra même poser des gestes de rupture si nécessaire, comme amener le Québec à se doter de son propre régime politique. Après une telle déclaration des Québécois, il ne sera plus possible, pour quiconque, de nier la réalité.



Pierre Bouchard
Les Escoumins


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