Les gilets jaunes et la France des débats impossibles

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La France devra aborder les sujets qui fâchent pour sortir de la crise actuelle


Tandis que les gilets jaunes font preuve d’une résilience surprenante pour un mouvement ni structuré ni appuyé par des organisations syndicales ou politiques, le gouvernement français prépare dans la confusion un grand débat national dont nul ne connaît vraiment ni la forme ni le modus operandi.


En soi, l’organisation de cette vaste consultation citoyenne est une bonne idée, si tant est qu’on ose y aborder les sujets qui intéressent les Français. Car tout le mal français vient précisément de là : de l’impossibilité de tenir des débats sereins sur les thèmes qui préoccupent la population. Ces thèmes ne sont pas originaux, ils ne sont d’ailleurs pas spécifiquement français. Ce sont les mêmes qui agitent le Québec, les États-Unis, l’Italie, la Grèce ou le Royaume-Uni.


Comme d’autres, les Français s’inquiètent d’une part des conséquences économiques de la mondialisation (délocalisation, dérégulation, précarité, baisse des impôts pour les entreprises et investisseurs au nom de la compétitivité, hausse des impôts des citoyens au nom de la rigueur budgétaire imposée par l’Union européenne, etc.) et d’autre part, de ses conséquences humaines (immigration, intégration, laïcité, identité, etc.). Mais dans l’Hexagone plus qu’ailleurs, ces thèmes ne sont plus jamais débattus. Ils sont devenus tabous.


En France, vouloir parler d’immigration est déjà suspect. C’est « faire le jeu de l’extrême droite ». De la même façon, remettre en cause la dynamique actuelle de la mondialisation et de la construction européenne, c’est « verser dans le populisme ». Paradoxalement, l’avènement d’Emmanuel Macron, parce qu’il a fait exploser les deux grands partis traditionnels (le Parti socialiste et l’UMP), a encore appauvri le débat politique français.


Désormais, Emmanuel Macron se présente comme le seul rempart contre des mélenchonistes nécessairement populistes et des lepénistes nécessairement xénophobes. En multipliant les références aux années 1930 dans les dernières semaines, le président Macron a encore tenté de culpabiliser un peu plus la population tout en diabolisant préventivement les adversaires qui envisageraient de s’emparer de ces thèmes. Or, l’impossibilité d’aborder les questions qui sont au coeur des préoccupations des gens ne peut mener qu’à une frustration croissante et à une radicalisation des positions.


Même si dirigeants et médias font mine d’avoir été surpris par la crise, la généalogie des inquiétudes relatives aux conséquences de la mondialisation est pourtant facile à établir. Rappelons simplement que les Français ont dit « non » deux fois par référendum à cette Europe des marchés — d’abord au traité de Maastricht en 1992 puis au traité de Rome II en 2005 —, mais que les gouvernements successifs ont ignoré ces résultats. En campagne, Emmanuel Macron avait d’ailleurs promis de « changer l’Europe », comme François Hollande avant lui. Sa capitulation en avril dernier face aux réserves allemandes fut aussi rapide que celle de son prédécesseur.


Concernant l’immigration, est-il nécessaire de rappeler que les Français ont porté par deux fois les Le Pen (père et fille) au second tour de l’élection présidentielle ? Cette double sonnette d’alarme aurait dû pousser les responsables politiques à faire un état des lieux et à entamer enfin une sérieuse réflexion sur le sujet, en cherchant à comprendre davantage qu’à condamner leurs compatriotes inquiets.


Ainsi, la crise des gilets jaunes est le révélateur de la profonde inadéquation entre l’offre et la demande politiques en France. Au-delà des taxes, des réglementations et des difficultés de la vie courante, la « France d’en bas » souffre surtout de ne pas être écoutée par ses dirigeants.


Le grand débat qui s’ouvre la semaine prochaine constitue donc une chance unique de réconciliation entre les Français et leurs représentants, mais c’est aussi un quitte ou double. Un débat faussement ouvert, se limitant aux questions politiquement correctes, ne ferait que nourrir l’exaspération des Français.




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