Les dessous du plan de sauvetage

Les dessous du plan Paulson: Qui veut-on sauver?

Chronique d'André Savard

Les dessous du plan Paulson: Qui veut-on sauver?
Le déroulement de la crise financière dite « du crédit » ne fait pas seulement jaser en raison des risques de précarité qu’elle fait peser. Depuis longtemps maintenant, la plupart d’entre nous obtenons du crédit. C’est un pari sur notre avenir paraît-il. Comme les salaires n’augmentent pas et qu’il y a de plus en plus de choses à convoiter, le crédit est l’unique formule accessible. S’il s’écroule, vous trouverez dix fois moins d’acheteurs dans les grandes surfaces. Les seuls qui survivront seront Zeller’s et Wal-Mart.
Nous sommes dans une curieuse situation. Nous savons qu’il y a des gens très riches, concentrés surtout dans quelques centres urbains du globe. Nous savons aussi que l’accumulation est le principe du capital et qu’il se chiffre par trillions. Par contre, c’est comme si cette masse d’argent était absente de l’économie. Les entrepreneurs pour la plupart ont peu de marge de manoeuvre pour augmenter les salaires tandis que les travailleurs savent fort bien que, sans être littéralement dans la misère, il est à peu près impossible d’être à l’aise de nos jours.
Si on entend par “à l’aise” avoir les coudées franches et ne pas avoir à budgéter même pour les dépenses courantes, il faut compter sur un revenu familial de cent mille dollars. Les statistiques montrent bien que ce n’est pas commun de se ranger dans cette catégorie de revenus.
On peine dans la galère et on ouvre la télévision le soir pour entendre les moralistes. Il y a deux types de moralistes; les financiers, ceux qui nous racontent qu’ils font plus en un semestre que nous dans toute une vie parce qu’ils travaillent très fort et qu’ils ont l’immense mérite de faire gagner de l’argent aux autres; puis, comme autre type de moralistes, vous avez les célébrités, acteurs, vedettes rock, figures des variétés qui font dans le “human interest”. Quand ils interviennent, on se cotise pour une bonne cause.
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Trop harassés pour joindre les deux bouts, les gens gardent néanmoins une mémoire diffuse de l’action des gouvernements. Autant le parti Conservateur que le parti Libéral comptent parmi leurs éminences grises des gens très commis à la logique du capital.
On parle beaucoup de la solidarité de Stephen Harper avec les pétrolières. On pourrait tout aussi bien parler du réseau de stagiaires de Paul Desmarais qui passent faire du service au parti Libéral. Quand Stéphane Dion était ministre, il se montrait totalement solidaire de Paul Martin lorsque celui-ci se votait des lois sur mesures avec des plans d’exemptions fiscales.
Pourtant on continuait de faire circuler l’idée que les riches faisaient gagner de l’argent au lieu d’en devoir. Le scénario fut encore pire aux U.SA. D’où l’acrimonie aux Etats-Unis devant ce qu’on a appelé le plan de sauvetage. Donne-t-on huit cents milliards de dollars aux riches, des deniers qui représenteront une dette publique sur les épaules du peuple, tout ce magot pour que les riches continuent de ne rien devoir à personne?
Le cinéaste Michael Moore met le doigt sur le problème en ces termes: “Quatre cents des plus riches américains, oui, vous avez bien entendu, juste 400 personnes, possèdent plus que le fin fond du bas de laine de cent cinquante millions d’Américains réunis. 400 Américains richissimes ont plus engrangé que la moitié de la population du pays. Leur valeur combinée s’élève à $1.6 trillion. Durant le règne de George W. Bush, leur richesse a augmenté de presque 700 milliards, la même somme qu’ils demandent présentement pour le sauvetage. Pourquoi n’investissent-ils pas cette somme prélevée pour se sauver eux-mêmes? Ils auront encore quasiment un trillion de dollars dont ils profiteront entre eux!”
Michael Moore sera accusé de démagogie pour avoir tenu ce propos. Il faut pourtant tirer les leçons de la présente crise. Si vous parvenez à occuper le bon fauteuil, on vous fournira de surcroît une ceinture de sécurité platine, l’expression est de Michael Moore. Depuis si longtemps nous entretient-on dans l’idée que le capital a sa propre logique, une logique qui se prévaut de l’impunité parce qu’elle serait au principe même du développement mondial.
Ceux qui parlaient du droit de l’Etat, et particulièrement ceux qui affirmaient le droit inaliénable d’un gouvernement à représenter sa nation, principe qui dépasse de loin le simple droit au profit, se faisaient traiter de “nostalgiques”, de grognon de la modernité. En raison de ses velléités politiques, la nation québécoise s’est particulièrement fait servir cette rhétorique soi-disant progressiste, toujours de la part de gens qui disaient avoir pris acte qu’une rupture, un temps nouveau, a changé la donne.
Ceux qui prêchaient l’Etat-nation et son droit de gouverner se trouvaient piégés par ce qui n’était plus, affirmaient les apôtres du marché. Les fédéralistes ajoutaient que ce projet de restauration de l’Etat-nation et de ses responsabilités étaient d’autant plus ridicule que le Québec n’avait rien à restaurer ; obtenir une législature provinciale ayant été le stade ultime de ses conquêtes possibles.
Suite à l’adoption du plan de sauvetage, pourra-t-on espérer, s’attendre même à un ajustement du discours favorable au capitalisme sauvage et à une réhabilitation de l’Etat ? Peu probable. Les chantres du marché diront que l’Etat peut certes être utile à titre de lubrifiant du système mais que l’individu est l’agent actif de la création de la richesse. Michael Moore dit craindre que loin d’augurer un changement dans l’ordre des choses, le plan de sauvetage finisse d’imposer davantage une classe sociale qui n’est redevable à personne.
Le revenu familial moyen aux Etats-Unis, écrit-il, a diminué de 2,000 dollars et à Wall Street, autant que dans le secteur bancaire, personne ne se voit traduire en justice quand on est en pleine déconfiture. Michael Moore ajoute que si le revenu moyen diminue, ceux de la classe richissime augmente sans arrêt.
Avant de demander à des gens qui s’appauvrissent sans cesse d’allonger des sommes, ne devrait-on pas se demander si les riches devraient vivre dans cinq maisons au lieu de sept? Depuis les années Reagan, les Etats-Unis se comportent presque au plan fiscal comme s’ils devaient rivaliser avec les paradis fiscaux. Et toutes les démocraties libérales ont des partis politiques avec des contingents de carriéristes qui rappellent qu’il est plus payant d’attirer les riches que les pauvres.
Reagan ne se gênait pas pour le dire. Les riches consomment plus. Parce qu’ils consomment plus, ils créent de la richesse. Mais n’en vient-on pas à faire reposer la prospérité du peuple sur l’indice de consommation des riches? Comme le note Michael Moore, après le plan de sauvetage, les riches pourront garder leur huitième maison alors que le travailleur ne récupérera pas de sa saisie pour faute de paiements d’hypothèques.
Faire reposer le développement économique sur la capacité de dépenser d’un bassin de millionnaires est totalement irréalisable car, en général, ce sont les salariés qui font marcher le commerce au détail. Moins d’argent disponible pour la consommation personnelle, des taux d’intérêt qui équivalent au paiement d’un loyer supplémentaire, il faut franchement une fortune pour avoir encore les moyens de payer des impôts. Même dans les pays riches, les Etats peinent à avoir les fonds nécessaires pour une restauration minimale des routes et des écoles. Le Québec n’est pas seul dans cette galère.
Cependant, aux Etats-Unis, où on a tant décrié le filet social comme une mesure socialiste, l’appauvrissement du peuple a pris des proportions endémiques. En témoignent ces lignes de Michael Moore: “Les gens qui faillirent à rencontrer le plan d’hypothèque ne constituent pas un “mauvais risque”. Ils sont nos compatriotes qui ont voulu ce que la plupart d’entre nous ont encore: un foyer qui leur appartienne. Mais durant les années Bush, plusieurs d’entre eux perdirent tout travail décent. Six million tombèrent sous le seuil de pauvreté. Sept millions perdirent leur assurance-santé.”
Les Américains se sont habitués à se faire dire que leur nation était celle du capitalisme et que chacun était responsable de ce qui lui arrive. La richesse étant en soi voulue par Dieu, il fallait être de mauvaise foi pour blâmer la réussite des privilégiés. La vérité, c’est que l’économie mondiale a pris des dimensions impensables et que les profits atteignent des sommets. Les apôtres du marché, un jour, se réclament de l’individu, et le lendemain, quand il s’agit de réglementer les marchés, tournent le dos à la volonté individuelle et au droit des élus de prendre des décisions.
Aujourd’hui, vous avez d’un côté la valse des milliards, une masse d’argent qui ne semble plus appartenir à personne mais dont profite un régime de castes. De l’autre côté, vous avez le pouvoir des élus, devenus tout au plus des responsables de la réfection des réseaux. Ils paraissent confinés désormais au stade assez trivial de la politique quotidienne et du bavardage politicien. Ils sont sur la ligne de front, cibles identifiables du désenchantement de la population, proies des caricaturistes. Et cela pendant que les vraies capitalistes sont aux vraies affaires, gérant “un système trop gros pour échouer “ pour reprendre leur argument sur la nécessité du plan de sauvetage.
Sur cette notion du “système trop gros pour échouer” Michael Moore écrit: “Si c’est trop gros pour échouer, c’est trop gros pour exister. Laisser le champ libre au mégafusion sans réguler les monopoles au moyen de lois anti-trust a permis l’éclosion d’institutions financières et de corporations si gigantesques que leur effondrement signifie une déflagration encore plus grande qu’eux dans l’économie globale”.
Aujourd’hui, nous en sommes au point où nous devons voir que nous avons besoin partout dans le monde d’une relégitimation de l’Etat, Bush n’est pas le seul responsable de cette situation déplorable. Ce fut Bill Clinton lui-même qui, en 1999, parapha des mesures qui reléguaient aux oubliettes toute régulation sérieuse de Wall Street. Sous prétexte de ne pas décourager le talent en affaires, toutes les démocraties libérales ont eu leur plan de résignation capitularde.
Tout ce que l’on apprenait c’est que l’argent obéissait à ses propres schèmes, des schèmes compris par une élite. Beaucoup de questions restent sans réponse maintenant que le plan de sauvetage a été adopté. Pourquoi Paulson, maître d’oeuvre de ce plan, a-t-il, selon ce que rapporte le New York Times, dit qu’il n’avait aucune idée des sommes nécessaires pour rescaper les institutions financières et que ce chiffre de 700 milliards a d’abord été tiré de sa tête? La menace d’une récession mondiale, le spectre d’un effet de domino ont surgi comme un lapin du chapeau. Contrairement à la démarche encadrée requise pour la moindre demande de subventions, demandant des dossiers complets, échelonnements des besoins, calendrier d’impartition des fonds, le flou règne dans le plan de sauvetage.
Il serait intéressant aussi de vérifier un point particulièrement intéressant dans l’argumentaire de Michael Moore. Celui-ci affirme, dépêches de journaux à l’appui, qu’une grande partie des défauts de paiement hypothécaires proviennent de familles mises en demeure de rencontrer des paiements médicaux.
Possible? Il faut se le demander à l’heure où, au Québec et au Canada, le régime de santé publique est remis en cause. Une séance de résonance magnétique coûte trois milliers de dollars. Un protocole médical pour le traitement d’un cancer va fréquemment atteindre des coûts de plusieurs centaines de milliers de dollars. Sans assurance-maladie, bien des gens qui ont eu un cas de cancer dans leur famille, seraient sans un toit qui leur appartienne au Québec.
André Savard


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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    10 octobre 2008

    Privatisation des profits et socialisation des pertes.
    On m'a informé que la Banque du Canada s'est transformée peu à peu depuis 1944 en banque privée. Nous n'aurions maintenant que 8% des actifs et le privé 92%. Quelqu'un peut nous renseigner ? Ca m'inquiète.
    Merci pour cet excellent article.

  • Archives de Vigile Répondre

    7 octobre 2008

    "Durant le règne de George W. Bush, leur richesse a augmenté de presque 700 milliards, la même somme qu’ils demandent présentement pour le sauvetage. Pourquoi n’investissent-ils pas cette somme prélevée pour se sauver eux-mêmes ? Ils auront encore quasiment un trillion de dollars dont ils profiteront entre eux !”"
    Mais c'est exactement ce qu'ils ont fait.
    Ce premier 700 milliards est dans leurs poches, ce sont les travailleurs qui ont la dette. Ce deuxième 700 milliards est le payement de la dette, mais une nouvelle dette pour le travailleur qui le doit aux mêmes qui ont le premier 700 milliards.
    C'est un monstrueux déplacement de capitaux vers cette élite et qui a été préparé depuis Bush père.
    Maintenant on nous envois les sociologistes tels que ce Michel Wieviorka dans La Presse Power Corp d'aujourd'hui pour nous raconter que la crise de 1929 est "arrivée" (par des effets papillons complexes sociaux-économiques incompris encore) comme c'elle d'aujourd'hui et que nous devons faire attention à ces mystérieux mouvements sociologiques qui vont nous menner vers des folies humaines comme les Nazis et alors il est préférable de se calmer et payer la note.
    Les choses vont revenir toutes seules comme elles sont venues.
    Fermez les yeux et ne pensez plus.