Les dangers d'un gouvernement Harper majoritaire

(...) votez pour le candidat qui a les meilleures chances de défaire le candidat de Stephen Harper

Chronique de Rodrigue Tremblay



« S’il élit ce dictateur [Stephen Harper], le Québec est d’un ridicule achevé ou d’une inculture incroyable. ... [Il est inconcevable que] des Québécois soient assez naïfs pour se trahir eux-mêmes [et] trahir leur propre culture ».

[Gilles Vigneault (10 septembre 2008)->15018]
« Le gouvernement [Harper] continue d’appuyer en principe la dualité linguistique canadienne, mais cet appui ne se manifeste pas par une vision d’ensemble à l’égard des politiques gouvernementales et de la fonction publique. »

Graham Fraser, Commissaire aux langues officielles, Rapport 2008
« Les arguments ... selon lesquels il faut un statut spécial pour protéger la langue française au Québec – sont tous simplement faux. »

Stephen Harper, (le 19 janvier 2002)
***
Faisant fi de sa propre loi sur des élections à date fixe (prévue pour le 19 octobre 2009), Stephen Harper a néanmoins cyniquement déclenché des élections fédérales pour le 14 octobre. Ce sera donc une occasion pour les électeurs canadiens de mettre à la porte un des pires gouvernements que le Canada ait eus depuis des décennies. Harper a prétexté que les partis d'opposition l'empêchaient de faire son travail. Mais considérant tout le mal qu'il a fait, qu'est-ce que cela aurait été s'il avait eu un gouvernement majoritaire ?
Même si je suis de très près l'économie et la politique américaines depuis quelques années, (voir mon livre : Le Nouvel empire américain) cela ne signifie nullement que je me désintéresse des questions canadiennes.
Néanmoins, j'ai beaucoup hésité avant d'écrire ce billet sur les élections fédérales du 14 octobre 2008. C'est que malgré les dangers évidents à long terme, surtout pour le Québec, de reporter au pouvoir le parti Conservateur (en réalité le Reform Party, un parti d'extrême droite fondé en Alberta en 1987 (plus tard devenu l'Alliance canadienne) et qui tire ses racines de l'ancien Crédit social de l'Ouest canadien), les partis d'opposition sont tellement dans un état avancé de délabrement qu'il est possible que plusieurs électeurs votent Conservateur-Reform par défaut ou pour faire changement. Ce serait une grave erreur.
Présentement, les sondages semblent indiquer la formation d'un gouvernement conservateur majoritaire au lendemain des élections du 14 octobre. Alors qu'il faut 155 sièges pour former un gouvernement majoritaire, les sondages donnent plus de 170 sièges aux conservateurs, alors qu’ils en avaient obtenu seulement 124 aux élections générales du 23 janvier 2006.
Les lecteurs de ce blogue savent ce que je pense de l'actuel président américain, George W. Bush, que je considère comme étant l'un des pires présidents, avec son immoralité et son incompétence, que les États-Unis aient eus de toute leur histoire. Or, Stephen Harper est un admirateur béat de George W. Bush et de ses politiques. Par conséquent, qu'on ne s'étonne point que je ne recommande pas de voter pour cet homme et son parti d'extrême droite.
En effet, le Gouvernement de Stephen Harper est l'équivalent canadien du Gouvernement néoconservateur américain de George W. Bush. Les deux ont été des désastres au cours des dernières années. Comme Bush l'a fait pour les États-Unis, Harper a détruit en quelques courtes années la réputation internationale du Canada.
Et pour les Québécois, en particulier, voter pour Harper et son parti est un peu comme si les poulets, de guerre las, votaient pour le Colonel Sanders ! C'est que je crois que Harper est fondamentalement hostile au Québec, malgré les mamours qu'il lui fait présentement pour obtenir suffisamment de députés au Québec pour former un gouvernement majoritaire. Est-ce que les Québécois sont suffisamment naïfs pour tomber dans le panneau ?
C'est que l'histoire se répète avec Harper. En effet, John Diefenbaker fit le même tour au Québec en 1958. En effet, Diefenbaker, un député de l'Ouest canadien (Saskatchewan), avait réussi à former un gouvernement minoritaire en 1957, mais il avait obtenu peu de sièges au Québec. Pour l'élection du 31 mars 1958, il fit une cour assidue à l'Union Nationale alors au pouvoir, laquelle voulait briser l'emprise historique des libéraux au Québec. Les nationalistes québécois de droite se laissèrent séduire et ils contribuèrent à élire 50 députés conservateurs au Québec.
Mais Diefenbaker, comme Harper aujourd'hui, comprenait mal les aspirations du Québec qu'il considérait une province comme les autres, dont le poids politique décline continuellement à l'intérieur du Canada. Et, comme Harper aujourd'hui, il était fondamentalement hostile au fait français au Canada. Et, aussi comme Harper, il rejetait le fait historique des deux peuples fondateurs du Canada pour faire sienne la théorie du melting-pot canadien, lequel ne serait que l'extension du melting-pot américain. Mais, comme Harper, Diefenbaker était passé maître dans la tactique qui consiste à distribuer au Québec des bonbons sans grande importance afin de faire illusion.
À la différence de Harper, cependant, il faut dire que Diefenbaker s'opposait à ce que le Canada devienne une colonie politique des États-Unis. Harper, en effet, a démontré par ses paroles et ses politiques, que ce statut de colonie américaine lui convenait parfaitement. Chaque fois que George W. Bush lui a fait signe, il a toujours répondu “Yes, Sir.” À mon avis, Harper est bien pire que Diefenbaker parce qu'il est plus hypocrite et un plus grand artiste de la dissimulation.
C'est ainsi que le Canada a perdu sa réputation d'indépendance sur la scène internationale. Plus personne ne prend le gouvernement Harper au sérieux sur la scène mondiale parce que tout le monde sait que c'est un gouvernement qui prend ses ordres de Washington. C'est ce qui explique que le Canada ait consacré quelques 7,5 milliards de dollars dans une guerre néo-coloniale à l'autre bout du monde et ait envoyé une centaine de ses jeunes se faire tuer en Afghanistan.
Et souvenons-nous que Harper, lorsqu'il était dans l'opposition, faisait pression sur le gouvernement de Jean Chrétien pour que le Canada envoie des troupes en Irak aux côtés des États-Unis et de la Grande-Bretagne, dans leur guerre impérialiste unilatérale et illégale au Moyen-Orient. Ceux et celles qui sont contre la guerre de Bush en Irak, parce qu'il s'agit d'une guerre immorale et illégale, ne peuvent en conscience voter pour Stephen Harper, à moins de se trahir eux-mêmes.
Il semble que l'Action Démocratique veuille répéter cette année la même erreur que l'Union Nationale fit en 1958: ce parti recommande de voter pour les candidats de Harper. Les dirigeants de cette formation politique devraient se rappeler que l'Union Nationale ne s'est jamais relevée de l'appui qu'elle avait apporté à Diefenbaker.
Ce serait donc, à mon avis, une grave erreur de contribuer de près ou de loin à la formation d'un gouvernement Conservateur majoritaire à Ottawa. Ce Parti conservateur, lequel est comme je le dis, le Reform Party de l'Ouest canadien déguisé sous la peau du Parti conservateur, après sa fusion avec le parti de l'Alliance canadienne, est fondamentalement un parti anti-Québec.—Il est vrai qu'au cours des trois dernières années ou presque, étant minoritaire à la Chambre des Communes, le parti de Stephen Harper a dû modérer l'ardeur anti-Québec de ses députés de l'Ouest. Cependant, faites l'erreur de leur donner un gouvernement majoritaire, et vous verrez leurs vraies couleurs réapparaître.
Pourquoi le Parti Conservateur (Reform) ne représente pas les intérêts du Québec ?
1-Premièrement, parce que c'est un parti qui ne fait que tolérer le français dans la fonction publique fédérale et qui n'a rien fait pour mettre en oeuvre les recommandations du Commissaire aux langues officielles, M. Graham Fraser, afin d'assurer la pérennité du français à Ottawa. —C'est que Stephen Harper considère que le bilinguisme est davantage une valeur personnelle qu'une valeur institutionnelle. Avec la perte de poids politique du Québec dans l'ensemble canadien, appuyer un parti qui ne croit pas au bilinguisme institutionnel est une mauvaise façon de préparer la survie et l'avenir du français au Canada.
Se souvient-on que Stephen Harper a dirigé la National Citizen's Coalition, dans les années '90, une organisation qui appuyait ceux qui militaient au Québec contre l'affichage à prédominance française ?
Il ne faut surtout pas se leurrer sur la portée de la motion du 22 novembre 2006, laquelle reconnaissait le Québec comme nation au sein du Canada. Une telle motion n'a aucune valeur constitutionnelle concrète et ne se traduit nullement par l'attribution de plus de pouvoirs au Québec. Il s'agit d'un geste à saveur essentiellement politique sans portée réelle.
Il faut se rappeler que Stephen Harper était contre l'Accord du Lac-Meech de 1987, lequel octroyait plus de vrais pouvoirs au Québec. C'est à ce moment que Harper quitta le Parti progressiste-conservateur de Brian Mulroney et travailla à la fondation du Reform Party de Preston Manning pour protester contre ces concessions faites au Québec. Si cet homme avait eu à cœur les intérêts du Québec, croyez-vous qu'il aurait tenté de saboter les efforts de Brian Mulroney pour constitutionnaliser plusieurs des revendications historiques du Québec? Pourquoi toute cette hypocrisie aujourd'hui ?
2- Deuxièmement, Stephen Harper a déjà pris des mesures importantes pour faire du Canada un pays militariste, une position qu'une forte majorité des Québécois ont traditionnellement rejetée. Sous Harper, en effet, les dépenses en équipements militaires ont soudainement bondi de $ 22 milliards.
3- Troisièmement, malgré le fait que 70 pourcent de la population québécoise soit contre la guerre en Afghanistan, quelques 2,500 soldats canadiens continuent de tuer des civils et des enfants, en notre nom en Afghanistan.
Pour l'ensemble du Canada, c'est 61 pourcent de la population qui s'oppose à cette agression armée en notre nom. Il n'y a que 32 pourcent des Canadiens qui appuient cette politique (surtout dans l'Ouest canadien), de sorte que le conservateur Stephen Harper ne devrait pas recevoir plus de 32 pourcent d'appuis, ce qui l'empêcherait de former un gouvernement majoritaire qui foulerait aux pieds la volonté d'une majorité de la population.
Le 5 février dernier, je disais ceci au sujet de la guerre canadienne en Afghanistan: « Ne nous trompons point. Le Canada n'est pas à l'autre bout du monde, en Afghanistan, un pays dominé par des chefs de guerre et par le commerce de l'opium, pour des raisons humanitaires, comme certains le croient, ou pour quelques grands principes de justice et de démocratie. Il est là pour les mêmes raisons qu'il envoya des troupes en Afrique du Sud lors de la guerre des Boers de 1899-1902 : c'est-à-dire pour répondre à une requête impériale. » Le Canada a des soldats en Afghanistan parce que George W. Bush en a fait la demande. Sans cette demande pressante, le gouvernement minoritaire de Stephen Harper n'aurait pas de lui-même mis sa tête sur le billot en se lançant dans une guerre qui ne nous concerne pas.
Pour les États-Unis, cependant, et pour le tandem de Bush-Cheney, en particulier, il en va autrement. Pour ces deux politiciens puants l'odeur de pétrole, l'Afghanistan est la porte de sortie du pétrole abondant découvert autour et dans la mer Caspienne.
Ainsi, pour l'ancien chef de cabinet de Brian Mulroney et chroniqueur au Globe & Mail, Norman Spector, le Canada envoie des soldats se faire tuer en Afghanistan à cause du pétrole.
Selon Spector, en effet, qui s'y connaît en ces matières, « Nos militaires [Canadiens] ne sont pas là pour construire des écoles ni pour lutter pour les droits des femmes. La raison qui explique la présence de nos soldats en Afghanistan, c’est le pétrole. »
Mais pourquoi le Canada, qui est un exportateur net de gaz naturel et de pétrole, voudrait-il contrôler militairement le pétrole de la mer Caspienne ? La réponse à cette question est la suivante : Parce que le gouvernement américain veut contrôler cette région stratégique et parce que plusieurs multinationales étrangères oeuvrant en Alberta, la base politique de Stephen Harper, ont aussi des projets dans la région de la mer Caspienne.
Tout cela est bien connu dans les milieux qui s'y connaissent, mais c'est une information que les lecteurs des journaux canadiens et québécois n'ont pas. Le lyrisme des deux empires médiatiques que sont les empires Asper au Canada anglais et Desmarais (Gesca) au Québec atteint des niveaux inégalés. Pour le groupe Gesca de Desmarais, des Québécois se font tuer en Afghanistan pour sauver la « civilisation occidentale ». Rien n'est plus faux. C'est pour le pétrole et pour plaire à Bush que nous avons des soldats en Afghanistan.
Qu'est que l'Afghanistan a fait au Canada pour que notre pays soit de facto en guerre contre lui ? En quoi la participation à cette guerre lointaine entâche-t-elle la réputation du Canada sur la scène internationale ? Ce sont là des questions que plusieurs doivent se poser, tant au Canada anglais qu'au Québec, avant d'aller béatement voté pour le parti qui nous a mis dans un tel pétrin.
Conclusion
Ma conclusion est la suivante : Même si les partis d'opposition ne sont pas très attirants, dans chaque comté, votez pour le candidat qui a les meilleures chances de défaire le candidat de Stephen Harper.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé