Le vrai visage d'Internet

Davos 2007


Le président du Forum économique mondial de Davos en a fait le thème de son discours d'ouverture. Alors que les grands leaders de la planète se sont déplacés en Suisse pour essentiellement parler du temps qu'il fait et fera, Klaus Schwab a plutôt préféré consacrer la montée en puissance d'Internet. Pendant qu'en Suisse on confirmait le pouvoir d'Internet de réécrire les équilibres, économiques et politiques, mondiaux, de ce côté-ci de l'Atlantique, l'attention des médias américains était tournée vers Microsoft, voulant apparemment soudoyer un informaticien influent dans le but de biaiser le contenu d'un texte publié sur l'encyclopédie en ligne Wikipedia. Comme quoi même les grands agents de changement doivent avoir leurs limites.
Il appert qu'il y a une dizaine d'années, alors que la Toile commençait à peine à s'étendre, les gens d'affaires voyaient en Internet une nouvelle façon de contrôler l'information. La réalité, dominée par une rapide interconnexion à l'échelle mondiale, a rendu l'exercice d'un tel pouvoir beaucoup plus ardu. Qu'importe, à défaut de contrôler cette information, nourrissons les doutes sur sa crédibilité. D'ailleurs, n'est-ce pas la principale faiblesse qu'on lui accole?
Les médias américains en ont fait un débat. Microsoft aurait voulu soudoyer un personnage bien connu dans la communauté internaute pour modifier Wikipedia en sa faveur. L'Agence France-Presse a souligné hier que l'informaticien reconnu avait déclaré avoir été contacté par Microsoft pour rectifier en sa faveur des articles sur certains de ses produits, parus dans l'encyclopédie en ligne Wikipedia. Sur son blogue, Rick Jelliffe, spécialiste des langages informatiques, a expliqué dans un message posté lundi avoir «reçu un courriel de Microsoft, qui disait rechercher quelqu'un d'indépendant mais amical, pour fournir des informations plus équilibrées parues dans Wikipedia sur ODF et OOXML [deux formats de fichiers concurrents: ODF est un format ouvert et OOXML, ou Office Open XML, est développé par Microsoft]».
Il appert que Microsoft estime que l'information existante sur le site est complaisante et qu'elle vient de farouches partisans du produit concurrent. Rick Jelliffe retient également que le contenu visé est biaisé et qu'il renferme plusieurs erreurs. Pour sa part, le fondateur de Wikipedia qualifie l'approche de Microsoft de contraire à l'éthique. Il défend l'intégrité de son site, qui doit renfermer un contenu librement rédigé par les internautes, a-t-il martelé.
«Une meilleure solution consisterait tout simplement à se joindre ouvertement au débat général et non de payer pour écrire sur Wikipedia», a déclaré Jim Wales. Pour lui, «seuls des rédacteurs non partisans devraient écrire ou modifier les articles, les autres pouvant s'exprimer dans la section discussions de Wikipedia».
Voilà pour les voeux pieux. Mais dans les faits, les commentateurs ont rapidement soulevé que cet esprit communautaire et cette quête de la neutralité dans les points de vue peuvent difficilement résister aux motivations personnelles des auteurs. Et ils ont rappelé que le concept Wikipedia reposait sur la présence de volontaires filtrant l'information afin d'empêcher que le site soit inondé par les relationnistes et autres agents promotionnels. Qu'il revenait à ce filtre de prouver son efficacité.
Intéressant, donc, ce débat opposant Wikipedia et Microsoft. Car pendant ce temps, en Suisse, Klaus Schwab présentait Internet comme étant ce grand catalyseur appelé à redessiner les grands jeux de pouvoir. «Le monde est devenu à ce point interconnecté que cela modifie même l'échiquier géopolitique, en plus de redéfinir les stratégies des entreprises.» Il a pointé en direction de la Chine et de l'Inde, pour préciser que ces deux pays abritaient désormais plus d'internautes que les États-Unis. Le président de Coca-Cola a renchéri en soutenant que «l'impact d'Internet est tel que les entreprises ne contrôlent même plus leur marque de commerce».
Ils ont raison. Internet est devenu incontournable dans le paysage planétaire. Puissant outil de démocratisation et de transmission, il a forcé nombre de modèles économiques à se repositionner, sinon à se reformuler. Pensons à cette offre de contenus, qui échappe de plus en plus aux barrières à l'entrée imposées par les modes traditionnels de distribution.
Quant à l'information, Internet n'y échappe pas. La pertinence de cet outil de transmission et de communication sera toujours tributaire de l'intégrité de la source et de la crédibilité du contenu. Il y aura toujours ceux qui tenteront de contrôler l'information et ceux qui, à défaut de pouvoir influencer le contenu, essaieront de le discréditer. Mais ce faisant, et pour reprendre un constat qui semble se dessiner à Davos, l'effet inverse va se produire. En voulant ainsi protéger leur pouvoir, ils vont contribuer malgré eux au renforcement de la capacité de discernement des utilisateurs d'Internet.
Mais bon, tant que ce discernement restera aussi virtuel qu'Internet...


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