Le temps d'une Charte

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La question identitaire est de retour

Il l’avait promis, il a tenu promesse. Bernard Drainville a proposé hier sa nouvelle mouture de la Charte des valeurs.
Il l’a amendé pour donner l’impression qu’il s’est modéré et que la nouvelle version est plus consensuelle que l’ancienne. Il ne pouvait peut-être pas faire autrement. Mais il ne gagnera pas l’appui de ceux qui s’opposaient à son principe. À moins que ces modifications ne soient nécessaires pour rassurer ceux qui le soutenaient et qui avaient commencé à douter, à force de se faire accuser par le discours culpabilisateur ambiant de s’être commis dans une entreprise moralement inadmissible?
Bernard Drainville entend ainsi soustraire les cégeps et les universités à l’application de la Charte des valeurs, à celle du principe de laïcité. La chose se discute. Elle est moins compréhensible lorsqu’il s’agit des municipalités. Sa proposition de clause grand-père causera bien plus de complications qu’il ne le croit : imagine-t-on vraiment dans la fonction publique un superviseur se promenant pour vérifier la date d’embauche de la femme voilée devant lui et vérifier si elle doit ou non enlever son foulard islamique? En ces matières, la simplicité est souvent bonne conseillère.
Mais l’essentiel est là : la question identitaire est de retour. Bernard Drainville la place au cœur de la course à la direction. Chaque candidat devra expliquer ce qu’il en pense. Il devra se positionner à son sujet. Les Inclusifs souhaitaient la voir chassé de la politique québécoise. Cela ne va manifestement pas arriver. En bonne partie parce qu’on ne censure pas la réalité. On en a voulu à Bernard Drainville de la présenter quelques jours à peine après les attentats de Charlie Hebdo. Il aurait pu attendre un peu, évidemment. Mais sa réponse tient la route: ce n’est pas aux fondamentalistes islamistes de décider à quel moment nous pourrons ou non parler de laïcité.
Bernard Drainville en appelle aussi à une meilleure intégration des immigrants, ce qui est une manière de reconnaitre, implicitement, qu’elle ne se passe pas très bien. Certaines des mesures qu’il propose sont plus que valables, comme celle proposant une reconnaissance plus efficace des diplômes des immigrants. D’autres, apparemment vertueuses, sont là pour satisfaire les exigences du politiquement correct. Comme quoi, en politique, même les plus courageux doivent se soumettre aux tabous du jour. Celui voulant que les difficultés d’intégration des immigrants au marché du travail s’expliquent à peu près exclusivement par la discrimination à leur endroit en est un.
D’ailleurs, il faudra bien le dire un jour ou l’autre, on ne pourra jamais bien réussir l’intégration des immigrants si nos seuils d’immigration demeurent aussi démesurément élevés. Mais le simple fait de poser cette question peut valoir au téméraire qui s’y risque une volée d’insultes pour le disqualifier moralement, pour le jeter dans les marges du débat public. Poser la question du nombre d’immigrants reçus chaque année et plaider pour une réduction à la baisse ne devrait pas faire scandale. Hélas, le logiciel idéologique dominant nous envoie le message suivant : nous avons deux choix, soit maintenir les seuils d’immigration actuels (ou les élever), soit verser dans le racisme. Il faudra en finir avec cette alternative débile.
Quel est le lien, par ailleurs, entre laïcité et intégration? Le suivant: on aurait tort, au Québec de réduire la question de l’intégration des immigrants à celle de l’intégration de l’islam dans les sociétés occidentales. Il suffit qu’on garde à l’esprit le souci pour le français sur l’ile de Montréal pour s’en souvenir, ou encore qu’on n’oublie pas le conflit entre le Canada et le Québec pour gagner l’allégeance identitaire des immigrants. Mais on aurait tort de faire semblant que l’intégration de l’islam aux sociétés occidentales ne cause pas des difficultés particulières. Aussi bien le reconnaître sans pudibonderie.
Ce n’est pas faire injure à l’islam que de rappeler qui tend à s’imposer dans l’espace public. C’est une religion qui s’affiche de manière ostentatoire et qui codifie la vie de ses pratiquants (ce qui ne veut pas dire que tous les musulmans s’y soumettent, naturellement). Le voile, par exemple, n’est pas qu’un symbole extérieur témoignant d’une puissante spiritualité intérieure strictement individuelle: c’est un marqueur communautaire, ou plus exactement, le symbole d’un communautarisme en formation au sein même de la société d’accueil. Lorsqu’il s’agit du voile intégral, il s’agit d’une déclaration explicite de non-appartenance au monde occidental. Le voile affiche publiquement le désir d’une communauté de se reconnaître au premier coup d’œil dans l’espace public.
La laïcité nous rappelle ici une de ses vertus : elle entend, à court, moyen et long terme, laïciser culturellement l’islam, occidentaliser sa pratique religieuse en modifiant sa manière de s’inscrire dans l’espace public et la vie sociale. Elle travaille à l’acclimater aux sociétés où il s’installe et elle le fait en redéfinissant la place des religions dans l’espace public, en définissant un certain rapport à la croyance, du moins lorsqu’elles s’expriment dans le cadre des institutions communes. C’est en acceptant de se plier non seulement au droit, mais aux mœurs occidentales, que l’islam réussira son intégration, qu’il parviendra vraiment à se faire accepter. Son rapport à l’égalité entre les hommes et les femmes permet de bien saisir cette question.
On en revient à la Charte. Il ne s’agit pas d’un remède miracle à toutes les questions liées à l’intégration. Mais elle pourrait certainement contribuer à la création d'une société cohérente en restaurant un espace commun qui transcende les communautarismes particuliers. Le politique a un rôle identitaire à jouer : il n’est pas qu’administrateur de droits, il pose des balises et des repères, il rappelle que la collectivité n’est pas qu’un assemblage de minorités hétéroclites ou un marché des croyances juridiquement protégées, mais une nation, en droit de conserver sa cohérence et son identité historique.


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