Perspectives

Le retour du chapitre 11

Économie - Québec dans le monde

Inventé par les pays riches comme moyen de discipliner les pays du Sud, il s'est retourné contre ses créateurs en menaçant la souveraineté de leurs gouvernements. Souvent perçu comme le parfait exemple des errances de la mondialisation, il fait, depuis quelques jours, un peu moins peur.
La nouvelle est largement passée inaperçue la semaine dernière. La chose serait parfaitement normale, compte tenu de la nature mortellement ennuyeuse de l'affaire, s'il n'y avait pas autant de gens qui pensent que se joue là l'avenir de nos gouvernements et du principe démocratique.
On a appris mardi qu'un tribunal d'arbitrage de l'ALENA avait débouté la compagnie américaine de messagerie UPS de sa plainte contre le gouvernement du Canada. Déposé en vertu du chapitre 11 du traité de libre-échange permettant aux investisseurs de poursuivre les États nationaux s'ils s'estiment lésés, la plainte était agrémentée d'une demande de réparation de 160 millions. Elle avait été déposée en 2000 (sic) et avait été entendue par le tribunal en 2005 (resic).
UPS alléguait que Postes Canada bénéficiait d'un avantage indu en matière de messagerie rapide à cause de son monopole sur la livraison du courrier ordinaire et de son réseau d'infrastructures. Le géant américain en avait également contre le programme fédéral d'aide aux éditeurs canadiens qui obligent ces derniers à livrer leurs produits par l'intermédiaire du service public. UPS se plaignait aussi du fait que les douanes canadiennes traitent de manière différente le trafic postal ordinaire et les services de messagerie.
Le tribunal d'arbitrage constitué d'experts indépendants n'a retenu aucune de ces accusations, au grand soulagement non seulement d'Ottawa, mais aussi de Washington et Mexico. C'est qu'il n'y avait pas que les services de Postes Canada et 160 millions de dollars qui étaient en jeu. Une victoire de UPS aurait pu être le signal de départ d'une pluie de plaintes similaires pouvant émaner de toutes les compagnies nord-américaines actives dans des domaines où le secteur public est également présent. Au Canada, on a toujours pris soin d'exclure des accords commerciaux des secteurs particuliers comme la culture, les politiques sociales ou encore la santé. Une quantité d'autres secteurs auraient quand même été exposés, comme le transport, les services municipaux, ou encore l'assurance automobile.
La victoire du Canada contre UPS ne sera pas suffisante pour rassurer ceux qui ont peur du chapitre 11 de l'ALENA et des quelques 2400 autres traités bilatéraux sur l'investissement qui se sont signés au cours des dernières années dans le monde. Au départ, ce genre de dispositif se veut un moyen d'encourager l'investissement dans les pays pauvres, et par le fait même leur développement, en garantissant aux entreprises étrangères un certain degré de protection contre d'éventuelles mesures gouvernementales arbitraires. L'échec retentissant de l'Accord multilatéral sur l'investissement (AMI) de l'OCDE à la fin des années 90 n'a pas empêché la multiplication des accords bilatéraux. Le Canada en est rendu à lui seul à un total de 21 et souhaite en signer d'autres, notamment avec la Chine, l'Inde et la Corée du Sud.
À la défense de l'État
La principale critique contre ce genre de traité est toujours la même. C'est d'accorder le droit à des entreprises privées de contester devant un tribunal particulier des décisions prises par des États souverains et dirigés par des gouvernements démocratiquement élus. La principale crainte est de voir des multinationales et leurs armées d'avocats gruger petit à petit ce qu'il reste du domaine public, à coup de décisions de cour, ou par la simple menace de recourir aux tribunaux.
Jusqu'à présent, ces craintes ne se sont pas vraiment matérialisées. Des 46 plaintes déposée depuis 1994 contre l'un ou l'autre des trois pays membres de l'ALENA en vertu du chapitre 11, seulement deux ont mené à une condamnation du Mexique pour des amendes totales de 18 millions; et quatre ont mené à une condamnation ou à des ententes à l'amiable au Canada, pour une facture totale d'environ 27 millions. Dans un cas (Ethyl Corporation), Ottawa a également dû présenter des excuses et retirer une loi interdisant un produit chimique pour des raisons environnementales.
Les experts notent que les tribunaux de l'ALENA ont jusqu'à présent fait preuve de beaucoup de circonspection dans leurs décisions. Et lorsque les gouvernements sont blâmés, c'est habituellement à cause de la manière dont ils s'y sont pris pour atteindre leur but et non pas parce que l'on met en doute leur droit d'agir.
Les trois pays membres de l'ALENA ne se sont pas moins dépêchés, au début des années 2000, d'adopter une déclaration visant à empêcher le tribunal de donner un sens trop large au concept d'expropriation et éviter ainsi de se voir réclamer par des entreprises des dédommagements non seulement pour la perte de leurs investissements directs, mais aussi pour les profits futurs qu'elles escomptaient en tirer. Ils ont aussi convenu de rendre l'exercice plus transparent.
«La plupart, sinon tous les engagements internationaux limitent d'une certaine façon la souveraineté des États», avait rappelé en juillet 2005 la juge Sarah Pepall de la Cour supérieure de l'Ontario au Conseil des Canadiens et au Syndicat des travailleurs des postes qui contestaient la constitutionnalité du chapitre 11. «Les tribunaux de l'ALENA n'ont aucun pouvoir pour invalider les lois intérieures ou les pratiques des gouvernements», avait-elle néanmoins conclu.
Ni ce jugement de la Cour de l'Ontario ni la victoire de la semaine dernière du Canada contre UPS ne feront changer d'avis aux plus fervents adversaires du chapitre 11. «Les règles en matière d'investissement, comme le chapitre 11, doivent être retirées de l'ALENA et de tous les autres accords commerciaux signés par le Canada», a déclaré la semaine dernière un porte-parole du Conseil des Canadiens. On a d'ailleurs déjà demandé à la Cour suprême de se saisir de la question.


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