Le règne spectaculaire de la «petite reine»

GG nouveau, discours usé


Guillaume Bourgault-Côté - Michaëlle Jean n'a laissé personne indifférent durant ses cinq ans à Rideau Hall. On l'a vue danser, rire aux éclats, charmer d'un regard lumineux les Sarkozy et Obama de la planète. On l'a aussi vue pleurer pour Haïti ou s'agenouiller pour manger un cœur de phoque cru dans le Nord. Pendant cinq ans, Michaëlle Jean a été de toutes les tribunes protocolaires... mais aussi de bien des débats politiques. Retour sur un règne controversé qui se termine ce matin.
Ottawa — Michaëlle Jean avait les yeux embués mardi alors que les parlementaires lui rendaient hommage au Parlement. Le lendemain, elle a pleuré lors du salut des forces armées canadiennes. Une finale émotive à l'image des cinq années du mandat de celle qu'on a appelée la «petite reine».La 27e gouverneure générale n'a ainsi jamais manqué d'afficher sa sensibilité depuis qu'elle est devenue vice-reine. Mais les larmes de cette semaine témoignaient aussi d'un léger pincement au coeur: Michaëlle Jean a adoré Rideau Hall et ses fonctions. Passionnément. D'où, peut-être, ce besoin d'écrire ce matin aux Canadiens afin de les remercier de la «formidable traversée» effectuée depuis qu'elle a répondu à «l'appel du destin» — soit celui de Paul Martin.
Dans cette lettre, que nous publions en page Idées, Mme Jean affirme que «plus que jamais» durant son mandat, Rideau Hall a été «un lieu où la parole citoyenne a trouvé un écho» et où «la volonté d'être à l'écoute les uns des autres et d'engager le dialogue a prévalu». Une façon de rappeler cette devise qui voulait «briser les solitudes».
Entamé dans la controverse, son mandat a connu quelques épisodes turbulents qui ont fait en sorte de garder Michaëlle Jean sous le feu constant des projecteurs. Elle a lu cinq discours du Trône et accepté deux fois de proroger le Parlement, notamment lors du célèbre épisode de la coalition en 2008. «Un moment de notre histoire politique qui aura certainement amené la population à s'interroger sur notre système et sur le fonctionnement de nos institutions», indique-t-elle aujourd'hui.
«Dans l'ensemble, elle a bien rempli les fonctions, pense Antonia Maioni, directrice de l'Institut d'études canadiennes de l'Université McGill. Il y a eu des moments mouvementés, elle a eu beaucoup de pain sur la planche, plus que d'habitude pour un gouverneur général. Elle a eu trois gouvernements minoritaires, une grave crise politique, les rapatriements des corps des soldats morts en Afghanistan. Ce ne sont pas des événements que tous les gouverneurs doivent vivre.» Mais «elle a clairement été à la hauteur», dit Mme Maioni.
«Je suis impressionné par la façon dont elle a tiré son épingle du jeu», avoue aussi le politologue Christian Dufour, qui ne manque pourtant pas de critiques à l'égard de Mme Jean et de la fonction de gouverneur général.
Charmante
Il faut dire que le rôle paraissait parfait pour une femme au sourire désarmant, débordante d'empathie, crédible en robe de soirée, en jean ou en treillis militaire, aussi à l'aise dans les dîners d'État que dans les rues dévastées de Port-au-Prince. Charmeuse et charmante, d'approche facile partout dans le monde (40 missions à l'étranger). Là-dessus, il y a unanimité.
Constitutionnaliste chevronné de l'Université Queen's, Ned Franks juge que Michaëlle Jean a été «charmante, brillante, très déterminée» en général. «Elle a bouleversé les Canadiens, s'est intéressée de très près aux gens qu'elle a rencontrés. La fonction de base d'un gouverneur général, c'est de mieux faire connaître le Canada aux Canadiens et dans le reste du monde. Elle a été très bonne là-dedans.»
M. Franks lui donne aussi une bonne note pour la partie constitutionnelle de son mandat. «Je suis de ceux qui croient qu'elle a pris une bonne décision en 2008 en acceptant la prorogation. Ça demeure controversé, mais n'oublions pas que c'était seulement la troisième fois qu'un gouverneur général était mis devant la possibilité de refuser une demande du premier ministre.»
Antonia Maioni remarque que Michaëlle Jean «a été plongée dans ces événements alors qu'elle était peut-être la moins bien placée pour juger de la situation», n'ayant pas fait d'études en droit ou de carrière en politique. «Mais elle a fait ce qu'un gouverneur général doit faire: écouter les directives de son premier ministre pour prendre des décisions.»
Pas d'accord, répond Sébastien Grammond, doyen de la Faculté de droit de l'Université d'Ottawa. «Cette prorogation était problématique parce qu'elle permettait au premier ministre de se soustraire à un vote de confiance qu'il allait perdre», rappelle-t-il en soulignant que c'était là une façon d'influencer la vie politique. Mais le jugement de Mme Jean était prudent, reconnaît M. Grammond, surtout que la coalition PLC-NPD appuyée par le Bloc québécois est morte avant même la reprise de la session.
Legs
La gestion de la crise de 2008 demeurera centrale dans l'héritage de Michaëlle Jean. Mais le reste du legs est moins clair. «Je crois qu'elle a profité de la fonction plus qu'elle en a fait profiter, dit Christian Dufour. Je ne pense pas qu'elle laisse grand-chose derrière elle.»
Il dénonce le fait que Mme Jean a «joué un rôle politique important — notamment avec cette idée de briser les solitudes, qui abandonnait la vision québécoise de notre histoire — alors qu'elle n'avait aucune légitimité pour le faire.» Il croit aussi que Michaëlle Jean s'est «"canadiennisée" au fil des ans, comme pour mieux prouver qu'elle n'était pas souverainiste».
Sébastien Grammond signale pour sa part qu'il «n'y a pas à avoir d'héritage, parce que le gouverneur général n'est pas un politicien. Il organise des dialogues, décerne des prix, mais n'a pas de réelle influence sur la politique à long terme. Alors non, je ne crois pas qu'on va retenir quoi que ce soit de plus pour Michaëlle Jean que pour Adrienne Clarkson ou Roméo LeBlanc».
Âgée de 53 ans, Michaëlle Jean consacrera son après-mandat à gérer la fondation culturelle qu'elle vient de créer et à agir comme représentante spéciale de l'UNESCO pour Haïti, où elle concentrera ses efforts à soutenir la reconstruction du réseau d'éducation.


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