Le Québec pourrait surfer sur la vague de l’infonuagique

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Il ne faut pas laisser nos données à des compagnies américaines complices de la NSA et de la CIA


La volonté du gouvernement du Québec de moderniser ses infrastructures informatiques et de se tourner vers l’infonuagique représente une occasion de développer l’expertise des entreprises locales, jugent les experts interrogés.




Depuis quelques années, le Québec tente de s'établir comme pôle d’attraction auprès des entreprises d’infonuagique. La province possède d’ailleurs des avantages considérables pour développer cette industrie.



On a de l’énergie à revendre, on a de l’hydroélectricité, on a de l’eau fraîche, il fait froid. On n’aurait qu’à ouvrir les fenêtres et les centres de données seraient rafraîchis.


Omar Cherkaoui, professeur au Département d’informatique de l’UQAM


Sur le site web d’Hydro-Québec, une section complète sert à présenter aux entreprises de centres de données les avantages de venir s’installer dans la province. La société d’État offre même un tarif préférentiel de 3,98 cents le kilowattheure.


De son côté, Investissement Québec fait valoir sur son site que la situation géographique [du Québec] le protège des catastrophes naturelles telles que les tremblements de terre de fortes magnitudes.



Cela étant dit, il n’y a pas eu de gros succès, estime M. Cherkaoui.


Il y a certaines compagnies qui sont venues, mais ce sont surtout des mines de bitcoins, ajoute pour sa part José Fernandez, professeur titulaire au Département de génie informatique et génie logiciel à Polytechnique Montréal. Malheureusement, en ce qui concerne les infrastructures d’infonuagique, les Amazon et Google ne voulaient pas venir.


Dans les faits, la situation a changé très récemment. Amazon a fait construire un centre de données à Varennes au début de 2018. Google a fait la même chose à Montréal alors qu’Ericsson s’est tournée vers Vaudreuil-Dorion en 2016.


Il y en a plusieurs nouveaux qui sont venus s’installer au cours des dernières années, estime pour sa part Éric Parent, enseignant au programme de cybersécurité à Polytechnique Montréal et à HEC Montréal.


En plus de ces géants internationaux, des entreprises locales tentent aussi de tirer leur épingle du jeu, et le projet de transformation numérique de Québec représente une occasion de développement économique, estime M. Fernandez.


Dire qu’on va prendre cette technologie-là et qu’à défaut d’avoir l’expertise au gouvernement on va l’envoyer sur de l’infonuagique à l’étranger, d’un point de vue économique, c’est un message contraire à ce que dit le premier ministre [François Legault] lorsqu’il affirme qu’il veut plus d’emplois à 90 000 $ par année, estime-t-il.


M. Fernandez craint que Québec soit tenté d’aller vers le plus offrant, à l’international, plutôt que de favoriser des entreprises québécoises.


Ce n'est pas parce que c'est une grosse compagnie qu'elle va faire quelque chose de bien, ajoute quant à lui Éric Parent, qui s'inquiète que le gouvernement ne donne des contrats qu'à ses amis.


Favoriser la fonction publique


En commission parlementaire sur le projet de loi 14, qui se penche sur une utilisation plus efficace des technologies numériques au sein du gouvernement, le Parti libéral du Québec (PLQ) va plus loin en mettant carrément en question la participation du privé, surtout dans le cadre de la gestion des données personnelles des citoyens.



On va obligatoirement augmenter notre niveau de risque, puisqu'on fait rentrer une autre organisation [...]. C'est comme en mathématiques : les facteurs d'erreur, ça ne s'additionne pas, ça se multiplie.


Gaétan Barrette, porte-parole libéral pour le Conseil du Trésor, en commission parlementaire


M. Barrette estime donc que les données ne devraient pas quitter le périmètre gouvernemental.


Comment ça se fait que l’État n’est pas capable, semble-t-il, de faire ce travail-là?, a d'ailleurs demandé le porte-parole libéral.


La Coalition avenir Québec (CAQ) s’est défendue en indiquant que cette pratique n’était pas nouvelle.


On ne vient pas d’inventer quelque chose de nouveau, il y a déjà des consultants qui ont travaillé sur des projets [gouvernementaux] et qui ont eu accès à des données, a répondu, toujours en commission parlementaire le 20 août dernier, le ministre délégué à la Transformation numérique, Éric Caire.


M. Caire a également rappelé que le gouvernement misait beaucoup sur l’Académie de la transformation numérique et le Centre québécois d’excellence numérique pour internaliser, aussi vite que possible, l’expertise.


En matière de sécurité, que ce soit au niveau physique, que ce soit au niveau de la conservation de l’expertise dont on aura de toute façon besoin [...] l’option de consolider à l’intérieur même du gouvernement ou avec un ou deux fournisseurs privilégiés que l’on tient par le collet est infiniment préférable, estime José Fernandez.


Il faudrait arrêter, à un moment donné, de toujours donner des contrats à des compagnies et, dans un contexte aussi complexe, ils [les décideurs publics] devraient embaucher des gens, estime Éric Parent, qui abonde dans le même sens. Ils devraient payer les gros salaires et embaucher les bonnes personnes qui maîtrisent ces sujets-là pour bâtir quelque chose et assurer le suivi.


M. Fernandez anticipe également les déboires financiers et légaux que pourrait entraîner un bris des conditions contractuelles d’une entreprise faisant affaire avec le gouvernement du Québec et ayant accès aux données gouvernementales.


Les chances que ça arrive sont moindres, mais l’impact est tellement significatif, note le professeur.




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