Le Québec peut se passer du pétrole albertain

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Le grand malheur de l'Alberta, c'est que la province n'a pas accès à l'océan


Après la menace de tenir un référendum pour ouvrir la Constitution afin de remettre en question la péréquation, qui serait trop généreuse à l’endroit du Québec, le nouveau premier ministre de l’Alberta, Jason Kenney, a fait adopter une loi l’autorisant à fermer le robinet des pipelines qui acheminent le pétrole des sables bitumineux vers les autres provinces.


Pour l’instant, la cible est le gouvernement de la Colombie-Britannique voisine qui s’oppose à l’élargissement du pipeline Trans Mountain. Mais, Jason Kenney a aussi reçu l’appui, dernièrement, du chef du Parti conservateur Andrew Scheer, du premier ministre de la Saskatchewan, Scott Moe, et de celui du Nouveau-Brunswick, Blaine Higgs, qui ont tous exprimé, en conférence de presse, leur souhait d’une réactivation du projet Énergie Est. Si le Québec maintient son opposition à la construction de ce pipeline acheminant le pétrole « sale » de l’Alberta vers l’est du pays, il ne serait pas étonnant que Jason Kenney fasse revivre le slogan des années 1980 : « Let the Eastern Bastards Freeze in the Dark ».


Cependant, la géopolitique nord-américaine du pétrole a énormément changé depuis les années 1980. À cette époque, les États-Unis convoitaient le pétrole albertain et soutenaient la position de la province contre la « nouvelle politique économique » du gouvernement de Trudeau père, qui voulait un pétrole à bas prix pour le secteur industriel de l’Ontario et du Québec.


Aujourd’hui, avec la « révolution » du pétrole de schiste, les États-Unis sont passés du statut d’importateur de pétrole à celui d’exportateur et leur pétrole, plus léger que celui des sables bitumineux, vient le concurrencer sur le marché québécois. De plus, il est plus compatible avec les installations des raffineries de Suncor à Montréal et de Valero à Lévis, qui approvisionnent le Québec en carburants. Dans l’édition du 6 mai 2019 du Devoir, le journaliste Alexandre Shields confirme que les raffineries du Québec ne sont pas prêtes à acheter plus de pétrole de l’Alberta pour les raisons que nous venons d’évoquer.


La substitution a eu lieu


Un autre argument, souvent mentionné par les promoteurs d’Énergie Est est que le pétrole de l’Alberta des droits de l’homme remplacerait celui de l’intégrisme religieux de l’Arabie saoudite. Il ne tient pas non plus la route. Le rapport sur l’« État de l’énergie au Québec » de la chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal, cité par Le Devoir, nous apprend que 94 % des approvisionnements en pétrole brut de la province provenaient en 2018 d’Amérique du Nord, soit 40 % de l’Ouest canadien et 53 % des États-Unis. Il emprunte le pipeline 9B d’Enbridge, récemment inversé, et le pipeline Portland-Montréal. Les 6% restants proviennent d’Algérie. La substitution a donc déjà eu lieu.


Plus encore, la raffinerie de la famille Irving au Nouveau-Brunswick n’est pas disposée, elle non plus, à préférer le pétrole albertain à celui de l’Arabie saoudite, comme nous l’apprend le journaliste Jacques Poitras dans son livre Pipe Dreams. The Fight for Canada’s Energy Future (Viking, 2018).


Jacques Poitras raconte l’histoire du projet d’Énergie Est en suivant, province après province, le trajet qu’il devait emprunter. Les chapitres les plus importants sont ceux consacrés au Nouveau-Brunswick où le journaliste démolit la justification idéologique du projet, soit le nationalisme canadien.


Malgré les intenses pressions des promoteurs, la famille Irving ne s’était engagée qu’à ne raffiner qu’une infime quantité du pétrole des sables bitumineux, soit à peine 50 000 barils par jour, alors que le pipeline aurait transporté plus de 1,1 million de barils quotidiennement.


[...]


L’objectif véritable des promoteurs d’Énergie Est était non pas d’alimenter le Québec et l’est du pays en pétrole pour remplacer les importations d’Arabie saoudite, mais de profiter du port en eaux profondes de Saint-John pour exporter sur des superpétroliers le pétrole vers l’Europe et l’Asie. Aussi étonnant que cela puisse paraître, à première vue, le chemin le plus court pour rejoindre la côte ouest de l’Inde à partir de l’Alberta passe par l’est plutôt que par l’ouest.


Au cours de l’actuelle période de transition énergétique, il est préférable, d’un point de vue écologique, que le Québec s’approvisionne en pétrole léger des États-Unis plutôt qu’en pétrole sale, plus polluant, des sables bitumineux. Cela est aussi avantageux d’un point de vue politique. Le Québec peut s’affranchir progressivement du pétrole en misant sur l’hydro-électricité, mais il peut également mettre fin à sa dépendance énergétique à l’égard du Canada en recourant au pétrole en provenance des États-Unis.



Des Idées en revues


Chaque mardi, Le Devoir offre un espace aux artisans d’un périodique. Cette semaine, nous vous proposons un texte paru dans la revue L’aut’journal, juin 2019, no 380.








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