Le pari de Pauline

À trop vouloir aplanir les différends, le PQ pourrait aussi perdre un de ses meilleurs «aimants» à militants.

PQ et SPQ-Libre

De retour du Centre des congrès de Lévis, où avait lieu le colloque du PQ sur la «création de la richesse», quelques observations et réflexions en vrac.
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De toute évidence, en expulsant le SPQ Libre du Parti québécois, Pauline Marois fait le pari qu'en se délestant de ce club politique prompt à critiquer et exprimer publiquement des points de vue plus à «gauche» que celui de la direction, les bénéfices politiques qu'elle en retirera à terme seront supérieurs au prix politique immédiat qu'elle pourrait devoir payer dans certains rangs souverainistes plus progressistes.
En expulsant ce club à un an du prochain grand Congrès du PQ, elle s'assure aussi que son «recentrage» du discours péquiste puisse se faire sans la présence visible et audible d'un SPQ Libre qui s'y serait probablement opposé.
Un «recentrage» que Mme Marois qualifiait d'ailleurs elle-même ce week-end de «virage» majeur.
Ce «virage», pour reprendre ses propres termes, étant ceci: «Ce n'est plus l'État qui doit être au centre de notre enrichissement national, ce sont les Québécois et les Québécoises eux-mêmes.»
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Pour la nouvelle, voir: http://www.cyberpresse.ca/actualites/quebec-canada/politique-quebecoise/201003/14/01-4260503-le-pq-montre-la-porte-au-spq-libre.php
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Si ce «virage» ne fait pas pour autant du PQ un disciple des «Lucides», il faudra attendre le Congrès et même la plateforme électorale de la prochaine élection générale pour voir si ce «virage» est essentiellement rhétorique, tactique et électoraliste.
Ou si, comme cela est également possible, il annonce un virage réel vers une vision, disons, plus de centre et de centre-droite. Avec l'expulsion du SPQ Libre, cette dernière hypothèse mérite tout de même d'être examinée.
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Ce virage est aussi le second engagement formel de Pauline Marois lorsqu'elle avait apporté sa «corbeille de la mariée» en devenant chef en juin 2007.
Vous vous souvenez sûrement que dans sa «corbeille», se trouvait l'abandon d'un échéancier référendaire (ce qui fut fait immédiatement).
Restait la «modernisation de la social-démocratie». Ce que le «virage» du week-end vers un État moins interventionniste où l'enrichissement collectif est principalement tributaire de celui des individus - et non l'inverse -, est venu consacrer.
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Son pari, c'est également qu'en mai prochain, la tenue du prochain colloque du PQ portant sur le «partage de la richesse» l'aidera à recalibrer l'impact politique de l'expulsion du SPQ Libre.
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Son pari, c'est aussi de tenter de persuader bon nombre d'électeurs adéquistes précipités dans les limbes par l'écrasement de ce parti, que le PQ s'éloigne des syndicats et surtout, d'une «gauche» qui s'affirme et s'affiche clairement.
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Mais le pari de Pauline Marois, comme tout pari en politique, comporte aussi sa part de risque.
Si le SPQ Libre ne compte en chiffres absolus que quelques centaines de membres, plusieurs d'entre eux, dont ses leaders principaux, Marc Laviolette et Pierre Dubuc, sont néanmoins ce qu'on appelle des «multiplicateurs». À travers leurs réseaux et les réseaux de leurs réseaux, ils «multiplient» le message du PQ et les adhésions potentielles à ce parti dans des milieux, disons, plus sociaux-démocrates. Et pas seulement chez les syndicats. Mais surtout dans les milieux qui avaient tourné le dos au PQ sous le règne de Lucien Bouchard et de son déficit zéro.
Mais éliminer ce club de manière aussi publique et spectaculaire risque dans les prochains mois, d'annuler une partie de ce travail même partiel de «reconquête» d'une gauche profondément désenchantée par l'ère Bouchard.
Ce faisant, cela pourrait en amener plusieurs à joindre Québec solidaire ou à simplement s'abstenir de voter.
Sans compter le malaise que doivent ressentir dans les faits et loin des caméras, les députés péquistes favorables à la présence du SPQ Libre, dont, entre autres, les Pierre Curzi, Monique Richard et la nouvelle recrue, Martine Ouellet de Eau Secours.
Ce malaise, il risque aussi d'atteindre des jeunes plus sociaux démocrates nouvellement arrivés au PQ.
Car le fait est que si Mme Marois cherche à établir l'«unité», la «sérénité» et la «cohésion» dans son parti à la réputation chicanière, la frontière est dangereusement mince entre la «cohésion» et le rejet de toute dissidence essentielle à de vrais débats d'idées.
Si la main devient trop lourde sur les militants, que les débats sont de plus en plus aseptisés et que les différends sont renvoyés systématiquement derrière des portes closes, le PQ risque aussi de perdre une part importante de sa marque de commerce en tant que parti d'«idées» et de débats.
À trop vouloir aplanir les différends, le PQ pourrait aussi perdre un de ses meilleurs «aimants» à militants.
Car s'il est vrai que le PQ se voulait à l'origine une «coalition» gauche-droite-centre» dont le but commun était la réalisation de la souveraineté, il est aussi vrai que dans les périodes où l'horizon référendaire s'éloigne, ce «ciment» s'effrite et les différends idéologiques gauche-droite font invariablement surface... Si on cherche trop à faire taire ces différends, ceux qui ont moins la faveur de la direction risquent d'aller se faire voir ailleurs.
Le pari de Mme Marois comporte encore un autre risque.
À tant vouloir rejeter toute «étiquette gauche-droite» (alors que ces visions existent) - tout en disant opérer un «virage» et en larguant le SPQ Libre, cela risque de renforcer un reproche qu'on entend monter de plus en plus dans l'électorat.
À savoir que sur les grandes questions socio-économiques, le PQ et le PLQ tendent à se rapprocher de plus en plus, alors que la société civile est en quête d'alternatives plus claires et plus distinctives.

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Le pari de Pauline Marois est risqué pour une autre raison. Pour mieux la comprendre, il importe de retourner aux origines du SPQ Libre.
Alors chef du PQ, Bernard Landry créait ce club politique en 2004-2005. On peut épiloguer longtemps sur ses objectifs. Avançons tout de même quelques hypothèses.
1- À un moment où son leadership n'était plus tout à fait aussi acquis parmi les militants, en créant le SPQ Libre, il s'assurait de cet appui.
2- Il cherchait aussi à ramener dans le giron du PQ une partie des sociaux-démocrates en colère contre le régime Bouchard.
3- Alors que se rapprochaient le groupe Option Citoyenne de Françoise David et l'Union des forces progressistes (dont plusieurs membres étaient des ex-péquistes ayant quitté sous l'époque Bouchard) - et ils fusionneront d'ailleurs pour devenir Québec solidaire -, la création du SPQ Libre allait aussi diviser une gauche en voie de s'unir à l'extérieur du PQ. Ce qui donnait aussi au PQ la chance de dire qu'il avait néanmoins sa propre voix de gauche à l'interne.
4- De plus, en créant un club politique au sein du PQ, la direction espérait probablement aussi qu'il suivrait la plupart du temps la «ligne de parti» auquel il venait d'adhérer et s'opposerait donc aussi aux critiques venant de l'UFP, et ensuite, de Québec solidaire.
Mais en fait, au fil du temps, tout cela allait finir par piéger le SPQ Libre. Dans la mesure où lorsqu'ils ont eu des différends avec le PQ, ils n'avaient que deux possibilités.
Ou ils se taisaient et par conséquent, cautionnaient les positions du parti. Ou ils les critiquaient, et se bâtissaient peu à peu une réputation de «boulet» pour la direction. C'est ce qui a connu son dénouement final ce week-end.
Ce qui, en passant, date de longtemps.
En fait, Le Devoir rapportant déjà le 4 juillet 2007, donc dès l'arrivée de Mme Marois comme chef, que «Pauline Marois peut bien projeter de faire un grand ménage au Parti québécois, le SPQ libre ne se laissera pas enterrer facilement, prévient le président de ce club politique, Marc Laviolette. (...)
Marc Laviolette réagissait au questionnement soulevé depuis quelques jours par l'entourage de Mme Marois à propos de la pérennité du SPQ libre (Syndicalistes et progressistes pour un Québec libre) au sein du Parti québécois. La réflexion de la nouvelle chef péquiste aurait été nourrie par la tournée régionale qu'elle a faite avant de prendre les rênes de sa formation politique. Certains péquistes rencontrés dans les diverses circonscriptions auraient critiqué le fait qu'il y a deux catégories de membres au PQ: ceux du SPQ libre et les autres.»
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Comme quoi, il y a de bonnes chances que ce qui s'est passé à Lévis dimanche ait été mûri depuis un bon bout de temps. C'est seulement qu'à un an à peine du Congrès, l'urgence de se délester du «boulet» était devenue incontournable pour la direction.
Et comme le PQ courtise également les électeurs orphelins de l'ADQ - un processus déjà bien enclenché avec la question identitaire -, c'est ce qui s'appelle, du moins, aux yeux des dirigeants, faire d'une pierre, deux coups...
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Donc, il faut retourner à la genèse du SQP Libre. La raison?
Si sa création avait réussi à «diviser» ou, tout au moins, à éparpiller une «gauche» qui tentait de s'organiser et de s'unir un tant soit peu face au PQ -, son expulsion pourrait à son tour avoir l'effet contraire.
Sans compter le mécontentement que cela pourrait soulever chez des alliés traditionnels du PQ.
Hier, il y a d'ailleurs eu un premier coup de tonerre à cet effet avec un communiqué de presse émis par le directeur québécois du syndicat des Travailleurs canadiens de l'automobile, Jean-Pierre Fortin et intitulé: «Un Québec souverain de droite: non merci!».
Il y «dénonce l'expulsion du SPQ-Libre du Parti québécois, aujourd'hui lors du Conseil national du parti. Le leader syndical, qui est également vice-président de la FTQ , voit là la confirmation du virage à droite amorcé depuis quelques temps par la direction du parti. Pour lui, le projet souverainiste n'a de valeur que s'il s'inscrit dans un projet de société progressiste».
Dans ce communiqué, M. Fortin dit aussi ceci: «Le président du Parti québécois, Jonathan Valois a déclaré à RDI que les déclarations de presse du SPQ sont à 80% hostiles au PQ et que ce dernier avait déjà assez d'ennemis. C'est donc dire que, pour lui, les syndicalistes progressistes sont les ennemis du PQ».
Et d'ajouter encore: «Est-ce que Pauline Marois et ses collègues pensent séduire ainsi les anciens supporters de l'ADQ? Si c'est le cas, c'est un très mauvais calcul. En bafouant ainsi son aile progressiste, le Parti risque de se priver de ses éléments parmi les plus dynamiques et les plus mobilisateurs. Il brise aussi avec sa tradition d'ouverture aux débats internes, qui assurait son dynamisme et sa vivacité. C'est d'autant plus paradoxal que, depuis quelques temps, plusieurs décisions stratégiques étaient remises à plus tard sous prétexte qu'il fallait d'abord permettre le débat. Croit-on favoriser la discussion libre en montrant la porte à ceux qui y participent activement?».
Sans oublier ceci: «M. Fortin rappelle qu'il fut le seul vice-président de la FTQ à défendre l'appui au PQ lors des dernières élections provinciales. "Ce n'est pas avec des geste de rejet comme ceux-là qu'on va susciter des appuis militants dans le milieu syndical».
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Bref, «larguer» le SPQ Libre peut être un grand soulagement pour la direction du PQ. Du genre: «bon débarras!».
Pourtant, d'ici l'élection, il pourrait y avoir aussi un certain prix politique à payer pour le «message» que ce geste aura lancé, à tort ou à raison, à des progressistes qui, après avoir boudé le PQ sous Bouchard, pourraient à nouveau être tentés de faire la même chose.
Mais il est clair que Mme Marois fait le pari que ce prix à payer sera minime pour le PQ. Et que son colloque du mois de mai sur le «partage de la richesse» pourra calmer le jeu.
Bref, c'est à suivre.


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