Le NPD de Mulcair - Avec la quête du pouvoir vient le défi de l’équilibre des appuis

D827c5d0e09a73fe079fc53f2b174f93

Le funambule

Ottawa — Il y a deux ans, le Nouveau Parti démocratique créait la surprise en bondissant de quatrième parti au rang d’opposition officielle aux Communes. Le Québec venait de succomber au charme de Jack Layton. Mais à peine trois mois plus tard, le « bon Jack » s’éteignait, et c’est un NPD sous la poigne de Thomas Mulcair qui prenait le relais il y a 12 mois, avec entre ses mains un parti qui pour la première fois de son histoire pouvait aspirer à former le prochain gouvernement. Or, pour ce faire, M. Mulcair doit ratisser plus large, tout en contentant ses électeurs partout au pays. Un équilibre délicat qui a posé un défi au chef québécois.
Le NPD aux couleurs de Thomas Mulcair a sensiblement les mêmes politiques, mais le discours a glissé. Jour après jour, le leader néodémocrate se lève en Chambre pour attaquer Stephen Harper sur son terrain de prédilection : l’économie.
« Thomas Mulcair, ce qu’il veut surtout, à titre de chef, c’est démontrer une crédibilité devant la Chambre des communes, mais aussi à toute l’opinion publique, qu’il a le gabarit d’un premier ministre. Et particulièrement sur le plan de l’économie et de la gestion de l’État », observe André Lamoureux, politologue à l’Université du Québec à Montréal et l’un des rares spécialistes du NPD au Québec.
Tous s’entendent pour dire que Jack Layton avait déjà commencé à tenter d’asseoir son parti comme une solution de remplacement solide en la matière. Mais les efforts sont encore plus soutenus depuis l’arrivée de M. Mulcair, qui fait le pari que le pouvoir lui sera accessible en 2015 s’il convainc que le NPD sera un meilleur gestionnaire fiscal que Stephen Harper. « Il y a deux moyens d’attaquer en politique : attaquer les points faibles, ou les points forts. Attaquer les points forts, c’est un travail de plus longue haleine, mais c’est aussi plus payant, selon nous », confie un proche conseiller du chef.
Pendant longtemps, le NPD était vu comme un parti de gauche, qui manquait de crédibilité sur le plan économique, note Peter Graefe, professeur à l’Université McMaster. « Il a maintenant la confiance de pouvoir en parler davantage », affirme-t-il, en soulignant que M. Mulcair a fait preuve d’habileté en suscitant un débat dans le spectre économique, tout en courtisant un électorat précis.

Des positions non sans controverse
M. Graefe fait notamment référence au « syndrome hollandais », dont M. Mulcair a soutenu l’an dernier que le Canada était atteint - c’est-à-dire que l’exploitation effrénée des ressources naturelles gonfle la valeur du dollar canadien, ce qui nuit au secteur manufacturier ontarien et québécois. « Il a été fort stratégique en trouvant des champs sur lesquels le monde des affaires canadien n’est pas nécessairement unanime […] Il a réussi à prendre position sur quelques enjeux économiques où il savait qu’il ne ferait pas rire de lui par l’“establishment”», estime M. Graefe.
Sa sortie avait toutefois un prix : M. Mulcair a suscité la grogne des politiciens des Prairies. Or tout était jaugé, selon M. Graefe. « Le calcul mathématique, c’est que l’Ontario et le Québec, c’est beaucoup de sièges. Et l’Alberta, non. »
Les propos du chef néodémocrate ont en outre nourri les critiques des conservateurs à son endroit, et donné suite à une première publicité négative à son égard. Si le parti de Stephen Harper a excellé dans le passé à discréditer un chef de l’opposition à coup de messages publicitaires agressifs (Stéphane Dion et Michael Ignatieff ne s’en sont jamais remis), M. Mulcair s’en est cette fois-ci sorti pas trop mal. Les conservateurs s’en sont aussi pris à son équipe, tentant de les diaboliser un à un, sur Internet comme aux Communes. Là encore, sans grand succès.
C’est que le chef du NPD demeure relativement peu connu, au Canada et même au Québec. Les conservateurs semblent donc peiner à lui trouver un talon d’Achille sur lequel marteler pour lui faire perdre des appuis populaires.
M. Mulcair a par ailleurs dû gérer le piège que lui a tendu le Bloc québécois cette année. Les bloquistes l’ont obligé à se prononcer sur la Loi sur la clarté en déposant un projet de loi proposant de l’abroger. La réponse néodémocrate : concilier la reconnaissance d’un vote à 50 % + 1 et le droit du fédéral d’approuver une question référendaire ou de la renvoyer en Cour d’appel québécoise.
Une unité nationale qui divise
Au Canada anglais, plusieurs ont vilipendé le chef, l’accusant de protéger ses votes au Québec plutôt que l’unité nationale. Et la tentative de compromis, qui pourrait hanter le parti en élections, n’a pas non plus fait l’unanimité au caucus, ni dans son cercle rapproché.
Avec le changement de chef est venu un changement de garde, qui n’est plus principalement de Toronto mais davantage de Montréal. « Il y a une sensibilité beaucoup plus fine par rapport au débat [québécois] », reconnaît-on chez les proches de M. Mulcair, où l’on reconnaît que la proposition n’aurait peut-être pas vu le jour sous l’ancien cercle de M. Layton. « C’est le dilemme historique du NPD, le fait de maintenir une base au Canada anglais tout en reconnaissant les droits de la nation québécoise. C’est un dilemme extrêmement difficile à gérer », confirme M. Lamoureux. M. Mulcair n’avait cependant pas le choix, selon lui, car un appui à la Loi sur la clarté « entraînerait un backlash pour le parti au Québec ».
Le compromis n’a toutefois pas fait que des heureux au Québec non plus. Le député saguenéen Claude Patry a claqué la porte pour rejoindre les bloquistes, se disant mal à l’aise de voir un NPD qui « privilégie les intérêts du Canada au détriment de ceux de la nation québécoise ».
Cette défection d’un membre du caucus n’est pas sans importance politique, car elle traduit « qu’un député, et possiblement une frange du NPD, se questionne sur cet engagement du parti sur la question nationale québécoise », croit M. Lamoureux.
Outre M. Patry, Thomas Mulcair a aussi vu partir l’Ontarien Bruce Hyer, qui s’est déclaré indépendant en expliquant qu’il s’opposait au souhait de son chef de ramener un registre des armes d’épaule. Sous le règne intérimaire de Nycole Turmel, Lise St-Denis a quant à elle rejoint les libéraux parce qu’elle contestait certaines positions néodémocrates.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->