Au Canada, la statue de John A. MacDonald à Victoria a été déboulonnée. Au XIXe siècle, le pauvre MacDonald n’avait probablement pas pensé finir ainsi, humilié, dans le pays qu’il a contribué à fonder. Son crime : avoir été hostile aux peuples autochtones. Quand le multiculturalisme règne sans partages, le présent juge le passé.
Après les États-Unis, la fièvre révisionniste a aussi gagné le Canada, grand eldorado de la tolérance multiculturelle. La semaine dernière, la statue d’un des pères fondateurs de la Confédération canadienne de 1867, John A. MacDonald, était déboulonnée à Victoria, la capitale de la Colombie-Britannique. La nouvelle vague antiraciste a déferlé partout, elle a imposé son ordre au-delà des frontières de l’empire. Même la France subit actuellement l’impact de ce tsunami moral, malgré un océan de distance.
Comme celles des pires dictateurs déchus, la statue de MacDonald a été jetée par terre, pour repartir ficelée, en position horizontale, à l’arrière d’une camionnette de la ville. Au XIXe siècle, le pauvre MacDonald n’avait probablement pas pensé finir ainsi, humilié, dans le pays qu’il a contribué à fonder. Le crime de John A. MacDonald : avoir été hostile aux peuples autochtones, ce qui est effectivement une vérité historique. Mais surtout : avoir été un homme blanc de son temps, qui n’avait pas entrevu l’avènement du paradis diversitaire.
Quand le monde devient un safe space
Pour les nouveaux antiracistes, un safe space est un endroit où les minorités (culturelles et sexuelles) peuvent se sentir en sécurité physiquement, psychologiquement et idéologiquement. Les safe spaces sont des endroits où certains débats de société doivent être censurés pour ne pas heurter les sentiments de certaines personnes. Dans une université, un safe space est un séminaire où tous les gens sont d’accord pour accuser l’Occident de racisme, de sexisme, de colonialisme, d’impérialisme et d’islamophobie. Ce sont donc des lieux très neutres destinés à promouvoir l’objectivité scientifique…
Avec le triomphe du multiculturalisme, la logique du safe space est en train d’être appliquée partout, à commencer par l’espace public. Il faudrait épurer les parcs des références à l’histoire, débaptiser les rues et démolir les arcs de triomphe. Il faudrait reconstruire la virginité morale des méchantes sociétés capitalistes.
Le déboulonnage de statues s’inscrit dans une autre tentative de rééducation du peuple, dans une volonté de faire table rase de l’héritage occidental. Il faudrait remplacer le roman national par un roman postnational. Il ne s’agit plus seulement de respecter la diversité culturelle, mais de réécrire l’histoire selon ses exigences. En divinisant les minorités, le multiculturalisme a transformé les livres d’histoire en programmes politiques. Il veut maintenant transformer le paysage.
Faut-il éradiquer l’Homme blanc des Amériques ?
En Amérique du Nord, le néo-révisionnisme s’avère particulièrement violent, car c’est l’existence même de ce continent qui est remise en question. On se souvient qu’en octobre 2017, le maire démocrate de New-York, Bill de Blasio, avait envisagé de faire retirer la statue de Christophe Colomb du célèbre Columbus Circle. Pour certains, le découvreur de l’Amérique incarnait une Europe hostile aux Amérindiens, un passé qu’il fallait camoufler, ou au mieux abolir. La statue ne sera pas retirée, mais le mal était fait.
En attaquant Christophe Colomb au nom du respect des minorités, c’est l’Amérique entière, telle qu’elle existe aujourd’hui, que le mouvement antiraciste attaquait. Ce sont tous les descendants des Européens, y compris les métisses et ceux qui ont adopté leur culture, que le mouvement antiraciste insultait. Si Christophe Colomb incarne le Mal, alors tous ceux qui sont nés de sa découverte l’incarnent aussi. En Amérique, le déboulonnage de statues participe au projet d’éradiquer l’Homme blanc des anciens territoires autochtones. Les « Euro-descendants » devraient retourner dans le pays de leurs ancêtres.
La défaite du libéralisme
Ainsi, malgré son hégémonie apparente, le libéralisme est tranquillement en train de s’éroder. Les tabous et les interdits se multiplient sous la pression de l’antiracisme raciste. Il est de plus en plus difficile de parler librement dans ce monde où des armées de « trolls » vous attendent à chaque intersection numérique. Le multiculturalisme nous entraîne dans une révolution douce. Mais une révolution quand même.
L’empire de la susceptibilité est sur le point de gagner. Pour chaque statue qui tombe, c’est un point de plus pour le camp de la repentance. Pour chaque grand personnage de l’histoire qui est dénigré, ce sont des mètres de terrain que l’Occident perd. Dans le paradis des puritains, le néo-révisionnisme et le multiculturalisme marchent main dans la main.