Réponse à Lucien Bouchard

Le mythe de la quantité

« Notre avenir, un dialogue public »



Lucien Bouchard vient de relancer les demi-vérités du manifeste Pour un Québec lucide en revenant sur le supposé retard de productivité de l'industrie québécoise par rapport à nos concurrents proches, comme l'Ontario et les États-Unis, mythe colporté par les fédéralistes en mal du «né pour un petit pain» pour mieux asseoir notre dépendance.
Pourtant, les analyses de l'Observatoire international de productivité montrent que la Norvège, l'Allemagne, les Pays-Bas, la France et la Belgique ont une productivité horaire supérieure à celle des États-Unis. Dans le cas du Canada, les travaux de Baldwin et Maynard montreraient un retard de moins de 6 % entre 1994 et 2002 en comparaison avec notre grand voisin, notamment à cause des industries primaires et, dans le cas de l'industrie manufacturière, des produits du pétrole, du textile et vêtement et du matériel électronique et électrique.
Quant au Québec, alors que le retard de productivité horaire était de plus de 20 % il y a 30 ans, les données du Centre d'études des niveaux de vie montrent qu'il serait d'au plus 8 % par rapport à l'Ontario ou 5 % par rapport au Canada.
Par contre, si l'on s'en tient au seul secteur manufacturier, l'écart tombe à moins de 4 ou 2 % respectivement. La faiblesse du Québec serait concentrée dans le secteur minier et quelques secteurs des services comme le commerce de gros, les services professionnels et scientifiques et les services personnels, secteurs en partie protégés par la distance culturelle et géographique.
Le Québec jouirait même d'une forte avance par rapport à l'Ontario et aux États-Unis dans l'agriculture, les utilités publiques, les services administratifs et de soutien aux entreprises et même dans les arts et les divertissements. Preuve en est que non seulement les exportations de nos PME manufacturières aux États-Unis ont continuellement augmenté dans les 30 dernières années, mais elles se porteraient bien malgré la récession annoncée, comme le rapportent les principales projections des analystes bancaires des dernières semaines.
La scolarisation d'abord

La productivité n'est qu'un des éléments de la compétition internationale, ce qui limite sérieusement la comparaison dans le nombre d'heures travaillées plutôt que de discuter de la qualité de ces heures et de ses effets sur l'innovation, autre élément clef. Or, de ce côté, l'augmentation rapide de la scolarisation des travailleurs au Québec est gage d'une bonne innovation diffuse touchant tous les éléments de la chaîne de valeur des entreprises, innovation expliquant la plus grande partie de la forte et constante augmentation de nos exportations ces dernières années. Par exemple, la part du PIB en savoir élevé est plus forte au Québec qu'en Ontario.
Rappelons aussi que les études citées sur la productivité horaire montrent que le Japon serait le plus en retard; pourtant, General Motors ou Ford ne sont-ils pas en train d'être complètement dépassés par la qualité des voitures japonaises, répondant aux défis de l'environnement ?
En d'autres mots, on aura beau travailler 50 ou même 60 heures par semaine, jamais nous ne pourrons concurrencer la Chine ou l'Inde sur ce terrain avec leurs faibles salaires. D'un autre côté, la Chine aura beau avoir près d'un million d'ingénieurs dans quelques années, l'innovation ne dépassera pas la phase du copiage sans des travailleurs instruits et participant pleinement à cette innovation, travailleurs que l'on devra finalement payer.
L'innovation est un processus collectif réclamant la participation de toute l'organisation et surtout, pour le personnel des entreprises, du temps de recul par la détente, source de réflexion et finalement d'intuition à la base de l'innovation.
Bref, ce n'est donc pas la quantité des heures travaillées qui assurera le développement du Québec, mais avant tout la qualité de ces heures. L'idée de quantité exprimée par M. Bouchard n'a rien à voir avec la question posée et le défi de la concurrence internationale.
Pierre-André Julien
_ Professeur émérite, Institut de recherche sur les PME, Université du Québec à Trois-Rivières


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