LE SOLEIL - ANALYSE

Le multiculturalisme, une «norme morale»?

Ce modèle n'est cependant pas le seul et il ne possède pas le monopole de la tolérance et de l'ouverture à l'autre. Il doit encore moins demeurer à l'épreuve de toute critique.

Accommodements - Commission Bouchard-Taylor




Dans le présent débat identitaire qui secoue la société québécoise, le multiculturalisme fait de plus en plus l'objet d'attention. Toute véritable réflexion sur ce modèle d'intégration ne pourra cependant être menée sans d'abord corriger un mythe entretenu au sujet des vertus de la «voie canadienne».
Dans le discours de nombreux tenants du multiculturalisme, ce modèle est senti et présenté comme une «norme morale», c'est-à-dire comme l'horizon indépassable de l'ouverture à l'autre ou la perfection en matière de tolérance. Selon cette exigence morale, toute critique à l'endroit de ce modèle traduirait inévitablement une certaine intolérance — comme l'expression d'un repli sur soi, voire l'affirmation d'une xénophobie mal assumée. Ainsi donc, à la manière de la condamnation portée par Pierre Trudeau en 1977 à l'endroit du projet souverainiste québécois, toute remise en cause du multiculturalisme canadien consisterait-elle ni plus ni moins en un «crime contre l'histoire de l'humanité» !
Or, on peut remettre en cause ce modèle canadien sans faire preuve d'intolérance. De même, il est tout à fait possible de condamner l'intolérance sans soutenir le multiculturalisme !
Un «tribunal d'inquisition»?
Cette édification morale du multiculturalisme ne domine pas uniquement le discours des plus fervents défenseurs de ce modèle parmi l'élite canadienne. Ce qui se dégage implicitement de nombreuses interventions livrées dans le cadre des présentes auditions de la Commission Bouchard-Taylor, c'est que cette conception a également pénétré l'esprit de nombreux Québécois.
Par delà les quelques propos parfois douteux, réactionnaires ou tout simplement indéfendables de certains participants à cette commission — propos qui nous sont par ailleurs abondamment rapportés par les médias —, ce qui se donne peut-être le plus à entendre dans ces auditions sont des témoignages très personnels, toujours livrés sur le ton de la disculpation tels que «moi, en tout cas, je ne suis pas raciste; j'ai voyagé à travers le monde; je suis allé à la découverte des autres cultures; je parle quatre langues; j'adore le couscous; j'écoute de la musique africaine; mon meilleur ami est malien, etc…»
Ces témoignages donnent l'impression que derrière ces plaidoyers pour la tolérance et l'ouverture se cache un fort désir chez chacun des participants de s'innocenter d'un crime qu'ils n'ont probablement pas commis, mais auquel ils sentent qu'on pourrait les soupçonner de s'être livrés, à savoir celui d'avoir transgressé une inviolable «norme morale». C'est à se demander si la Commission Bouchard-Taylor ne serait pas devenue une sorte de procédure inquisitoire aux yeux de bon nombre de participants ! Comme si la mission de cette commission était de blanchir les innocents et chasser les hérétiques de ce monde !
Modèle d'intégration
Ces différents plaidoyers qui sont gorgés de bons sentiments viennent à leur façon renforcer la « chape morale » qui pèse actuellement sur toute discussion entourant les questions d'intégration et dont se nourrit précisément le discours de ceux qui défendent le multiculturalisme comme « norme morale ». Dans la mesure où ces propos d'ouverture à l'autre et de tolérance ne sont accompagnés d'aucune réflexion remettant en question le multiculturalisme, ceux-ci viennent donc ultimement, et par défaut, valider le modèle d'intégration qu'impose actuellement la loi canadienne au Québec.
Le multiculturalisme ne détient pas le monopole de l'ouverture et de la tolérance. Loin d'être une norme morale, le multiculturalisme est simplement une politique d'intégration mise en place par Pierre Trudeau au Canada dans les années 1960 à la suite de la commission sur le bilinguisme et le biculturalisme Laurendeau-Dunton. Il est un modèle parmi d'autres, avec ses vertus et ses lacunes.
Ce modèle mise sur une politique qui encourage ceux qui ont choisis de faire du Canada leur maison à «conserver et à affirmer leur identité (Loi sur le multiculturalisme canadien, 1988)». C'est à la société d'accueil de se tenir effacer pour mieux accueillir. Aussi, cette politique conduit-elle à favoriser une sorte de «vivre-dans-la-différence», autrement dit à valoriser la simple cohabitation dans la société des diverses cultures qui la compose sans véritable visée d'intégration. Ce modèle multiculturaliste est le prolongement d'une conception libérale anglo-saxonne de la société, dans laquelle cette dernière est généralement perçue comme étant dépourvue d'identité propre; l'identité de la société n'étant que la simple addition des identités des divers individus qui l'habitent.
Le multiculturalisme est la «voie canadienne», soit le modèle d'intégration choisi par la nation canadienne pour accueillir ses nouveaux arrivants. Ce modèle est conforme à la manière dont la majorité des Canadiens ont de concevoir la société. C'est là un choix légitime.
Ce modèle n'est cependant pas le seul et il ne possède pas le monopole de la tolérance et de l'ouverture à l'autre. Il doit encore moins demeurer à l'épreuve de toute critique.
La nation québécoise, de par sa tradition et ses coutumes, traversée par plus de 300 ans d'ouverture à l'immigration, possède un modèle d'intégration distinct d'inspiration plus républicaine. Ce modèle mise plutôt sur l'édification d'un «vivre-ensemble», sur la base du principe qu'il est du devoir de la communauté d'accueil d'intégrer tous les membres de la nation, quelles que soient leurs origines culturelles. Ce modèle d'intégration est conforme à une conception de la société comme étant porteuse d'une identité. Ce modèle n'est pas moins tolérant, inclusif ni ouvert à l'autre que la «voie canadienne», seulement est-il différent. Au-delà de cette mystification morale, le multiculturalisme n'est qu'un modèle parmi d'autres.
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Danic Parenteau
Professeur adjoint

École d'études politiques, Université d'Ottawa
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