Affaire Huawei

«Le lien de confiance est brisé»: la Chine et le Canada à couteaux tirés

L'impérialisme chinois a décidé de jeter son dévolu sur le Canada

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Chronique de Jérôme Blanchet-Gravel


Vers une impasse diplomatique entre la Chine et le Canada? Tout porte à le croire. Depuis l’arrestation de la haute dirigeante chinoise de Huawei, Meng Wanzhou, les deux pays sont à couteaux tirés. Justin Trudeau et le chef de l’opposition officielle, Andrew Scheer, adoptent un ton plus ferme face à la Chine, accusée d’étendre son influence.



Le Premier ministre du Canada, Justin Trudeau, termine un mandat pour le moins difficile sur le plan diplomatique. Après la dégradation de ses relations avec l’Inde et l’Arabie saoudite, le Canada prend maintenant ses distances avec la Chine.

«La Chine prend des mesures plus fortes qu’avant pour essayer d’imposer sa volonté sur la scène mondiale et des pays occidentaux et des démocraties à travers le monde s’unissent pour signaler que ce n’est pas quelque chose qu’on doit continuer à tolérer», a déclaré Trudeau le 22 mai dernier, justifiant sa nouvelle approche avec cet État.


L’histoire remonte en décembre 2018, avec l’arrestation au Canada de la haute dirigeante chinoise de Huawei, Meng Wanzhou, à la demande des États-Unis. À la suite de son arrestation, la Chine avait prévenu le Canada qu’il s’exposait à de «graves conséquences» s’il ne libérait Mme Wanzhou, dont le père a fondé cette compagnie de télécommunications, liée au gouvernement chinois.


Chose dite, chose faite. Pour riposter à l’arrestation de Mme Wanzhou, la Chine a défendu la condamnation à mort du Canadien Robert Lloyd pour trafic de drogue, et ce malgré l’indignation de Trudeau. Dans le même élan, les autorités chinoises ont arrêté deux autres Canadiens, accusés d’avoir menacé la sécurité de la Chine. Quelques mois auparavant, le développement des liens commerciaux entre les deux pays était pourtant à l’ordre du jour.

Pékin-Ottawa: une connexion interrompue


Des observateurs canadiens pointent le changement d’attitude de Pékin pour expliquer ce revirement diplomatique. C’est notamment le cas de Guy Saint-Jacques, ex-ambassadeur du Canada à Pékin (2012-2016). Selon lui, Justin Trudeau fait bien de se montrer plus ferme à l’endroit du gouvernement chinois, qui serait de plus en plus «arrogant». Dans son essai, L’Arrogance chinoise (Grasset), l’ancien directeur du Monde, Erik Izraelewicz, défendait déjà ce point de vue en 2011. Dans cette optique, le gouvernement Trudeau n’aurait pas une grande part de responsabilité dans cette affaire.


«Ce qu’il a dit [à propos des relations Ottawa-Pékin, ndlr], c’était majeur. C’était une reconnaissance de la nouvelle Chine, la Chine plus agressive, plus arrogante. Ça marque une évolution importante. […] Le seul langage qu’ils [les Chinois, ndlr] comprennent, c’est la fermeté. Moi, je commencerais par dire que le lien de confiance est brisé», a affirmé M. Saint-Jacques en entrevue avec le journal La Presse.



Dans une entrevue accordée à Sputnik, Igor Schatrov, politologue russe et directeur adjoint de l’Institut national du développement de l’idéologie contemporaine, expliquait que la Chine voulait se positionner comme nouvelle puissance mondiale. Le Canada fait les frais de cette nouvelle stratégie.

«Les Canadiens sont devenus des acteurs forcés de la situation autour de l’affaire Huawei. À l’évidence, la Chine renforce ses positions sur la scène internationale, non seulement en tant que puissance mondiale économique, mais aussi en tant que puissance mondiale politique», mentionnait M. Schatrov le 28 janvier 2019.



Ce nouveau développement survient dans un contexte où les Chinois sont accusés d’étendre leur influence au Canada, sur le plan économique comme sur le plan culturel. Dans le domaine de la culture, le gouvernement chinois utiliserait le secteur de l’éducation, ce que suggère un récent reportage de la grande chaîne Radio Canada. Selon l’expert Michel Juneau-Katsuya, interrogé par cette chaîne, les associations de ressortissants chinois au Canada «sont toutes infiltrées par les services de renseignement chinois». M. Juneau-Katsuya est l’ex-directeur de la zone Asie-Pacifique au Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS).

L’influence chinoise pointée du doigt


Sur le territoire canadien, les Instituts Confucius serviraient à promouvoir les intérêts de la Chine. Parallèlement, des Chinois investissent dans de nombreux secteurs de l’économie canadienne. Récemment au Québec, une députée de gauche accusait les Chinois d’être des «prédateurs» en convoitant des terres agricoles.



Cette situation semble inquiéter la classe politique canadienne. Le chef du Parti conservateur du Canada, Andrew Scheer, a averti qu’il se montrerait très ferme à l’endroit de la Chine, tout en accusant Trudeau d’avoir un double discours. Si l’on en croit les sondages, M. Scheer a de bonnes chances de devenir le prochain Premier ministre canadien à l’élection du 21 octobre prochain.

«Le changement soudain de Justin Trudeau face à la Chine n’est qu’un revirement désespéré en année électorale. […] Au fond de lui-même, Trudeau admire la “dictature de base” de la Chine. S’il est réélu cet automne, il reprendra sa politique d’apaisement avec la Chine», a déclaré Andrew Scheer lors d’un discours à Montréal.



Chose certaine, quels que soient les objectifs chinois, cette nouvelle saga pourrait anéantir les efforts faits par le Canada pour développer ses liens commerciaux avec l’Empire du Milieu. Justin Trudeau avait débuté son mandat en lançant des discussions sur un éventuel traité de libre-échange entre les deux pays. Avant lui, l’ancien Premier ministre conservateur, Stephen Harper (2006-2015), avait aussi amorcé des démarches importantes avec la Chine. En se rapprochant de Pékin, M. Harper souhaitait réduire la dépendance économique du Canada à l’égard de l’Oncle Sam. Ce projet semble maintenant gelé.