Le jour où le monde a changé?

11 septembre 2001



Le 11 septembre 2001, ce n'est pas le jour où le monde a changé. C'est le jour où les Américains, mais aussi les Occidentaux, se sont brutalement aperçus, avec des années de retard, que le monde s'était transformé sans qu'ils ne s'en rendent compte.
La brutalité du geste, le fait que les terroristes aient volontairement tué des innocents, le fait que la destruction des tours ait frappé une société qui se croyait à l'abri de ce genre de violence ont évidemment contribué à cette prise de conscience. Les images aussi.
Dans une société où la réalité est définie par le petit écran, l'effondrement des tours jumelles du World Trade Center a marqué les imaginations de façon indélébile.
Mais l'effondrement des tours n'était pas un commencement. C'était un aboutissement. Une attaque de cette envergure a été le fruit d'un long processus de planification; la sophistication de cette opération était elle-même le produit du développement du réseau d'Al-Qaeda, de la multiplication des attentats commis en son nom; et le développement de cette forme de terrorisme intégriste s'explique aussi par le jeu des forces tectoniques qui ont ébranlé la planète, de la fin de la guerre froide à la crise interne des sociétés arabo-musulmanes.
Pourquoi rappeler ce qui devrait être une évidence? Parce que le fait de voir le 11 septembre comme un début a amené bien des gens à de graves erreurs d'interprétation. C'est ce qui a entre autres permis d'affirmer que cet attentat était une espèce de punition et que les Américains, par leurs politiques, étaient les artisans de leur propre malheur. Dans cette expression d'anti-américanisme primaire, hélas répandue au Québec, le président George W. Bush incarne le dogmatisme et l'insensibilité qui a provoqué les foudres des terroristes.
Ce qu'on oublie alors, c'est que le processus qui a abouti à ces attentats s'est amorcé bien avant l'arrivée au pouvoir de George W. Bush. La montée d'Al-Qaeda, la volonté de frapper au coeur de l'Amérique, la préparation d'attentats où des avions de ligne devenaient des armes, tout cela s'est déroulé lorsque le président des États-Unis était Bill Clinton, que nous n'associons pas à l'obscurantisme américain. Ce n'est pas George Bush ou les politiques républicaines que visait Al-Qaeda, mais l'Amérique tout court.
Et quand on réalise que George Bush n'était pas la cible, il devient bien plus clair, qu'en attaquant les États-Unis, Al-Qaeda attaquait certes la seule grande puissance économique et militaire, mais visait également un mode de vie, des institutions et des valeurs qui sont aussi les nôtres. À bien des égards, les sociétés canadienne et québécoise incarnent bien davantage le monde impie et dissolu qui révulse les intégristes musulmans que les régions du Bible Belt américain auxquelles on associe le président Bush.
Et quand on retire George Bush de l'équation, il devient également difficile de recourir aux dos-à-dos odieux qu'on a pu observer au Québec, où l'on réduit la guerre des États-Unis contre le terrorisme à une opposition entre deux intégrismes qui s'équivalent, celui de George W. Bush et celui d'Oussama ben Laden.
Le 11 septembre 2001 a néanmoins été le début de quelque chose, et c'est la réaction des États-Unis à la menace terroriste. Le choc psychologique, le cynisme politique et l'aveuglement dogmatique ont mené les États-Unis dans une aventure tragique: le simplisme du concept de l'axe du mal, le mensonge, avec l'association de Sadam Hussein au terrorisme et le mythe de ses armes de destruction massive, et l'effondrement moral, avec les prisons secrètes, la torture, le mépris de la convention de Genève.
Mais ces dérives, aussi condamnables soient-elles, et d'ailleurs de plus en plus condamnées aux Etats-Unis, ne justifient pas que l'on banalise les forces qui se sont exprimées le 11 septembre 2001. Elles ne doivent pas amener à minimiser la menace terroriste, toujours présente, même chez nous. Et plus encore, que le terrorisme est une manifestation d'un intégrisme musulman poussé au bout de sa logique.
En ce sens, le premier ministre Harper n'a pas tort de faire un lien entre le 11 septembre et la présence des troupes canadiennes en Afghanistan. On semble avoir oublié, dans le débat, ce qu'était le régime des talibans, une théocratie sanguinaire et obscurantiste.
Derrière Al-Qaeda, mais aussi derrière le Hezbollah, derrière les talibans, on retrouve une volonté de détruire ce que des sociétés comme la nôtre ont tenté de bâtir, parfois maladroitement: la démocratie, une certaine conception de l'égalité et de la justice, une organisation de la société capable d'assurer le bien-être, mais aussi une valorisation du savoir, du débat, de la liberté de penser.


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