Le grand défi de 2010 : l’unité canadienne

Le "fédéralisme bitumineux" - américanisation du Canada

Du sommet de Copenhague, beaucoup ont retenu l’évidente cassure entre le Canada et ses partenaires industrialisés en matière de lutte contre les changements climatiques. Le spectacle de la délégation canadienne nageant énergiquement à contre-courant de la commu­nauté internationale sur la question de l’environnement à la grand-messe du mois de décembre était saisissant.
Mais le sommet a donné lieu à un autre spectacle canadien encore plus inédit. Sur un thème incontournable du débat international actuel, le Canada est incapable de parler d’une seule voix. Et même s’il se dotait d’un gouvernement fédéral plus vert demain matin, ce der­nier n’aurait pas pour autant les moyens politiques de ses ambitions écologiques.
En ce début de 2010, tout est en place pour ce qui pourrait devenir la première crise d’unité canadienne du 21e siècle. Ce n’est pas parce qu’on par­lera d’environnement plutôt que de Constitution et de l’Alberta plutôt que du Québec que la réconciliation d’aspirations contradictoires s’annonce plus évidente, comme en font foi les éléments suivants.
1. Un clivage interprovincial : D’un côté, on trouve des provinces dont l’économie ne repose pas sur la production pétrolière ou gazière, comme le Québec, l’Ontario, la Colombie-Britannique et le Manitoba. Elles comptent pour 80 % de la population du Canada, se taillent la part du lion dans son économie, et elles craignent les répercussions de l’attentisme fédéral sur leur compétitivité.
De l’autre côté, on trouve l’Alberta, la Saskatchewan et Terre-Neuve-et-Labrador. La production énergétique est à la base de leur prospérité. L’Alberta est d’autant plus chatouilleuse qu’elle est la province qui reçoit le moins d’argent fédéral par rapport à ce que sa population verse en impôts. On s’y souvient encore du Programme national de l’énergie, initiative du dernier gouvernement Trudeau qui avait appauvri l’Alberta pour aider l’Ontario à traverser la crise de l’énergie du début des années 1980.
2. Une conjoncture budgétaire difficil­e : Le Canada, tous gouvernements confondus, se prépare à entrer dans une période de vaches maigres. Pour l’avenir prévisible, il ne faut plus compter sur l’Ontario, qui vit une restructuration majeure de son secteur manufacturier, pour jouer son rôle traditionnel de vache à lait de la fédération. À Ottawa, il n’y a plus de réserves dans lesquelles puiser pour amortir le choc initial d’un passage rapide du Canada à l’ère de la lutte contre les changements climatiques.
3. Un gouvernement fédéral fragile : Par définition, un régime minoritaire n’est pas programmé pour prendre des déci­sions difficiles. L’odeur de démission collective face à l’environnement qui se dégage du gouvernement Harper ne tient pas exclusivement à l’absence de convictions du premier ministre sur la question des changements climatiques, mais également au fait que pour satisfaire l’électorat sur lequel pourrait reposer l’avenir de son parti, il faudrait qu’il accepte de sacrifier sa base.
4. Un gouvernement albertain aux abois : Menacé sur sa droite par la Wildrose Alliance, le premier ministre conservateur, Ed Stelmach, pilote sans grande vision — à part celle, apocalyptique pour lui, d’une défaite électorale contre un parti qui s’inscrit dans la mouvance écosceptique.
Dans le Canada anglophone, l’axe constitutionnel et identitaire n’a jamais eu la même pertinence qu’au Québec. En raison de leur position centrale dans l’avenir des provinces pro­ductrices, les richesses énergétiques touchent une corde nettement plus sensible.
Lors de ses démêlés avec le gouvernement Harper sur la place des revenus énergétiques dans le calcul de la péréquation, le premier ministre terre-neuvien, Danny Wil­liams, avait même fait retirer les drapeaux du Canada de devant les bâtiments publics de sa province. Un sénateur libéral avait alors évoqué la création d’un Bloc terre-neuvien pour défendre les intérêts de sa province aux Communes.
Dans le cas de l’Alberta, Stephen Harper lui-même avait cosigné, il y a une dizaine d’années, une lettre invitant sa province à dresser un pare-feu institutionnel pour se prémunir contre les menées du reste du Canada. S’il était aujourd’hui du côté provincial de la barrière, on le retrouverait peut-être à la tête de la Wildrose Alliance !


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