Les conflits récents en Libye en Syrie et en Ukraine ont donné lieu à des analyses souvent pertinentes de la part des médias non alignés qui ont insisté sur l’ingérence étrangère et souligné le décalage existant entre les justifications de ces interventions et leurs méthodes opératoires.
En Libye comme en Syrie, les opérations visant à un changement de régime se sont appuyées sur des groupes djihadistes salafistes dans le but officiel d’établir des régimes politiques que l’on peut qualifier de « démocratie de marché ». Cette dernière se caractérise selon la théorie politique par la mise en place d’un état de droit garant de la défense et de l’exercice des droits individuels face à la puissance étatique, la mise en place d’un régime démocratique représentatif basé sur l’élection de représentants et la liberté de choix politique ainsi que par le développement d’une économie de marché qui reproduit au niveau économique la pluralité du choix politique.
En Ukraine, le renversement de régime opéré à la faveur de la révolution du Maïdan s’est appuyé sur des groupes utra-nationalistes d’extrême droite se revendiquant de l’idéologie néo-nazie et du suprématisme blanc, comme le Pravy Sektor ou Svoboda.
Afin d’expliquer la contradiction existant entre les motivations officielles de l’ingérence occidentale et ses ressorts opérationnels, les principales thèses avancées par les analystes et les médias non alignés ont souligné le caractère impérialiste des interventions occidentales ainsi que leurs motivations cachées, d’ordre économique ou géopolitique. Il s’agit, selon ses narratives divergentes, de mettre en place des régimes démocratiques de façade sur le modèle mis en place par la France dans ses anciennes colonies africaines, la françafrique, constitués dans les faits de protectorats à couleur démocratique mais sous influence occidentale, et surtout pro-business. La libéralisation de l’économie, et l’ouverture aux investissements étrangers, notamment en ce qui concerne le secteur des ressources naturelles, constituerait ainsi, selon le cadre de l’impérialisme historique, les véritables motivations des politiques de changement de régime. La promotion de la démocratie représentative et de l’état de droit ne constituerait ainsi qu’un volet rhétorique destiné à l’embrigadement idéologique des opinions publiques occidentales et à masquer la véritable nature d’opérations néocoloniales.
Ce cadre interprétatif s’appuie sur des faits convaincants. En Ukraine et en Libye, le secteur des ressources naturelles fut ainsi le premier à être privatisé. Le fils du vice-président américain Joe Biden, Hunter Biden, fut notamment nommé au conseil d’administration de la Borussia Holding, la première compagnie énergétique privée du pays. En Libye, les compagnies occidentales, notamment l’italienne ENI et la française Total, ont pu accéder à l’exploitation des ressources pétrolières du pays suite au démembrement de la compagnie nationale, la National Oil Corporation.
Cependant, ce cadre interprétatif est-il suffisant ? Permet-il d’appréhender l’implication de tous les acteurs occidentaux, et notamment des think tank et ONG spécialisées dans la défense des droits de l’homme, comme par exemple la très influente Open Society du milliardaire américain Georges Soros ?
La fondation de l’homme d’affaire se donne officiellement pour but sur son site Internet de promouvoir une « société ouverte » en référence à la théorie politique de Karl Popper, opposant les sociétés « fermées » de type collectivistes, au modèle de société développé par les démocraties représentatives occidentales basées sur l’état de droit et la défense des libertés individuelles face au collectivisme d’état. Ce courant idéologique a été développé chez de nombreux penseurs après la deuxième guerre mondiale en réaction aux expériences totalitaires, comme Friedrich Hayek, un des principaux théoriciens du néo-libéralisme ou encore John Rawls, qui a développé plus spécifiquement une théorie de la justice qui sert de base argumentative au courant de promotion et de défense des « droits de l’homme ».
Georges Soros, comme Popper ou Hayek, ont été profondément marqués par les régimes totalitaires nazis et soviétiques et la deuxième guerre mondiale. Soros a notamment échappé de peu à la déportation en Pologne avant d’émigrer par la suite aux États-Unis. Son père a également été déporté au Goulag avant de réussir à s’enfuir. Ces expériences dramatiques ont marqué de manière indélébile l’homme d’affaire comme il l’explique lui-même dans certains de ses essais et l’ont poussé à promouvoir le modèle de « société ouverte » théorisé par Popper par l’intermédiaire de sa fondation.
Il paraît donc raisonnable d’envisager que l’idéologie des droits de l’homme et de la société ouverte promue par Soros et son cercle d’influence, dans lequel on retrouve par exemple Hillary Clinton ou Bernard-Henri Levy, soit motivé, au moins au niveau idéologique, par des convictions sincères et la volonté de lutter contre les « sociétés fermées » assimilées au totalitarisme. Il faut noter ici que pour Popper, les « sociétés fermées » débordent largement le cadre du totalitarisme, et se caractérisent par la domination des formes collectives sur les libertés individuelles. Les sociétés tribales ou pré-étatique appartiennent ainsi selon lui à cette catégorie… On peut ainsi se demander dans quelle mesure cette idéologie sacralisant l’individu en réaction à l’horreur totalitaire a pu elle-même se muer en fanatisme.
Ce dernier se caractérise par la subordination des moyens aux fins et par la prétention à l’universalité. Le fanatisme, sous quelque forme qu’il se présente, se traduit par la négation de toute opposition et l’imposition de sa doctrine, quels qu’en soient les coûts, notamment humains.
On retrouve cette logique à l’oeuvre derrière l’interventionnisme humanitaire que l’on peut qualifier de fondamentalisme des droits de l’homme. Les coûts humains sont systématiquement relégués au second plan comme l’a montré la déclaration de l’ancienne secrétaire d’état américaine Madeleine Albright, estimant que les 500 000 enfants morts des suites de l’embargo contre l’Irak était « le prix à payer » pour la démocratie. Le fondamentalisme ou fanatisme des droits de l’homme se caractérise également par son caractère impérialiste. Le changement de régime est ainsi imposé aux populations au nom de cette idéologie et des principes « supérieurs » dont il se réclame sans consultation populaire, c’est à dire bien souvent sans qu’existe un consentement populaire.
A cet égard, les « révolutions de couleur » portées par l’Open Society dans certains anciens pays du bloc soviétique est exemplaire. Ce fut la « révolution des roses » en Géorgie en 2003 qui a porté au pouvoir par l’intermédiaire d’un coup d’état Mikheil Saakachvili, le candidat d’opposition financé et soutenu par l’antenne locale de sa fondation. Georges Soros a également publiquement reconnu le rôle de sa fondation dans le coup d’état ukrainien du Maïdan dans une interview à CNN en 2014, qui a abouti à la destitution du président légitime Victor Ianoukovitch.
Au niveau opérationnel, le soutien à divers groupuscules ouvertement néo-nazis en Ukraine, comme Svoboda ou Pravy Sektor, ainsi que le soutien aux groupes djihadistes salafistes en Libye et en Syrie, illustre la caractéristique fondamentaliste de subordination des moyens aux fins, même lorsque ceux-ci entrent en contradiction ouverte avec le but recherché.
Comme le montre le parcours personnel de Georges Soros marqué par son expérience intime du totalitarisme, ainsi que la vision idéologique d’un Friedrich Hayek pour qui le collectivisme, notamment communiste, constitue la plus grande menace pour l’humanité, l’avènement de la « société ouverte » est motivé par une haine viscérale qui trouve son origine dans les grands totalitarismes. Comme dans toute idéologie fondée sur l’instinct de survie et la haine de l’autre, le fanatisme que nous pouvons observer depuis la chute de l’Union Soviétique ne constitue donc pas une surprise mais un développement logique.
Le fondamentalisme des droits de l’homme possède ainsi un caractère ouvertement universaliste et totalitaire, explicité notamment par Soros lui-même dans son ouvrage « Open Society », qui suppose son extension à l’ensemble des sociétés humaines et sa régulation au niveau mondial par l’intermédiaire de structures de gouvernance globalisées…
Guillaume Borel | 7 février 2016
Source : http://arretsurinfo.ch/le-fondamentalisme-des-droits-de-lhomme-par-guillaume-borel/
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