Les relations troubles du groupe Lafarge avec l’État Islamique

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Desmarais - Le modus operandi des prédateurs (suite)


LafargeHolcim (*) vient de confirmer ce 2 mars 2017, les révélations publiées en février 2016 par Arrêt sur Info selon lesquelles la filiale locale de Lafarge, basée dans le Nord-Est de la province d’Alep, entretenait depuis 2012 des liens d’affaire avec les « groupes armés » [sans préciser toutefois que ces groupes relevaient d’organisation terroristes].


Pour rappel, le 23 février 2016 Arrêt sur Info, se fondant sur des documents secrets découverts dans la province d’Alep par l’armée syrienne, révélait que des contrats avaient été passés en Syrie entre l’organisation Etat islamique et le cimentier Lafarge (**).


Le 19 février 2016 le journal syrien Zaman al-Wasl divulguait les documents faisant état d’arrangements troublants entre Lafarge et l’Etat islamique (***).


Dans un article, du 29 février 2016, le lanceur d’alerte Guillaume Borel donnait tout son poids aux divers documents montrant que le groupe Lafarge entretenait bel et bien des liens d’affaire avec les groupes terroristes en Syrie. [Lire son article ci-dessous].


A noter qu’en Europe la presse traditionnelle a attendu quatre mois avant de faire état d’une information aussi grave. Ce n’est que le 21 juin 2016, que Le Monde a commencé à en a parler… [Silvia Cattori, le 2 mars 2017]







Les relations troubles du groupe Lafarge avec l’État Islamique


Par Guillaume Borel | 29 février 2016


Une cimenterie basée dans le nord-est de la province d’Alep et appartenant au groupe français Lafarge se serait fournie en produits pétroliers auprès de l’État Islamique selon des documents obtenus par le média syrien Zaman al-Wasl.


Selon ces documents et courriels, le cimentier Lafarge Syrie aurait acheté des produits pétroliers à l’Etat islamique.


Frédéric Jolibois, le directeur de Lafarge Syrie, aurait refusé de répondre aux sollicitations de Zaman al-Wasl, affirmant que sa société « ne répondait pas aux rumeurs », mais aurait cependant confirmé que la société protégeait ses salariés et avait fait de leur sécurité sa priorité, ce pourquoi elle avait évacué une installation située à Jalibeh, à 160 km d’Alep, en septembre 2014.


Lafarge Syrie s’est établie à Jalibeh, entre Ras Alain et Ayn al-Arab (Kobané), et la production a démarré en 2010, à un volume de 2,5 à 3 millions de tonnes.


L’implantation du groupe français Lafarge en Syrie fait suite au rachat de la compagnie nationale de ciment, elle-même fondée par le syrien Firas Tlas sur instruction de Bachar al-Assad, et par le businessman égyptien Naguib Sawiris et son frère Nasiff, directeur d’Orascom Construction Industries. Les deux frères ont lancé la construction de la cimenterie sous le nom de « Ciment syrien », en partenariat avec Firas Tlas. Un joint-venture a ensuite vu le jour avec le groupe Lafarge qui a pris le contrôle de la société en 2007.


Après avoir annoncé son soutien à la révolution, Firas Tlas a été accusé par le gouvernement syrien de financer le terrorisme et ses participations dans la cimenterie ont été transférées au ministère de l’industrie syrien.


Zaman al-Wasl a publié récemment des éléments de preuve révélant des transactions commerciales entre Lafarge Syrie et l’organisation État Islamique, concernant les produits pétroliers et du ciment, notamment des courriels internes à la société française et des documents provenant de l’Etat Islamique.


Le 13 juillet 2014, selon les courriels présentés par Zaman al-Wasl, le directeur des ventes de Lafarge Syrie, Mamdooh al-Khalid, aurait ainsi écrit à Bruno Pescheux, le directeur du groupe pour la Syrie jusqu’à l’été 2014, afin de l’avertir de l’approvisionnement de la filiale locale du groupe en carburant auprès de sources non-gouvernementales, dans des zones hors de contrôle de l’Etat syrien. Le sujet étant devenu très sensible et dans le cas où le gouvernement syrien aurait connaissance des faits et engagerait une action contre la société, il convenait selon lui de mettre en place une procédure adaptée.


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Le lendemain, Pescheux répondant à Mamdooh aurait convenu avec lui de la nécessité d’adopter une ligne de conduite précise au cas où l’Etat syrien découvrirait les sources d’approvisionnement de la cimenterie du groupe. Il lui aurait conseillé de mettre en avant le fait que la société Lafarge a fait tout son possible pour obtenir du carburant de la part de sources officielles, et de renouveler ses demandes auprès de la raffinerie de Homs. Pescheux affirme notamment dans un courriel publié par Zaman al-Wasl :


« Comme nous en avons convenu plus tôt, il est important que nous puissions démontrer que nous avons fait tous les efforts possibles pour obtenir le HFO (ndlr : hydrofluoroléfine, dérivé d’hydrocarbures servant à la réfrigération) de sources gouvernementales […] En parallèle nous devons préparer nos arguments :


– HFO est absolument nécessaire au fonctionnement de l’usine et à  la vente de ciment sur laquelle le gouvernement perçoit des taxes


– Le HFO que nous consommons ne part pas à l’étranger sous forme de contrebande et bénéficie au secteur syrien de la construction »


– Il s’agit d’une très petite quantité par rapport à la contrebande qui part en Turquie


– Il est très difficile de faire venir du charbon de Tartous »


Les documents cités indiquent que le 9 septembre 2014, Ahmed J, l’intermédiaire entre Lafarge Syrie et l’organisation État Islamique envoie un courriel au ton virulent demandant le paiement d’une avance de plus de 7 millions de livres syriennes à Daech et avertissant la société qu’elle traitait avec le groupe armé islamique la plus puissante au monde… Ahmed avertit que la situation a atteint un point critique et que Lafarge a jusqu’à la fin du mois de septembre pour effectuer le paiement.


Le 10 septembre 2014 l’employé responsable des achats avertit Frédéric Jolibois, le remplaçant de Pescheux, parti en juillet 2014 prendre la direction de Lafarge Kenya, en lui demandant par courriel d’être déchargé des négociations avec l’État Islamique, estimant qu’il « risque sa vie pour la société ». Dans son courriel, il mentionne également le fait que la relation commerciale avec l’État Islamique a été initiée par l’ancien directeur Bruno Pescheux, il affirme : « Je prenais mes instructions de lui et ait initié l’ordre d’achat avec son approbation. »


Frédéric Jolibois répondra à son employé de maintenir la relation avec l’État Islamique et de payer la somme exigée : « N’entrez pas en contact avec d’autres fournisseurs, et renvoyez-les vers moi en cas de problème. »


La relation avec l’État Islamique aurait eu lieu à plusieurs niveaux : outre l’achat de produits pétroliers, la société Lafarge aurait fourni également du ciment à l’organisation Etat islamique afin qu’elle l’écoule sur le marché noir. Le responsable financier de l’organisation terroriste a notamment délivré un laisser-passer autorisant l’entrée des camions du groupe dans Alep le 5 septembre 2014.


Voici le document qui atteste la vente de ciment par la société Lafarge à l’Etat islamique:


Les frères djihadistes ( moujahidines) sont priés de laisser passer aux barrages le véhicule transportant le ciment de la société Lafarge, après accord avec elle sur le commerce de ce produit.


Le nom du chauffeur ainsi que le numéro du camion portent le tampon de l’organisation Etat islamique.


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La cimenterie, qui était sous la protection militaire du PYD, la branche syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan, depuis août 2013, est finalement tombée aux mains de l’État Islamique le 25 septembre 2014, et, selon le directeur de l’Observatoire Syrien des Droits de l’Homme, elle aurait été partiellement brûlée. On peut penser qu’il s’agit là de la réponse de l’organisation terroriste aux retards de paiements du groupe Lafarge et à la rupture de leurs relations commerciales. La direction du groupe avait en effet pris la décision d’évacuer son personnel le 18 et 19 septembre et de suspendre l’activité du site…


Guillaume Borel | 29 février 2016


(*) En 2015 Hochim et Lafarge ont annoncé la fusion.




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