Le drap rouge

Conflit étudiant - grève illimitée - printemps 2012



Bien sûr, il serait « grotesque », pour ne pas dire « ignoble », de penser que le gouvernement Charest ait voulu saboter l’entente intervenue samedi avec les associations étudiantes à des fins électorales. Le premier ministre l’a assuré : il n’y a pas d’élection « programmée » ce printemps. Alors, comment expliquer le triomphalisme aberrant auquel on a assisté aussitôt l’entente signée ?
À la limite, on aurait pu expliquer par un désir de vengeance les remarques inutilement provocantes de Line Beauchamp. Dès le début du conflit, la ministre de l’Éducation a semblé en faire une affaire personnelle et chercher une victoire par K.-O.
Le problème est que le premier ministre Charest, qui avait l’occasion de corriger le tir à l’issue du conseil général du PLQ, a adopté le même ton. En conférence de presse, c’est tout juste s’il ne s’est pas payé la tête des associations étudiantes, qui auraient eu la naïveté de croire que des économies significatives pourraient être réalisées dans les budgets des universités. Il est vrai que leur statut minoritaire au sein du futur Conseil provisoire des universités risque de les condamner aux démonstrations théoriques.
À l’issue des dernières négociations dans le secteur public, au cours desquelles le gouvernement avait atteint ses objectifs budgétaires avec une étonnante facilité, les porte-parole gouvernementaux avaient bien pris soin de ménager l’amour-propre des employés de l’État. Les étudiants méritaient certainement les mêmes égards.
Après les réactions très négatives provoquées par son humour déplacé lors du Salon Plan Nord, on se serait attendu à ce que M. Charest s’élève à la hauteur qu’on attend du chef du gouvernement. C’était manifestement trop lui demander.
Après avoir accusé Pauline Marois d’avoir cautionné la violence en adoptant le carré rouge, était-il plus responsable d’agiter un drap rouge devant le taureau étudiant après le saccage de Victoriaville ? Si le but de la manoeuvre était de l’enrager, les résultats des premiers votes sur l’entente attestent sa réussite. Là où le mouvement commençait à s’essouffler, cette gifle pourrait lui donner une nouvelle vigueur.
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Même sans cette provocation, il aurait sans doute été difficile de faire approuver l’entente par la CLASSE, mais le gouvernement pouvait raisonnablement espérer que la FEUQ et la FECQ, plus modérées, se montreraient ouvertes au compromis. La modération n’exclut cependant pas la fierté. Personne n’aime avoir l’impression de s’être fait rouler.
Les deux associations réclament maintenant des modifications au texte, dont le libellé ne refléterait pas ce qui avait été convenu verbalement.
Il est impensable qu’on l’ait tripoté après coup pour dénaturer l’entente, mais il est évident qu’un marathon auquel participaient des négociateurs chevronnés constituait un défi d’une rare exigence pour des non-initiés.
Le bilan que le comité de négociations de la CLASSE a adressé aux associations membres traduit très bien la difficile expérience vécue par son représentant, Philippe Lapointe. « En isolant le représentant, le gouvernement a aussi pu plus facilement l’introduire dans un état de fatigue et émotionnellement plus faible. Lors de la signature finale du document, il était donc passablement moins éveillé, alerte et capable de sens critique. »
Dans ces conditions, il n’aurait pas remarqué que plusieurs éléments avaient été modifiés. « Le comité de négociation fut consterné de voir ce avec quoi revenait Philippe. Une grande tension s’est fait sentir au sein du comité […] C’est amèrement déçus que nous sommes revenus à Montréal présenter ce document aux associations alors réunies en congrès. »
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Le président de la CSQ, Réjean Parent, qui participait aux négociations, parlait hier d’un « texte préliminaire », qui ne traduisait pas nécessairement l’ensemble des discussions, mais auquel la ministre de l’Éducation n’aurait pas exclu d’apporter d’éventuelles modifications.
En acceptant que le texte soit revu, le gouvernement aurait pu démontrer sa bonne foi et corriger l’effet désastreux des déclarations de samedi, mais M. Charest a clairement indiqué qu’il n’en était pas question. Ce retour à la case départ n’augure rien de bon.
Le premier ministre n’a plus que huit jours pour déclencher des élections qui pourraient être tenues avant la Saint-Jean-Baptiste, mais il ne pourrait pas décemment le faire avant que toutes les associations étudiantes se soient prononcées. La présidente de la FEUQ n’en continue pas moins de soupçonner le premier ministre Charest de préparer des élections sur le dos des étudiants.
Il est vrai que la population appuie massivement la hausse des droits de scolarité. Le rejet de l’entente et la poursuite de la grève constitueront assurément une immense déception, mais personne ne demandait que l’on humilie les étudiants. Les Québécois n’aiment pas plus la mesquinerie que le désordre.


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