Le Devoir d’histoire - Georges-Émile Lapalme pourfendrait Philippe Couillard

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Couillard, dernier fossoyeur du PLQ historique

Deux fois par mois, Le Devoir lance à des passionnés de philosophie, d’histoire et d’histoire des idées le défi de décrypter une question d’actualité à partir des thèses d’un penseur marquant.
Dans sa lettre au Devoir intitulée « Revenir aux sources de l’idée libérale » (5 décembre 2012) et faisant office d’énoncé tout autant idéologique que programmatique, l’aspirant chef du PLQ Philippe Couillard souhaitait que sa formation politique revienne aux principes fondateurs du libéralisme. Sous sa plume, de grands « rouges » - J.-C. Harvey, T.-D. Bouchard, A. Godbout, R. Bourassa - sont mobilisés aux côtés des Patriotes et de Wilfrid Laurier pour refonder le fédéralisme des provinciaux.
Le propos est tranchant, d’une intransigeance parfois hautaine, doublée d’une adhésion philosophique au multiculturalisme et à la sacralisation des droits individuels par des Chartes dont les interprétations sont imposées par les hauts tribunaux du Québec - dont les juges sont exclusivement nommés par Ottawa -, mais surtout du Canada.
Plus récemment, M. Couillard a tenu à saluer la mémoire des « Papineau, Laurier, Lapalme et les autres » en prétendant que le libéralisme québécois est indissociable de l’héritage de la Révolution tranquille - réduisant cette dernière à sa seule dimension modernisatrice et omettant le caractère existentiel de son contenu nationaliste.
Une lecture réductrice de l’histoire
Tout absorbé à se présenter comme intellectuel réformateur, le chef libéral prend ses aises avec l’Histoire et détourne, au point de le dénaturer, l’esprit du programme du Georges-Émile Lapalme (1907-1985) dont il se réclame et qui a enfanté la Révolution tranquille. La lecture historique du nouveau chef du PLQ nous semble singulièrement réductrice et déficiente : loin de lui être fidèle, Couillard propose, bien au contraire, de rompre radicalement avec l’héritage de ce dernier.
Sous Lapalme, les libéraux du Québec optèrent pour l’autonomie vis-à-vis de leur famille fédérale, se rapprochant ainsi davantage des idéaux d’Honoré Mercier que de ceux de Wilfrid Laurier. En 1955, en réaction à certaines prises de position centralisatrices d’Ottawa et au nom de la distinction canadienne-française, les libéraux du Québec se dotaient d’une formation pleinement autonome, la Fédération libérale du Québec.
Au contraire, Couillard campe résolument le PLQ comme une succursale provinciale des libéraux fédéraux, pas tant sur le plan organisationnel qu’intellectuel, en professant la soumission totale aux principes structurants du Canada trudeauiste que sont l’adhésion au chartisme, au bilinguisme et au multiculturalisme.
Il est bien connu que Lapalme était davantage un brillant théoricien qu’un grand chef politique. Maurice Duplessis n’en fit qu’une bouchée lors des élections de 1952 et de 1956. Il aura fallu qu’il cède sa place à Jean Lesage, un chef beaucoup plus habitué aux rouages de la politique partisane - et venu d’Ottawa - pour que l’Union nationale soit défaite en 1960.
À la suite de la victoire de l’« équipe du tonnerre », le Québec s’est remis en mouvement dans ce vaste chantier de reconquête économique et d’affirmation nationale. Lesage a dû composer avec des forces issues de nombreux horizons, le contraignant à subir bien plus de réformes qu’il n’en aurait lui-même souhaité.
La Révolution tranquille aura été, au final, un amalgame de changements imprévus aussi bien qu’une réponse à des aspirations et orientations élaborées dans la décennie précédente. Georges-Émile Lapalme fut cependant celui qui aura le plus poussé les libéraux dans la direction d’un programme d’ensemble campant la culture et l’identité au coeur de l’action gouvernementale.
Dans Pour une politique, en 1959, Lapalme cherchait à répondre à la condition socio-économique des Canadiens français par une doctrine d’État formant un tout cohérent visant l’avènement d’un État moderne constituant leur foyer national.
Des réformes profondes visant des domaines aussi variés que les ressources naturelles, l’éducation ou l’occupation du territoire sont toutes amenées de façon à construire une dynamique de reconquête. Lapalme plaçait la culture au fondement de cette entreprise. Son héritage majeur sera d’ailleurs la création du ministère des Affaires culturelles, dont il fut le premier titulaire de 1961 à 1964.
C’est dans la même logi que qu’il montrait un très grand enthousiasme pour le développement des relations France-Québec : se doter d’une politique étrangère d’envergure est pour un État digne de ce nom une donnée fondamentale.
Elle lui était inspirée par une aspiration autonomiste franchement affirmée : Lapalme revendiquait l’occupation maximale des champs de juridiction garantis aux provinces par la Constitution « originale » de 1867.
Lapalme ne se gênait pas pour en dénoncer les dysfonctionnements et les déséquilibres, nourris le plus souvent par la tendance à la centralisation. Malgré sa volonté d’exploiter au maximum le champ d’action offert par 1867, Lapalme n’en voyait pas moins dans le mythe de la Confédération une construction artificielle de l’Histoire omettant les divisions et l’hostilité des libéraux par rapport au mal nommé « pacte idyllique de deux races », selon les termes en vogue à l’époque.
Si Couillard affirmait, en 2012, que les positions des libéraux par rapport à la question constitutionnelle « ont trop souvent été défendues dans les termes d’une mitigation des idées des autres », soit en réaction vis-à-vis des indépendantistes, il aurait pu rétrospectivement adresser ce reproche à Lapalme lui-même, qui estimait que les pères de la Confédération avaient favorisé de manière inéquitable le gouvernement fédéral dans l’indifférence totale vis-à-vis des provinces, lesquelles étaient perçues comme des « municipalités plus importantes que les autres ».
Pour redresser la situation, Lapalme proposait des amendements constitutionnels d’envergure tels que l’inscription du caractère biethnique et bilingue du Canada, des redistributions de pouvoirs ou des limitations des prérogatives d’Ottawa.
Il ne craignait nullement d’affirmer qu’il « n’est pas de province, dans la Confédération canadienne, qui ait autant besoin de son autonomie pour vivre que la province de Québec. Ses particularités […] en font une sorte d’État-frontière appelé à lutter perpétuellement pour sa survie et sa grandeur ».
Philippe Couillard propose quant à lui la signature - sans émettre de conditions d’adhésion et au besoin par simple vote parlementaire - de la Constitution de 1982, faisant fi tout autant de l’humiliation historique que des récentes et troublantes révélations de Frédéric Bastien sur les conditions inacceptables qui ont pu y mener.
Justin Trudeau n’a d’ailleurs pas tardé à prêter main-forte à son homologue du PLQ en jetant l’odieux du rapatriement sur René Lévesque…

Un courant intellectuel néotrudeauiste
Si Lapalme a su fixer une tradition autonomiste aux libéraux provinciaux, l’échec de chaque tentative visant à réformer le fédéralisme a montré les limites structurelles du nationalisme de province. Les tenants de cette approche ont d’abord fait valoir des conditions quant à leur adhésion au système canadien, tout en agitant l’éventualité de l’indépendance dans le cas où les demandes du Québec ne seraient pas comblées.
Le seuil conditionnel qu’ils se fixaient ne s’en est pas moins constamment abaissé jusqu’à ce que les libéraux du Québec en viennent à ne plus exiger de transformation d’envergure du régime canadien.
À la suite de l’échec référendaire de 1995, les fédéralistes québécois ont alors camouflé leur volonté de s’accommoder du provincialisme sous couvert de réalisme : il fallait désormais prendre acte du verdict référendaire, laisser de côté les « vieilles chicanes » et se concentrer sur les « vraies affaires » prétendument urgentes et immédiates.
Plutôt que de rompre avec une telle posture, Couillard s’y installe résolument, prônant plutôt une adhésion inconditionnelle au régime canadien et aux dogmes de sa refondation chartiste de 1982, ressuscitant ainsi un courant intellectuel néotrudeauiste dont nous croyions que Stéphane Dion était le dernier et marginal représentant.
Ses multiples références à un libéralisme intemporel et non circonscrit n’en font pas moins office de subterfuge alors qu’il définit en réalité lui-même la reddition sans condition comme une proposition de renouvellement. On comprend mal, de ce fait, la pertinence de ses références historiques. L’histoire des libéraux provinciaux nous indique au contraire qu’il y avait deux grandes tendances face à Ottawa : le consentement au Canada et l’affirmation de la distinction canadienne-française ou québécoise.
La pensée « libérale » de Couillard s’inscrit en porte-à-faux vis-à-vis des revendications des Patriotes, d’Honoré Mercier, de Robert Bourassa et même de Claude Ryan - qui avait honorablement voté contre le rapatriement de la Constitution canadienne -, pour la plupart des personnalités pourtant citées par le nouveau chef du PLQ, et se place plutôt dans la tradition des L.-A. Taschereau, D. Johnson Jr et J. Charest.
Pour s’opposer à la timide loi 14, le chef libéral dénonce le fait qu’elle ne s’appuie que sur la légitimité de la majorité historique à définir sa langue nationale comme l’élément central de convergence culturelle de l’ensemble des composantes de la société québécoise. Est-ce à dire que, si l’on retourne l’argument, la majorité historique ne serait pas « légitime » de le faire ? Couillard semble une fois de plus camper sur les idéaux du parti de Justin Trudeau en recyclant le bilinguisme institutionnel du Canada en guise de position officielle.
Couillard a également dénoncé le fait que la loi 14 excluait les anglophones de la présente cons truction identitaire. Or, par son zèle constitutionnel, le chef libéral ne semble pas s’inquiéter du fait qu’il souhaite ratifier ouvertement la constitution d’un pays qui exclut la nation québécoise de la redéfinition de ses référents nationaux.
Sur le plan géopolitique, les Québécois sont pourtant beaucoup plus près de David que de Goliath, mais Couillard semble s’inquiéter beaucoup de la situation des « Anglo-Québécois », minorité parmi les plus choyées du monde entier - et qui peut compter sur une mention officielle dans la Constitution canadienne, ce à quoi la nation québécoise n’a jamais eu droit. Ce qui vaut pour l’un ne semble pas valoir pour l’autre, mais le relativisme fait office de notion hégémonique chez les bien-pensants.
Couillard se réclame d’un prétendu « interculturalisme » et s’oppose avec virulence à une éventuelle Charte de la laïcité qui émanerait du gouvernement péquiste, en plus de ressortir l’habituelle rhétorique de la tolérance en assimilant grossièrement la défense des accommodements religieux à la lutte contre l’antisémitisme.
Dans les faits, sa volonté de soumission catégorique à l’ordre de 1982 le positionne de facto comme un adhérent à l’idéologie du multiculturalisme d’État.
L’établissement de cette dernière a éliminé ouvertement le mythe dualiste, reconnaissant officiellement un état de fait qui prévalait subrepticement. La nation québécoise, mal qualifiée de « peuple fondateur » du Canada, se voyait ainsi formellement confinée au simple statut de minorité folklorisée. En voulant signer l’acte de refondation d’un pays fondé sur la négation du Québec comme entité distincte, Couillard consacrerait, et notre insignifiance pancanadienne, et notre impuissance provinciale.

Canadian first and foremost
En somme, le chef libéral propose la liquidation pure et simple de la vision de Georges-Émile Lapalme en radicalisant le retour à la posture précédant son arrivée à la direction des libéraux du Québec, alors que ceux-ci ne représentaient qu’une faction inoffensive du parti pancanadien du même nom, marquée par l’idée que les intérêts québécois et canadiens sont indissociables.
Canadian first and foremost, l’actuel chef du PLQ invite ses militants et ses compatriotes à « revenir aux sources de l’idée libérale ». Lapalme serait certainement d’accord avec une telle formule et implorerait les Québécois de rejeter le projet de Philippe Couillard.

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Simon-Pierre Savard-Tremblay179 articles

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Simon-Pierre Savard-Tremblay est sociologue de formation et enseigne dans cette discipline à l'Université Laval. Blogueur au Journal de Montréal et chroniqueur au journal La Vie agricole, à Radio VM et à CIBL, il est aussi président de Génération nationale, un organisme de réflexion sur l'État-nation. Il est l'auteur de Le souverainisme de province (Boréal, 2014) et de L'État succursale. La démission politique du Québec (VLB Éditeur, 2016).





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