Le dérapage

La grève dérape. C'était écrit dans le ciel. Le gouvernement a tout fait pour que le conflit dégénère.

Charest ne trompe que lui-même...


La grève dérape. C'était écrit dans le ciel. Le gouvernement a tout fait pour que le conflit dégénère. Il a créé un climat malsain en refusant obstinément de parler aux étudiants et en demandant aux cégeps et aux universités de forcer le retour en classe, peu importe les votes de grève.
Le gouvernement attend patiemment que le conflit pourrisse et que les manifestants s'énervent. Et ça marche. Jeudi, 800 étudiants ont forcé les portes de l'Université de Montréal. Ils ont lancé de la peinture sur les fauteuils de l'amphithéâtre et brisé des vitres. Hier, une poignée de manifestants ont saccagé le bureau de circonscription de la ministre de l'Éducation, Line Beauchamp. Oui, la grève dérape.
Le gouvernement laisse les tribunaux gérer la crise. Il démissionne. On vit dans un fouillis, une confusion: les injonctions pleuvent, les directeurs généraux des cégeps, dépassés par l'ampleur de la grève, lancent un cri d'alarme, les professeurs, exaspérés, signent des pétitions et convoquent les médias. Et les policiers? Ils arrêtent des journalistes, comme s'ils n'en avaient pas plein les bras avec les manifestants.
Hier, des policiers ont arrêté un journaliste et un photographe de La Presse. Le photographe, Martin Chamberland, a eu droit à la totale: poussé brutalement contre une voiture même s'il tenait sa caméra avec le logo de La Presse bien en vue, jeté par terre, puis immobilisé et menotté. Il a passé deux heures dans une cellule.
L'arrestation du journaliste Philippe Teisceira-Lessard a été moins musclée, mais son téléphone cellulaire a été saisi. Il avait pris des photos du bureau de la ministre qui venait d'être saccagé par des manifestants. Si la police veut des photos, qu'elle en prenne, les journalistes ne sont pas à son service. Ces arrestations sont abusives. Les policiers savaient parfaitement qu'ils «brassaient» des journalistes.
Alors oui, la police aussi s'énerve et dérape.
Que fait la ministre, transformée en dame de fer depuis le début du conflit? Elle regarde le train passer et elle reste inflexible. Pourquoi refuse-t-elle de rencontrer les étudiants? De quoi a-t-elle peur?
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Les esprits s'échauffent. La semaine prochaine, plusieurs associations étudiantes vont reprendre les votes sur la grève.
Ceux qui s'y opposent doivent participer aux assemblées et voter. Il est là, leur pouvoir. Ils veulent retourner en classe? Qu'ils votent! Inutile de forcer les piquets de grève. À l'heure de Facebook, ils peuvent se mobiliser en quelques clics de souris.
Les votes «paquetés», les salles hostiles qui huent les opposants à la grève, l'intimidation? Oui, ça existe, mais c'est marginal. Hier, la Fédération des cégeps n'avait que des bons mots pour les élèves qui sont «engagés, articulés, rigoureux et respectueux». Ce n'est pas moi qui le dis, mais les cadres des cégeps, les patrons, les alliés objectifs de la ministre. Ils ont salué «l'esprit véritablement démocratique» des étudiants.
Alors, les opposants n'ont rien à craindre. Ils peuvent voter et se battre pour leurs idées. Et respecter les piquets de grève.
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Et les professeurs? Ils sont pris en otages dans cette grève qui n'en finit plus. Depuis que la ministre a demandé aux cégeps de forcer le retour au travail, ils sont dans tous leurs états.
Ils sont coincés. Les directions des collèges vont exiger qu'ils donnent leurs cours. Ils devront franchir les piquets de grève. La situation risque de déraper. Il y aura des bousculades, du brasse-camarade.
«La ministre transfère la pression sur nos épaules. Elle espère que le mouvement va s'essouffler et déraper», m'a expliqué un professeur d'Ahuntsic, Sébastien Paquin-Charbonneau.
Hier, les professeurs de cégep ont dénoncé la ministre. En 48 heures, ils ont recueilli plus de 1000 signatures. Ils ont demandé sa démission, mais ça ne changera rien au problème. Qui remplacera Mme Beauchamp? Jean-Marc Fournier, ministre de la Justice et ex-responsable de l'Éducation? Bonnet blanc, blanc bonnet. C'est Jean Charest qui doit tendre la main et mettre fin à cette absurde bouderie gouvernementale.
Jeudi, 550 professeurs d'université ont signé une lettre d'appui aux étudiants et dénoncé l'indifférence de la ministre.
Étudiants, professeurs, Fédération des cégeps, le milieu demande à la ministre de faire un geste. La balle est dans son camp. Le choix est simple: c'est le dialogue ou le dérapage.


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