La provocation

Bref, les étudiants pourraient donner un cours de démocratie 101 à la ministre, mais il reste une tache à leur tableau: les votes à main levée.

Conflit étudiant - grève illimitée - printemps 2012


Mais c'est quoi, cette provocation? Comme si la situation n'était pas assez tendue. Cette semaine, le Collège de Valleyfield a décidé de forcer le retour en classe, même si les élèves avaient voté, encore une fois, en faveur de la grève.
Le résultat était facile à prévoir: la CLASSE, aile radicale du mouvement étudiant, a mobilisé ses troupes. Hier matin, ils étaient quelques centaines à bloquer les portes. Tout était en place pour un dérapage: des élèves gonflés à bloc, offusqués par l'outrecuidance du cégep qui ignorait la volonté de la majorité, une direction déterminée à reprendre les cours et une trentaine de policiers de la Sûreté du Québec prêts à intervenir.
Comment mettre le feu aux poudres 101.
Hier matin, la direction, dans un éclair de lucidité, a annulé les cours pour éviter l'affrontement. Mais aujourd'hui? Le même scénario risque de se répéter: des élèves en colère, des policiers appelés à la rescousse et le cégep coincé dans une situation explosive qu'il a créée de toutes pièces.
Belle provocation.
Le problème, c'est que la ministre de l'Éducation, Line Beauchamp, a donné sa bénédiction à cette opération casse-gueule. Elle a non seulement appuyé la direction, mais elle a aussi encouragé les cégeps et les universités à reprendre les cours, court-circuitant allègrement le processus démocratique.
Processus démocratique? Oui, processus démocratique. La ministre peut lever le nez sur la démocratie étudiante et réduire la grève à un simple boycottage, mais elle ne peut pas effacer la réalité, soit des dizaines de milliers de jeunes qui se battent depuis deux mois et qui tiennent à bout de bras la grève la plus longue de l'histoire du Québec.
La ministre a mal choisi son moment pour encourager les directions des cégeps et universités à passer outre aux mandats de grève. Même si le mouvement s'effiloche et que seulement 35% des étudiants sont en grève, leur lutte demeure légitime. Et ceux qui restent forment un noyau dur. La grève ne disparaîtra pas par magie.
De plus, la ministre a choisi Valleyfield, un cégep qu'elle a fréquenté, jeune. Un cégep où les professeurs se mobilisent rapidement. Un cégep militant. C'est à Valleyfield que la CLASSE a été créée en décembre 2011. En 2005, la grève a duré six semaines et Valleyfield a été un des derniers à capituler. Cette année, il a été le premier à voter en faveur de la grève.
«Le fait que Line Beauchamp ait étudié ici frappe l'imaginaire des étudiants, m'a expliqué le directeur du syndicat des professeurs, Vincent Fortier. Ils se disent: "On va lui montrer, à la ministre! "»
Et la ministre a vu. Va-t-elle assouplir sa position? Tendre la main? Ce serait étonnant. Depuis le début, elle maintient la ligne dure et refuse de rencontrer les étudiants.
Line Beauchamp devrait au moins demander aux cégeps et aux universités de respecter les mandats de grève. Hier, j'avais l'impression d'être revenue à l'époque des briseurs de grève. Je sais, je sais, le Code du travail ne s'applique pas aux étudiants, mais uniquement aux salariés. N'empêche, le Québec a adopté une loi anti-briseurs de grève en 1977 pour mettre fin à la violence sur les piquets de grève.
Demander à des professeurs et à des étudiants de franchir des piquets de grève revient à jeter de l'huile sur le feu, à créer des situations potentiellement violentes.
C'est vrai que le Code du travail ne s'applique pas aux étudiants, d'où le soin maniaque du gouvernement de parler de «boycott» et non de grève. N'empêche, les principes sont clairs : on respecte les piquets de grève. Et on ne jette pas d'huile sur le feu.
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Le Code du travail est limpide: le vote de grève doit être secret. Certains cégeps ont tenu des votes à main levée, des votes où la charge émotive était forte: les élèves en faveur de la grève intimidaient ceux qui étaient contre. Et vice-versa: les opposants ne se sont pas gênés pour insulter les militants.
Les votes à main levée sont inacceptables, ça frise le hold-up démocratique. Les étudiants ont mené une belle bataille, ils ont fait preuve d'imagination et de créativité. De patience aussi. Ils ont même réussi à chasser les casseurs qui foutaient le bordel dans leurs manifestations. Mais des votes à main levée? Erreur.
La Fédération des cégeps, qui représente les cadres, salue la lutte des élèves qui, pourtant, les jette dans l'eau bouillante.
«La jeunesse m'impressionne au plus haut point, m'a dit hier le président de la Fédération, Jean Beauchesne. On a infantilisé les étudiants. Pourtant, il y a eu un débat social, honnête et intelligent.»
Bref, les étudiants pourraient donner un cours de démocratie 101 à la ministre, mais il reste une tache à leur tableau: les votes à main levée.


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