Le coup d'arrêt irlandais

Le NON irlandais

Le rejet du Traité de Lisbonne par les Irlandais signe l'arrêt de mort d'une ambition constitutionnelle. Après les Français et les Néerlandais, c'est la troisième fois que des citoyens d'un pays affichent leur dédain pour une refonte institutionnelle. Quoi d'autre? Le non irlandais, c'est aussi la victoire des partisans d'une Europe minimale ou réduite à un espace libre-échangiste. Bref, strictement commerciale.

Jusqu'à la veille du référendum consacré au Traité de Lisbonne, rejeton amaigri du Traité constitutionnel, l'Irlande était considérée comme la plus belle réussite de l'Union européenne. Lorsque cette nation a obtenu sa carte de membre du club, le revenu par habitant était de 42 % inférieur à la moyenne européenne. En un mot, elle était la plus pauvre du groupe. Aujourd'hui, elle est la plus riche derrière le Luxembourg. Et ce, grâce aux 40 milliards d'euros alloués par Bruxelles ainsi qu'à une politique fiscale que les «gros» pays comme l'Allemagne et la France ne peuvent pas concurrencer. À Dublin et dans ses environs, l'impôt sur les entreprises est d'à peine 12 %.
Toujours est-il qu'ils ont dit non. Lorsque l'on s'attarde au profil des vainqueurs, on ne peut que constater combien celui-ci est hétéroclite. En effet, dans leur camp, il y avait le catholique fervent qui, en vieil abonné à la démagogie, assurait qu'un oui se traduirait par la libéralisation de l'avortement et le mariage des homosexuels. Il fréquentait l'homme d'affaires qui envisageait avec horreur l'harmonisation fiscale souhaitée par Bruxelles depuis des lunes. Aux côtés de ce dernier, il y avait le syndicaliste pour qui le Traité de Lisbonne s'avérait un blanc-seing à l'Europe ultralibérale. Il y avait aussi les attaques répétées de la presse de caniveau, celle évidemment de Rupert Murdoch, qui a fondu son euroscepticisme avec le fanatisme et sa haine des «frogs», des grenouilles.
Il y avait également, voire surtout, le citoyen qui, ayant la démocratie chevillée au corps, vient d'obliger l'élite politique à revoir sa copie proeuropéenne de fond en comble. On s'explique. De tous les pays invités à ratifier ce Traité, l'Irlande fut le seul à le soumettre à la sanction des électeurs parce que sa Constitution l'y oblige. Tous les autres l'ont adopté ou vont l'adopter par voie parlementaire. Bref, tout avait été pensé, conçu, soupesé de manière à ce que la décision revienne exclusivement aux élus.
Ce déficit démocratique a eu pour conséquence d'aiguiser les ardeurs de ceux qui avaient compris qu'une des raisons majeures ayant convaincu une majorité de Français et de Néerlandais était la suivante: le Traité proposé il y a trois ans avait été rédigé par des hommes et des femmes enclins à éloigner tous les mécanismes décisionnels de la population. On se souviendra, à titre d'exemple, que la formule d'amendement à la Constitution était si alambiquée qu'elle revenait à interdire... tout amendement.
Au fur et à mesure que les parlementaires de l'Allemagne, de la France et de plusieurs autres pays cautionnaient le texte de Lisbonne, le sentiment de grogne progressait, beaucoup estimant que ce dernier était un avatar du projet constitutionnel déchiré il y a trois ans. En clair, bien des adversaires du Traité de Lisbonne s'affichent comme tels parce qu'ils veulent justement davantage d'Europe. Plus exactement, une Europe suffisamment forte politiquement pour prétendre au rôle d'arbitre dans les affaires internationales. Une Europe plus solidaire afin de contrer les conséquences économiques brutales du néolibéralisme. En un mot, une Europe qui ne soit plus captive de ceux qui ont une vision strictement comptable de ce qu'elle est et doit s'être.
Que ce soit en Irlande aujourd'hui, en France et aux Pays-Bas hier, on observe également une certaine... fatigue! Parmi les échos qui nous parviennent du Vieux Continent, on retiendra qu'entre l'addition sans fin de traités, ententes et conventions et l'élargissement aussi ample que rapide, le simple mortel se sent totalement perdu pour ne pas dire dépossédé. De l'Europe des 6 à l'Union à 27, on est passé de la clarté, si l'on ose dire, à l'opacité. Oui! L'UE est aujourd'hui illisible.
C'est d'ailleurs à se demander si cela n'a pas nourri le retour des nationalismes, le regain des patriotismes, auxquels les pères fondateurs s'étaient opposés en posant les premières pierres de l'édifice européen. Tout se résume peut-être ainsi: Bruxelles est désormais le chef-lieu du paradoxe politique.


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