Mouloud Feraoun

Le Contraire de l’Amour

Il me semble que le temps d’une deuxième révolution algérienne est arrivé !

Tribune libre

Il s’appelle Mouloud Feraoun. Il était kabyle. Il était intellectuel, inculqué de valeurs françaises à l’école, et était devenu instituteur dans un petit village de Kabylie. Mais il était surtout romancier. La France pouvait être fière de lui puisqu’il était « un des plus beaux fleurons » de la colonisation française en Algérie. Il est mort en 1962, tué par l’O.A.S (organisation française politico-militaire clandestine) alors qu’il craignait d’être victime du FLN (Front de Libération Nationale algérien) à cause de ce qui pouvait apparaître chez lui d’une trop grande proximité avec la France.
Sensible à son peuple, il perçut les réactions changeantes de ses compatriotes dès le début de l’insurrection algérienne en 1954. Un an plus tard, il entreprit d’écrire son Journal quotidien sur la guerre, qui se développait rapidement, telle que vécue au niveau d’un village kabyle. Il y décrivit la peur, les actes de courage, les lâchetés, la torture, les viols, la mort omniprésente, les exactions... l’espoir.
Mouloud Feraoun aimait la France pour les valeurs humanistes qu’elle lui avait transmises, mais, en même temps, il déplorait son mépris constant pour la façon dont elle traitait les millions de musulmans de son pays et était devenu convaincu de la nécessité, sans appel, de l’indépendance de son pays.
Son Journal est basé sur des « choses vues » telles, les émotions, les colères, l’impuissance, le découragement et les espérances de l’indigène (comme les Français appelaient les Algériens) découlant des rapports humains entre le puissant colonisateur et le colonisé malgré lui.
Édité après sa mort, son Journal est qualifié comme « un document à plus d’un titre irremplaçable ». Malheureusement, la parution est maintenant épuisée.
Ce n’est qu’en juillet dernier j’ai découvert Mouloud Feraoun, au festival « off » de théâtre d’Avignon, grâce à un petit entrefilet du journal Le Monde qui faisait état d’une pièce « Le Contraire de l’Amour » qui s’y jouait et qui « se révèle être un document passionnant pour comprendre l’insurrection algérienne ». Passionné moi-même par tout ce qui se dit sur l’Algérie, je suis allé voir cette pièce, basée sur le Journal de Feraoun. J’ai découvert un intellectuel déchiré dans sa double culture, française et kabyle, un homme vrai, sensible, modeste, exigeant pour lui-même et les autres, sans illusion, ironique, plein de vie et d’une rigueur intellectuelle à toute épreuve, qui malgré tout cherche des raisons pour garder la France en Algérie, mais n’en trouve plus.
J’en suis sorti ému et bouleversé. Choqué aussi, en me rappelant qu’après l’euphorie de la déclaration de l’indépendance, de la vraie liberté retrouvée par les Algériens (juste sortir le soir, regarder le ciel en était une puisqu’il n’y avait plus de couvre-feu), ceux-ci ont subi un gouvernement totalitaire communisant qui leur a fermé le monde, brimé leurs libertés individuelles, tué les opportunités pour faire valoir leurs talents et démoralisé la jeunesse par un chômage qui n’a cessé de perdurer.
Face à l’inaction de leurs dirigeants, Les Algériens se sont soulevés, élu le parti islamiste FIS, vu l’armée chasser ces derniers et les généraux reprendre le pouvoir, enduré le massacre de 200,000 d’entre eux par les islamistes et la police, pour déboucher, encore aujourd’hui, sur un gouvernement fantoche toujours sous le contrôle de généraux corrompus. Encore récemment, les premiers soulèvements pour un possible printemps arabe algérien ont été écrasés durement par la police.
J’ai aussi pensé aux Français d’Algérie, les pieds-noirs, qui en 1961-1962 ont dû quitter subitement la maison de leur enfance, leur village, leurs amis, leur travail, leur milieu social, leurs biens et leurs acquis pour rentrer en France où ils durent refaire complètement leur vie. Ils devaient être découragés et se sentir perdus, peinés, déchirés et craintifs. Ils ont sûrement vécu un enfer impensable.
Cette pièce « Le Contraire de l’Amour » sera présentée à Paris en février 2012 à la veille des 50 ans de l’indépendance de l’Algérie. J’aimerais bien qu’une troupe de théâtre québécoise la reprenne aussi à cette occasion.
Cette étape des 50 ans devrait être un moment pour tous les Algériennes et les Algériens de réévaluer la situation de leur pays. Ce n’est pas normal qu’ils cherchent à tout prix à quitter leur pays pour vivre ailleurs, comme au Canada. À Montréal, ils démontrent qu’ils sont intelligents, travaillants, ambitieux et pleins de talents.
J’ai connu l’Algérie alors que j’y ai œuvré durant 7 ans. C’est un territoire magnifique, capable de bien nourrir son peuple avec un climat impeccable. Il n’y a aucun empêchement naturel pour permettre à ce dernier de travailler et de vivre bien, heureux et prospère dans son propre pays. L’Algérie est spectaculaire, très belle avec la mer, les montagnes, le désert. Son histoire est captivante. Elle devrait être une vraie démocratie ouverte au monde. Des millions de visiteurs viendraient la visiter.
Il me semble que le temps d’une deuxième révolution algérienne est arrivé !
Claude Dupras


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5 commentaires

  • Ferid Chikhi Répondre

    10 décembre 2011

    M. Dupras,
    Au-delà de l’intérêt que suscite votre écrit que je viens de découvrir en ce samedi matin il me semble pertinent d’apporter un petit plus pour que cela soit plus ou moins complet et même proposer des correctifs à des parties en lien avec la liberté des algériens retrouvée au lendemain de l’indépendance du pays et bien plus.
    À vrai dire le pays a été libéré mais pas la population. Elle (la population) a été prise en otage par ce que vous appelez des ‘’généraux corrompus’’. J’ajouterais encore qu’il ne faut pas confondre libération du pays et liberté du citoyen. Jusqu’à aujourd’hui le mot LIBERTÉ en Algérie ne se conjugue à aucun temps, à aucun mode …
    Par ailleurs, vous écrivez ‘’ Face à l’inaction de leurs dirigeants, les Algériens se sont soulevés, élu le parti islamiste FIS … etc.’’ NON et NON, M. Dupras permettez-moi de nuancer ces propos : Le peuple algérien n’a pas élu les islamistes. D’abord parce que l’abstention était de l’ordre de 60% et que les islamistes qui avaient été élus aux municipales à (-) 35% des électeurs votants (L’abstention était aussi importante (+) 65 %) ont triché et fraudé autant que le leur permettait leur main mise sur les urnes. C’est pour cela que des citoyens démocrates (la majorité silencieuse, la société civile) ont fait appel à l’armée pour préserver le peu de liberté acquise depuis octobre 1988. Le reste nous le savons tous : 200.000 morts, plus de 500.000 exilés sans compter les effets collatéraux et les traumas vécus depuis la décennie moire ‘’90’’.
    Oui ! Une deuxième révolution algérienne est en cours et elle n’aura pas les couleurs du printemps arabe. Elle sera différente et multiforme. Elle sera algérienne sans l’apport des puissances qui manipulent et œuvrent dans le seul but est de délester les pays du sud de leurs richesses naturelles.
    Pour terminer, Mouloud Feraoun était certes Kabyle et aussi et surtout Algérien comme l’était Mouloud Mammeri ou encore le Chaoui Kateb Yacine ou encore le Tlemcénien Mohamed Dib. Peut être qu’en les lisant vous apprendrez autre chose sur l’Algérie et les Algériens.
    Ferid Chikhi
    Algérien et berbère

  • Archives de Vigile Répondre

    9 décembre 2011

    Depuis les 30 dernières années, le malheur frappe ce grand peuple. Les kabyles subissent les foudres de l'arabisation et de l'islamisation forçée de la part du gouvernement algérien. Les islamistes ont remporté la guerre idéologique en Algérie.
    Bouteflika et les militaires algériens ont acheté la paix avec les fous d'Allah en adoptant des politiques néfastes pour le développement de la culture kabyle.
    L'islamisation ( curriculum scolaire, , construction de mosquées par le gouvernement) de la Kabylie progresse à une vitesse vertigineuse. Quelle tristesse!
    http://www.lematindz.net/news/2753-dans-la-boite-islamisation-forcee-en-kabylie.html

  • Archives de Vigile Répondre

    9 décembre 2011

    Vous apprendrez peut-être avec plaisir, monsieur Dumas, qu'un des principaux personnages de mon récent roman, intitulé "Roman non autorisé" est un Berbère de Kabylie qui s'appelle Hocine Feraoun. Je le présente comme un parent éloigné de Mouloud qui était, comme vous le savez certainement, un grand ami d'Albert Camus.
    Les expressions de la culture québécoise tissent toujours d'une manière ou d'une autre de solides liens avec toutes celle de la francophonie.
    Merci pour cet article.
    Andrée Ferretti.

  • Archives de Vigile Répondre

    9 décembre 2011

    En lisant votre texte, très bien écrit par ailleurs, je me suis laissé emporter par l'émotion et j'ai réalisé une fois de plus comment je suis sensible à tous les peuples de la terre qui ont souffert sous la barbarie et la dictature et comment je suis fier de les accueillir chez nous.
    Mais en même temps, je suis triste à la pensée que bon nombre d'entre eux que nous accueillons avec la plus grande ouverture d'esprit et d'amitié deviennent, à cause du Canada, des facteurs non négligeables d'assimilation et de génocide en douce de notre propre peuple.
    Il faut être généreux et accueillant avec ceux et celles qui nous aiment et veulent adopter notre façon de vivre, notre culture et nos traditions en les enrichissant des leurs, mais comment doit-on se comporter envers ceux et celles qui nous nient, nous ignorent et nous méprisent?
    Voilà comment nous sommes déchirés présentement face aux personnes immigrantes qui peuvent être nos meilleurs amis comme nos pires ennemis, souvent sans même s'en rendre compte.
    Pierre Cloutier

  • @ Richard Le Hir Répondre

    9 décembre 2011

    M. Dupras,
    En lisant cet excellent texte, je me suis demandé comment vous pouviez être si lucide sur la question de l'Algérie et si peu sur la question du Québec.
    Sans doute est-il toujours plus facile d'envisager la révolution chez les autres que chez soi.
    Pour ma part, à la fin de votre texte, je me suis dit : Il me semble que le temps d'une deuxième révolution québécoise est arrivé.