Partage des responsabilités dans la résistance à l'ordre néolibéral

Le boss n'est pas mort !

Il a survécu

Tribune libre

À mon avis, la façon dont le mouvement syndical se mobilise contre l’ordre néolibéral peut bien être critiquée, mais il ne faudrait pas mêler les genres comme on dit. Cette résistance ne repose pas sur les seuls et uniques leaders, mais aussi sur la manière dont les salariés répondent à l’appel du mouvement.
Dans le cas de l’affrontement provoqué par l’adversaire patronal, comme dans celui du Journal de Montréal, il semble que toute l’organisation de la CSN aurait failli, selon certains. Mais est-ce que ce n’est-ce pas dévier du bon combat que de stigmatiser ainsi, de manière aussi étroite, les seuls leaders sociaux-démocrates à la tête du mouvement ?
Il est certainement juste de souligner les limites du syndicalisme, mais il demeure essentiel de viser les bonnes cibles, à savoir le propriétaire du Journal de Montréal et un gouvernement qui met au service de l’entreprise privée tout l’appareil d’un état voué à réguler les lois d’un soutien juridique en faveur du patronat. Rappelons-nous que la moitié du Conseil des ministres, au sein du gouvernement de Jean Charest, est constitué d’ex hommes d’affaires ou de gens qui furent longtemps associés à ce milieu !
Malgré les insuffisances d’un mouvement défensif de classe, les syndicats restent soumis aux règles de construire l’unité la plus large de plusieurs opinions politiques en leur sein. Différentes franges de la social-démocratie, certaines plus radicales et plus à gauche, d’autres moins, dominent les instances dirigeantes du mouvement syndical, et elles tentent toutes, à des degrés divers – il faut le dire -- d’assumer cette mission.
Parfois, ces gens y réussissent assez bien, même si cela a aussi ses limites; parfois ils ont plutôt tendance à manquer complètement le bateau. Il faut dire en même temps que la social-démocratie est loin d’être un bloc homogène, comme n’importe quel autre mouvance politique. Dans l’ensemble, cette mouvance reste encore un élément mobilisateur d’opposition aux rigueurs du capitalisme qu’il serait erroné de juste vouloir balayer du revers de la main. Qui serions-nous, de toute manière, pour agir de la sorte ?
Les critiques abstraites, que plusieurs peuvent faire, ne tiennent le plus souvent pas compte des impératifs au quotidien de la bonne gouvernance de telles organisations de contre-pouvoirs.
Comme partie du mouvement ouvrier conscient, nous nous devons en même temps aussi d’associer à nos critiques des stratégies alternatives sous forme de suggestions ou d’appels. Car ces stratégies ne s’appliquent pas à l’intérieur d’un laboratoire clos et hermétique à toutes influences extérieures. C’est dans une société bien réelle qu’elles auront à se démarquer, une société toujours dominée par le patronat et où se déploieront les tactiques et les stratégies des leaders sociaux-démocrates.
Si on devait mettre devant des faits accusateurs ces leaders, il faudrait bien mettre en contexte que « les idées dominantes sont les idées de la classe dominantes », c’est-à-dire, chez nous, celles d’un Québec Inc. sûr de lui et avec les moyens médiatiques dont il dispose. Le problème est bien posé sur la manière d’affronter ce type de société capitaliste. Il demeure fondamental de lier la mobilisation au contexte politique et à ce genre de société auxquels les salariés devront être confrontés. Les syndiqués du Journal de Montréal, quand ils arboraient le portrait du père Péladeau, pour le montrer comme meilleur gestionnaire que son fils, étaient-ils bien conscients de ce à quoi ils avaient affaire ? Étaient-ils en situation de mesurer à quelle arme stratégique et essentielle qu’est le contrôle de l’information pour le patronat ils s’attaquaient. Dans un tel contexte, l’éducation syndicale se complète d’une expérience pratique d’apprentissage au cœur de la lutte politique qui taraude la société capitaliste entre maîtres et subalternes.
La gauche politique a un devoir particulier d’offrir un discours qui complète celui des appareils syndicaux à cause même de son domaine d’intervention qui va plus loin que de simplement questionner le pouvoir : elle veut le conquérir pour donner aux salariés la marge de manœuvre qui leur autorisera un meilleur contrôle de leur destin.
Dans ce contexte, l’édification et le renforcement d’un parti comme Québec solidaire, allié politique du mouvement ouvrier conscient, devrait être présenté comme la main tendue aux salariés pour palier aux limites du syndicalisme dans la riposte globale aux conséquences sur leur vie du néolibéralisme.
C’est ainsi qu’un mouvement de masse indépendant de tout parti politique et un parti de gauche peuvent porter la cause ouvrière à un niveau supérieur d’engagement qui implique toute une classe sociale et non seulement quelques dirigeants qu’il faudrait immoler à la suite d’une dure lutte qui n’a pas réussi totalement à mettre sur la défensive un patron en particulier et toute sa classe qui s’est gagnée électoralement le pouvoir d’État au moyen des Libéraux.
Il ne deviendra donc possible de relancer l’offensive du mouvement ouvrier que lorsque la classe qu’il représente aura reconquise son indépendance du PQ et qu’elle deviendra une actrice politique de sa propre cause. Même en ayant un point de vue critique de la social-démocratie, ce retour des salariés dans l’arène politique peut très bien être mis en marche par ce courant politique souvent hésitant. Mais la conjoncture actuelle remet de l’avant la question de l’implication des travailleurs. On parle même de « renouveler » la social-démocratie, ce qui oblige plus ou moins les leaders sociaux-démocrates à une participation accrue dans ces mobilisations.
Il ne sert à rien de cibler des individus ou des leaders qui s’en tiennent à des stratégies réformistes. Même s’ils encadrent le mouvement de manière à le soumettre aux impératifs d’une société où le néolibéralisme a les moyens et les « penseurs » pour se propager, le mouvement se met tout de même en mode action. Ce dont nous et les sociaux-démocrates pouvons être fiers, car nous y avons contribué tous deux comme courants politiques favorables aux mobilisations de masse.
De plus, un parti comme Québec solidaire peut, lui aussi, répondre aux nécessités de la riposte sur le terrain du pouvoir et palier aux limites du mouvement syndical à cause de sa nature défensive.
C’est donc par un appel à rallier, animer et construire ce parti qu’il faut interpeller les salariés et non à miner la confiance qu’ils ont dans leurs leaders, fussent-ils sociaux-démocrates, car ce serait plus ou moins participer aux discours de la droite qui, elle aussi, critique durement ces temps-ci le mouvement syndical.
La mentalité que des emprunts au patrimoine du socialisme par les sociaux-démocrates seraient des conquêtes négligeables pour le mouvement ouvrier affaiblit dans les faits ce mouvement dans les pays impérialistes où le réformisme domine encore. Une critique de la social-démocratie, responsable de ces acquis, doit s’accompagner d’un souhait diplomatique d’unité avec elle. Et l’habilité des socialistes à étayer cette unité consiste à appuyer ces réformes ou gains tout en en exposant les limites dans une société mondialisée où domine le néolibéralisme.
Ainsi, la survie de « Rue Frontenac » sera conditionnée par la capacité du journal de maintenir un point de vue éditorial indépendant du discours néolibéral. Si cette capacité n’est pas encouragée, le journal se placera sur le terrain d’une rude compétition avec le point de vue si largement diffusé de la réaction néolibérale. Son caractère populaire ne survivra pas aux stratégiques besoins de contrôle de l’information par le patronat et la rentabilité de sa diffusion parmi la population.
Il n’y a donc pas de défaite complète au Journal de Montréal. Et c’est peut-être même Madame Carbonneau qui en est responsable. Mais, à l’apprentissage des syndiqués et de leur dirigeante, doit s’ajouter celle des moyens pour confronter un monde capitaliste ambiant dans lequel s’est déroulée leur lutte. La bataille de l’information indépendante n’est toujours pas gagnée. Parlez-en à « l’aut’journal ». Et elle pourrait être de celle que le mouvement ouvrier a eu à mener contre les forces médiatiques tentant de le maintenir sur la défensive.
Sans devenir « la courroie de transmission du parti », le journal ne sortira victorieux de sa lutte qu’en donnant à la gauche une tribune politique dont il s’était déjà teinté lors du « lock-out ».



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