Le Bloc québécois

Tribune libre 2010

Les « vieux » qui ont goûté au cours classique (éléments latins, syntaxe, méthode, versification, belles lettres, rhétorique, philo 1 et philo 2), ou les moins vieux comme moi qui ont connu à la fois le classique et la transition vers les collèges d’enseignement général et professionnel (CEGEP), se souviennent peut-être des exercices de logique de leurs cours de philosophie autour de syllogisme dont le plus connu et fameux s’énonçait comme suit :
Tous les hommes sont mortels ;

Lucien est un homme ;

Donc, Lucien est mortel.
A peu près tous les étudiants ont été séduits par la beauté formelle et la démonstration impeccable d’un tel raisonnement, quoique la sensibilité de notre époque requière un correctif à ce syllogisme pour tenir compte de la moitié de l’Humanité : l’élément féminin. Le nouvel énoncé pourrait donc être :
Tous les humains sont mortels ;

Lucien et Lucienne sont des êtres humains ;

Donc, Lucien et Lucienne sont mortels.
Aristote en perdrait sa superbe ! Il faut noter que le qualificatif « mortels » est aussi un agrégat, une règle qui donne préséance à la forme masculine. Sexiste la langue française ? Peut-être ! Mais c’est loin d’être exclusif au français. En anglais cependant, on utiliserait le terme « mortal » sans référence de genre ou même sans la forme plurielle « s », ce qui donnerait en anglais de bas étage quelque chose ressemblant à ceci :
All the kit is mortal ;

Bob and Bobett are into the kit ;

So, Bob and Bobett are mortal
Quod demonstrandum est - Ce qu’il fallait démontrer ! Cet exercice de logique m’inspire tout à coup un autre syllogisme de mon cru :
Tous les partis politiques qui siègent à Ottawa sont fédéralistes ;

Le Bloc québécois siège à Ottawa ;

Donc, le Bloc québécois est fédéraliste.
J’entends déjà hurler. Pourquoi donc ? Le Bloc québécois n’est-il pas un parti politique fédéral du Canada ? Implanté exclusivement au Québec, souverainiste et social-démocrate, le Bloc s'est donné pour mission « de mettre en place les conditions nécessaires à la réalisation de la sécession du Québec et de défendre les intérêts de tous les Québécois au parlement canadien ». Comment un parti politique fédéral peut-il espérer promouvoir avec succès à la Chambre des communes l’idée de sécession d’une partie constituante du Canada ? Voilà une gymnastique intellectuelle qui dépasse mes compétences, n’étant sans doute pas assez lucide, ou Lucien !!!
Attardons-nous plutôt « à la défense des intérêts de tous les québécois au parlement canadien ». Il me semble que pour défendre les intérêts québécois au parlement canadien, il faut au moins croire que ce soit encore possible de défendre ces intérêts auprès des autres canadiens et que par conséquent, il n’est pas utile de les énerver avec la menace de sécession du Québec, étant donné que cette sécession n’est ni urgente, ni même nécessaire, puisqu’il est encore possible de défendre les intérêts du Québec à Ottawa !
J’entends encore hurler ! Mais pourquoi ? Récemment, le chef du Bloc postillonnait à tout vent que le Canada n’est rien de moins que le tombeau culturel, social, et politique du Québec. Fort bien ! La suite logique de cette sortie hautement théâtrale n’imposait-elle pas sur-le-champ la démission en…bloc des députés du Bloc québécois, puisqu’il n’y a plus rien à espérer d’Ottawa. L’ont-ils seulement fait ? Ont-ils démissionné pour venir revitaliser au Québec l’idée de sécession ? Pas du tout ! Ces gens-là ont trop à cœur les intérêts supérieurs de tous les québécois. Mais, quels intérêts ? Et dans quel but ?
Faute d’auto-évaluation, ou d’une saine autocritique, la démarche souverainiste telle que formulée et véhiculée depuis plus de 40 ans par le Parti québécois, et depuis 20 ans par le Bloc québécois, est devenue une tragicomédie qui nous dessert, un réel cul-de-sac politique ! Et ça postillonne dans nos chaumières, et ça claque des dentiers à tout venant en bombant le torse ! Mais, on aurait intérêt dans certains milieux à méditer la fable de Jean de La Fontaine intitulée « La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf » :
Une grenouille vit un Bœuf.

Qui lui sembla de belle taille.

Elle, qui n'était pas grosse en tout comme un œuf,

Envieuse, s'étend, et s'enfle, et se travaille,

Pour égaler l'animal en grosseur,

Disant : " Regardez bien, ma sœur ;

Est-ce assez ? dites-moi ; n'y suis-je point encore ?

Nenni. - M'y voici donc ? - Point du tout. M'y voilà ?

- Vous n'en approchez point. " La chétive pécore

S'enfla si bien qu'elle creva.

Le monde est plein de gens qui ne sont plus sages :

Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs,

Tout petit prince a des ambassadeurs,

Tout marquis veut avoir des pages.
***
Le sort des chefs peu sages, nous dit La Fontaine, ou de leur formation politique mal adaptée aux réalités politiques contemporaines, semble assez pathétique : s’étioler et disparaître. Qu’il en soit ainsi, pourvu que notre peuple vive !
Bon été
Yvonnick Roy
Québec

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