Labeaume sur Seine

Répétons-le, Régis Labeaume a raison, et même parfaitement raison. Mais son message demeurera trompeur tant que cette critique de la France ne servira qu'à se cacher la face devant la gravité de la situation du français au Québec.

Anglicisation du Québec



Récemment, le maire de Québec, Régis Labeaume, est passé par Paris comme il le fait souvent. Après avoir rencontré son homologue parisien, Bertrand Delanoë, il en a profité pour s'alarmer de la présence envahissante de l'anglais en France. Et le maire de s'inquiéter des nombreuses enseignes en anglais sur les Champs Élysées, de l'anglais dans la publicité et du nombre «sidérant», disait-il, de mots anglais dans la presse et les médias. «Il va falloir qu'on se préoccupe de ça à un moment donné», s'est-il exclamé dans le style un peu fruste qu'il cultive si soigneusement.
L'affaire a fait grand bruit dans les radios de la capitale et les réseaux sociaux. Il faut dire que Régis Labeaume constate ce qui saute aux yeux de n'importe quel Québécois qui débarque à Paris. L'anglophilie existe en France depuis plus d'un siècle, mais depuis quelques années, et notamment l'élection de Nicolas Sarkozy, elle s'est accentuée un peu partout. C'est particulièrement vrai dans la publicité et les médias. Rien de plus cool pour un quotidien comme Libération que de commencer ses articles en lançant deux ou trois mots anglais, au sens d'ailleurs parfois assez obscurs.
Il n'y a donc rien à redire aux propos de Régis Labeaume. Admettons tout de même qu'ils contiennent un petit quelque chose d'insidieux. Un bon connaisseur de la France comme lui, puisqu'il y vient souvent, aurait dû éviter de tracer un parallèle trop simpliste entre le Québec et la France. Il aurait dû ajouter que cet envahissement de l'anglais n'avait rien à voir avec celui que nous connaissons au Québec. Je mets au défi Régis Labeaume de trouver à Paris un dépanneur où l'on ne parle pas français. Même dans le quartier chinois de Belleville, on entend un français souvent exquis, à faire rougir certains hommes politiques que je ne nommerai pas.
Il faut savoir que les mêmes causes ne produisent pas partout les mêmes effets. Aussi détestable que soit ce snobisme anglophile, la France parlera toujours français dans 200 ans. Qui pourrait en douter? Il n'en va pas de même au Québec, où la moindre avancée de l'anglais pose la question de la survie d'un peuple qui, contrairement à la France, n'est protégé par aucune frontière nationale.
L'immigrant qui ne parle pas français en France aura beau avoir l'accent d'Oxford, il se retrouvera vite à la rue. Il faut entendre les garçons de café corriger les touristes américains qui n'utilisent pas le bon mot français. Au Québec, ce même unilingue anglophone risque de se voir offrir la direction de la Caisse de dépôt, ou de la Banque Nationale. Régis Labeaume a parfaitement raison de réclamer que l'on discute de la pénétration de l'anglais en France lors du Forum international sur la langue française qui se tiendra cet été à Québec. Il faut en profiter pour mettre la France devant ses responsabilités, notamment sur le plan international. À condition évidemment qu'on y discute aussi de la situation dramatique du français à Montréal.
Car, il faut faire preuve de beaucoup de naïveté pour croire que le français est aujourd'hui véritablement, ailleurs que dans les lois, la seule langue officielle du Québec. N'importe quel étudiant français qui débarque à Dorval constate vite que, malgré ses prétentions, le Québec est au moins pour moitié une province full bilingue, d'ailleurs la seule du Canada. Reconnaissons que Montréal est ce qui ressemble le plus dans le monde à une ville entièrement bilingue, le bilinguisme désignant ici cet état transitoire où l'une des deux langues, celle de la majorité ou celle de la minorité, finira un jour par s'imposer. Nos petits chants patriotiques un peu surannés en l'honneur de la vaillante et héroïque loi 101, dont il serait temps de constater l'échec, n'y changeront rien.
L'été prochain, l'occasion serait donc bonne d'inviter le maire de Paris à venir assister au prochain concert de Metallica, ou autre groupe du même acabit, sur les plaines d'Abraham. On pourrait lui faire rencontrer les dirigeants unilingues de la Caisse de dépôt. On pourrait lui montrer ces nouveaux bulletins de la CSDM où l'anglais est la première matière au programme. Il pourrait échanger quelques mots avec l'ineffable Ruth Ellen Brosseau et constater les progrès du bilinguisme institutionnel en visitant les nouvelles classes bilingues que le gouvernement s'apprête à créer en sixième année.
Répétons-le, Régis Labeaume a raison, et même parfaitement raison. Mais son message demeurera trompeur tant que cette critique de la France ne servira qu'à se cacher la face devant la gravité de la situation du français au Québec.
Ceux qui souhaitent tant voir les Québécois «penser en majoritaires et cesser de voir l'anglais comme une menace» devraient commencer par combattre le statut de minorité qui est et qui sera toujours celui des francophones au Canada. «Penser en majoritaire» comme nous le faisons d'ailleurs trop souvent, alors que nous sommes dans les faits une minorité nationale, serait faire preuve de la même insouciance que la France. Une insouciance certes dangereuse pour celle-ci, mais suicidaire pour le Québec.


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