Depuis le référendum de 1995, la classe politique canadienne s'est habituée aux soubresauts qui agitent périodiquement le mouvement souverainiste. Comme bien des Québécois, les politiciens fédéraux ont cessé de voir les débats internes du PQ sur la tenue rapprochée ou distante d'un autre référendum comme un baromètre crédible de l'humeur nationaliste ambiante.
À Ottawa, les «Quebec watchers», comme on surnommait ceux qui avaient pour vocation de décoder les signaux en provenance de l'Assemblée nationale ou des conseils nationaux du PQ, se sont recyclés dans d'autres domaines. Le portefeuille des affaires intergouvernementales qu'a jadis détenu l'ancien chef libéral Stéphane Dion est devenu une oubliette ministérielle.
Pendant des décennies, la performance de premiers ministres fédéraux successifs a été évaluée à l'aune de leur succès à assurer la paix sur le front de l'unité canadienne. Ce n'est pas le cas de Stephen Harper.
Dans une recension de Harperland, l'ouvrage du journaliste Lawrence Martin sur l'expérience au pouvoir du premier ministre actuel, le chroniqueur William Johnson notait récemment dans un texte paru dans The Gazette combien le livre faisait abstraction de l'évolution (plutôt tranquille) du dossier sous le régime conservateur.
Après avoir passé trois décennies à voir le Québec à travers le prisme du débat sur son avenir politique, les médias canadiens sont passés à autre chose. C'est ainsi que la chef actuelle du PQ intéresse au premier titre les chroniqueurs politiques canadiens et leur auditoire non pas pour ses chances de faire accéder le Québec à la souveraineté, mais plutôt parce que Pauline Marois pourrait devenir, avec la néodémocrate Carole James en Colombie-Britannique, une des premières femmes à être élue à la tête d'une des principales provinces canadiennes.
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L'émergence de scénarios selon lesquels le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, pourrait devenir une solution de rechange à Pauline Marois à plus ou moins brève échéance ne passe pas pour autant inaperçue dans les officines des autres partis fédéraux.
Depuis que la Chambre des communes a servi de tremplin à deux premiers ministres du Québec, on ne se surprend plus, sur la colline parlementaire fédérale, des mouvements de personnel politique entre les deux capitales.
Pendant les années 90, les réincarnations québécoises de Lucien Bouchard et de Jean Charest avaient suscité tout un lot d'analyses de l'impact de leurs arrivées successives dans l'arène de l'Assemblée nationale sur leurs options respectives et sur l'avenir de la fédération canadienne.
Par comparaison, l'hypothèse d'un changement de scène pour Gilles Duceppe intéresse au premier titre les stratèges des autres partis pour ses répercussions possibles sur le décor fédéral.
Au sein du NPD, du PLC et du Parti conservateur, on voit davantage le concept du remplacement d'un chef bloquiste aguerri par un leader néophyte comme une ouverture pour marquer des points aux dépens du Bloc au prochain scrutin fédéral que comme un inconvénient éventuel pour l'avenir du Canada.
Quinze ans après le dernier référendum, l'idée que l'arrivée d'un nouveau messie aurait un impact miraculeux sur la vigueur de l'option souverainiste a fait son temps à Ottawa. Mais même si tel était le cas, la plupart des acteurs fédéraux ont des raisons de douter que Gilles Duceppe soit ce messie.
Plusieurs doutent également qu'il puisse constituer un antidote durable à la montée éventuelle d'un nouveau parti de centre droit au Québec et à la fragmentation progressive de la coalition souverainiste. Ces dernières années, les convictions sociales-démocrates du chef bloquiste ont grandement contribué à consolider le flanc gauche de sa formation, mais le parti a également perdu une partie de son aile droite aux conservateurs de Stephen Harper. Ce ne sont pas des urbains anglophones ou allophones qui donnent onze sièges au gouvernement actuel.
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M. Duceppe ne vient pas de passer les vingt dernières années en réserve de la nation. Il évolue en première ligne dans un des deux postes de direction du mouvement souverainiste depuis presque 15 ans. Vu du Québec, il est le critique en chef du gouvernement Harper et, aux yeux de bien des Québécois, il est le chef de l'opposition officielle en tout sauf en titre.
Dans le passé, l'impopularité des politiques fédérales et de ceux qui les incarnaient a toujours été un ingrédient utile pour la souveraineté, une sorte de «poudre à pâte» qui aidait à faire lever l'option. Sans les échecs fédéraux successifs de la fin des années 80 et du début des années 90 sur le front constitutionnel, le scénario d'un second référendum, potentiellement gagnable, ne se serait pas matérialisé.
Mais aujourd'hui, malgré un ordre du jour gouvernemental qui va souvent à contresens de la tendance lourde au Québec, en dépit de l'efficacité au jour le jour du chef bloquiste et de son indéniable popularité, le fait est que le lien entre un gouvernement fédéral impopulaire et la courbe des appuis à la souveraineté n'a jamais été moins évident.
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Chantal Hébert est columnist politique au Toronto Star.
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chebert@thestar.ca
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