La tyrannie de la minorité

Conflit étudiant - grève illimitée - printemps 2012



Mon estimé collègue André Pratte, éditorialiste en chef de La Presse, nous offre ce lundi dans un édito intitulé La tyrannie de la minorité, un intéressant calcul sur les rapports entre la majorité et la minorité. Le voici:
rappelons-le puisque personne ne semble vouloir en tenir compte, les grévistes ne représentent que 35% des étudiants du niveau post-secondaire.
Dans les universités, moins d’un étudiant sur trois boycotte ses cours. Enfin, le Québec comptant un million de personnes âgées de 16 à 25 ans, les grévistes constituent moins de 20% de la jeunesse québécoise. Pourquoi cette minorité devrait-elle dicter les décisions de l’État?

J’adore. Alors, je reconduis à l’étage supérieur:
rappelons-le puisque personne ne semble vouloir en tenir compte, le gouvernement libéral ne représente que 42% des voix exprimées lors du scrutin de décembre 2008.
Dans la totalité de l’électorat, 58% des gens ont donc voté contre les Libéraux. Enfin, le Québec comptant 5,540,000 électeurs inscrits, et puisque l’abstention a été massive lors de l’élection, l’appui populaire du gouvernement libéral constitue moins de 24% de l’électorat québécois. Pourquoi cette minorité devrait-elle dicter les décisions de l’État?

Évidemment, je badine. Je ne remets nullement en cause la légitimité du gouvernement. Mais je ne remets pas non plus en cause la légitimité des associations. Il est bien, de temps en temps, de chiffrer la chose, comme André et moi le faisons aujourd’hui.
Dubuc vs Dubuc
Mais pour ce qui est d’établir la légitimité, je vous imposerai deux citations de mon autre estimé collègue de La Presse, Alain Dubuc. La première, de ce lundi, d’une chronique intitulée Petit rappel sur la démocratie:
Le Québec est dirigé par un gouvernement élu, à qui les électeurs confient un mandat et à qui ils délèguent des responsabilités. Ce système imparfait peut mener à des erreurs et à des abus.
Nous disposons donc de mécanismes formels pour encadrer l’exercice du pouvoir, comme les institutions parlementaires, les lois et les tribunaux. À cela s’ajoute une foule de mécanismes informels pour amener un gouvernement à ajuster le tir — mouvements d’opinion, sondages, débats publics. Enfin, le peuple dispose d’une arme ultime à travers ses choix électoraux.
Le débat sur les droits de scolarité a été soumis à ces mécanismes. La hausse a été largement expliquée dans un budget déposé par un gouvernement élu, qui a été adopté par l’Assemblée nationale.

C’est très bien dit. Et si j’étais d’une très grande mauvaise foi, je mettrais en cause ce mécanisme démocratique en citant le même Alain Dubuc qui, le 14 décembre 1999, dans un édito intitulé La démocratie et l’Assemblée nationale, affirmait ceci:

L’Assemblée nationale, tout comme la Chambre des communes, n’est pas un creuset démocratique parfait. Notre système de scrutin majoritaire uninominal à un tour et la discipline de parti font en sorte que le parti qui forme le gouvernement jouit d’un pouvoir excessif.

Au sujet des votes pris à l’Assemblée, il écrivait doctement que cela:
revient, dans les faits, après 35 heures de débat, à permettre au gouvernement d’imposer ses vues. Ce ne sont ni les élus, encore moins le peuple québécois qui s’exprimeront, mais le cabinet du premier ministre.

Notez la date: 1999. L’alors-éditorialiste Dubuc s’échinait contre la légitimité démocratique du gouvernement péquiste de Lucien Bouchard, au sujet d’un projet de loi affirmant le droit du Québec à disposer de lui-même (transparence totale: j’en étais jusqu’en septembre conseiller, c’est pourquoi je me souviens de l’édito). Aujourd’hui, Alain Dubuc s’échine au contraire à démontrer la légitimité du gouvernement libéral. Coïncidence ?
Démocrate avant tout, je me rallie au Dubuc de 2012. Le gouvernement Charest a la légitimité pour agir. Il le fait avec un rare mélange d’autisme, d’incompétence et, on peut le penser, de calcul électoraliste. Et, en effet, la population aura l’arme ultime, le jour du scrutin.

Squared

Jean-François Lisée296 articles

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Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.

Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.





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