La télémédecine va survivre à la COVID-19 !

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Changement de paradigme


Depuis le mois dernier, les Québécois peuvent rencontrer un médecin par vidéoconférence sur un téléphone, une tablette ou un téléphone intelligent, et même se faire prescrire des médicaments, sans jamais quitter leur foyer. Si certains pays offrent la télémédecine et les consultations à distance depuis quelques années déjà, cette technologie est toute nouvelle au Québec, du moins dans sa forme actuelle.


Les intervenants avec lesquels L’actualité s’est entretenu sont unanimes : la crise de la COVID-19 représente une occasion en or de changer les façons de faire dans le système de santé, tout particulièrement par rapport à la télémédecine.


« Avant la crise, le Québec était en retard », estime le Dr Jean-Paul Fortin, médecin spécialiste en santé communautaire et professeur titulaire au Département de médecine sociale et préventive de l’Université Laval. Selon le chercheur qui suit de près l’évolution de la télésanté depuis les années 1990, le Québec a déjà été en avance sur son temps, mais s’est enlisé au cours des 15 dernières années environ. « Si j’avais à caricaturer, je dirais qu’on faisait beaucoup de projets-pilotes, mais qu’on n’y donnait pas suffisamment suite », observe-t-il.


Avant que la COVID-19 ne vienne tout chambouler, la téléconsultation (la télémédecine englobe d’autres concepts, comme la téléexpertise, où un médecin en consulte un autre, et la téléassistance, où une personne âgée obtient de l’aide à distance, par exemple) était réservée au Québec à certains cas précis, du moins dans le système public. « Ça se limitait aux médecins spécialistes », explique la vice-présidente du Collège des médecins, la Dre Nathalie Saad. Les mesures étaient surtout déployées dans un contexte d’accessibilité, pour permettre notamment aux habitants du Grand Nord de voir un spécialiste plus facilement.



« Il fallait toutefois que le médecin soit en établissement, et que le patient le soit aussi, accompagné d’un professionnel de la santé. Il n’y avait pas moyen de joindre les patients à leur domicile », poursuit la pneumologue. Et même s’il était depuis peu possible d’utiliser des plateformes Internet spécialisées, les médecins devaient généralement effectuer leurs consultations dans une salle de leur hôpital réservée aux vidéoconférences.



 


Certains services payants existaient aussi, mais n’étaient pas remboursés par la Régie de l’assurance maladie du Québec. Et ils constituaient plus l’exception que la règle.


Le coronavirus change la donne


Tout a changé le 16 mars dernier. Depuis, les omnipraticiens peuvent être rémunérés pour leurs actes posés à distance, et les règles concernant la télémédecine ont été assouplies.


Dans un guide à l’intention des médecins pendant la pandémie de COVID-19 publié mardi, le Collège des médecins mentionne que « tous les médecins qui sont des membres actifs du Collège, en établissement ou hors établissement, pourraient être appelés à réaliser des consultations en télémédecine, pourvu qu’ils aient les compétences requises pour ce faire, que la problématique du patient s’y prête et qu’ils disposent des moyens technologiques appropriés ».


En clair, certains troubles nécessitent toujours une visite en personne, mais les médecins qui jugent qu’un patient peut être évalué à distance peuvent procéder de cette façon.


Les médecins ont aussi plus de liberté qu’auparavant en ce qui a trait aux consultations virtuelles. Ils pourront par exemple rencontrer des patients qu’ils ne connaissent pas déjà. Et les règles entourant certaines prescriptions en ligne ont été allégées, notamment celles touchant les psychostimulants et les opioïdes.


« Les soins prodigués demeurent de haut niveau. Les standards n’ont pas changé », assure la Dre Nathalie Saad.




 


Le fait que les médecins et patients ne soient plus tenus d’être dans un établissement de santé pour les téléconsultations s’avère particulièrement important en période de pandémie. « Ça permet aux médecins qui sont en isolement volontaire de rester actifs dans le système, et aux patients d’éviter les risques associés à une visite à l’hôpital », dit la vice-présidente du Collège des médecins.


Notons que les consultations à la maison sont facilitées par les récentes avancées en numérisation des soins de santé au Québec. Les médecins peuvent par exemple accéder au dossier de santé de certains patients et signer des ordonnances numériques, ce qui aurait été impossible il y a quelques années seulement.


Plusieurs plateformes


Concrètement, une visite virtuelle ressemble à une visite traditionnelle, mais elle se passe à la maison, à l’aide d’un logiciel de téléconférence semblable à ceux utilisés pour le télétravail ou les discussions avec la famille.


« Mes patients reçoivent par courriel un lien qu’ils doivent suivre, et ils arrivent ensuite dans une salle d’attente virtuelle. Quand je suis prête, la consultation débute. Je peux alors décider si je dois envoyer une infirmière ou un inhalothérapeute visiter le patient, et si on doit changer de traitement. Ça fonctionne comme une clinique normale, mais à distance », illustre la Dre Nathalie Saad.


Côté technique, quelques options ont été sélectionnées par le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), comme les outils de téléconférence intégrés aux dossiers médicaux électroniques, la plateforme québécoise Reacts et les applications Teams et Zoom pour la télésanté (une version différente du logiciel qu’on utilise habituellement dans les entreprises).


L’interface, le processus d’enregistrement et les fonctionnalités varient d’un service à l’autre, mais le tout est généralement assez simple. Chaque établissement est responsable d’établir ses façons de faire pour expliquer les logiciels aux patients. Certaines cliniques pourraient prévoir un moment avec une infirmière pour expliquer le fonctionnement avant la première rencontre, alors que d’autres pourraient offrir ce service sur demande seulement.




 


Pour les patients plus technophobes, le téléphone peut aussi être utilisé, mais la Dre Nathalie Saad observe dans sa pratique que la consultation électronique se passe généralement plutôt bien. « Les gens sont assez familiers avec tout ça. La plupart des patients ont déjà un téléphone ou une tablette, et ils l’utilisaient déjà pour communiquer avec leur famille », note la pneumologue.


Certaines plateformes offrent aussi des services spécialisés, qui vont au-delà de la simple téléconférence. L’entreprise montréalaise Groupe Tactio Santé a, par exemple, mis en marché une solution permettant le suivi à distance de patients atteints de la COVID-19 présentant un risque modéré, où ceux-ci sont invités à prendre leur température et à répondre à des questions sur leur téléphone à la maison.


« On ne possède pas la capacité hospitalière pour garder ces patients à l’hôpital, mais on ne veut pas les laisser seuls, parce que leur état pourrait se détériorer. Notre programme permet de suivre l’évolution de leurs symptômes à distance, tout en les gardant en confinement », résume le PDG du Groupe Tactio Santé Michel Nadeau.


L’entreprise offre sa solution gratuitement au Québec jusqu’à la fin de l’année, et certains hôpitaux de la province l’utilisent déjà.


Comme bien d’autres entreprises du milieu, Groupe Tactio Santé note une adoption massive de la télémédecine ces jours-ci au Québec et dans le monde (ses produits sont offerts dans 135 pays). « En Europe, aux États-Unis et au Canada, on observe une augmentation de la demande de plusieurs ordres de grandeur », note Michel Nadeau.


Une occasion à long terme


Le Dr Jean-Paul Fortin, professeur titulaire au Département de médecine sociale et préventive de l’Université Laval, rappelle que l’« on avait déjà démontré l’utilité de la télémédecine lorsqu’elle est bien organisée ». Selon ce médecin spécialiste en santé communautaire, les projets pilotes effectués au cours des dernières années démontrent notamment que la télémédecine permet d’éviter des passages à l’urgence, tout en coûtant moins cher à la société et en ayant un taux de satisfaction élevé, tant chez les médecins que chez les patients.


Luc Vilandré, président de Telus Santé et solutions de paiement, ajoute pour sa part que « la réception est vraiment positive chez les patients. C’est simple pour tout le monde, ça augmente l’accessibilité aux soins et ça permet d’attendre à la maison plutôt que dans une clinique. » Cette division de l’entreprise de télécommunications est bien implantée dans le milieu canadien de la santé, notamment avec ses services de téléconsultation et ses dossiers médicaux électroniques.



« Il va être important maintenant de trouver comment apprendre de ce qui a été fait pendant la crise », dit le Dr Jean-Paul Fortin. Efficacité des solutions technologiques, moyens pour faciliter leur adoption, type de consultations à privilégier, façons de faire, dynamique entre les cliniciens, les patients et les gestionnaires, adaptation des plateformes technologiques aux réalités québécoises, intégration avec les dossiers médicaux électroniques : la crise de la COVID-19 est un véritable projet pilote à grande échelle qui pourrait permettre de tirer des leçons importantes pour l’avenir.


« Ça va accélérer le développement de la médecine virtuelle sur tous les plans de deux, trois ou quatre ans », croit d’ailleurs Luc Vilandré.


Pour l’instant, les mesures de télémédecine ont été mises en place dans un contexte d’urgence sanitaire, et pourraient être retirées, ou du moins modifiées, lorsque la pandémie sera passée.


« Il y aura probablement un temps de pause après la crise, le temps de regarder les impacts et de faire une analyse de ce qui s’est passé, croit la Dre Nathalie Saad. Mais de croire qu’on va revenir à faire les choses comme on les faisait avant, ça m’apparait illusoire. »




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