Courses, aspirateurs et lessive, c’est le quotidien de ces femmes au foyer pour qui les tâches ménagères sont un plaisir et non pas une corvée.
Brushing impeccable, collier de perles, gilet qui laisse entrevoir un chemisier en vichy rouge, jupe midi plissée et gants en latex jaune… on a comme l’impression d’un gros retour dans les années 50. Pourtant, celle qui porte cette tenue vit bien en 2020. Elle s’appelle Alena Kate Pettitt, elle est femme au foyer, autrice, blogueuse et influenceuse. Dans cet ordre.
La Britannique à la tête du blog The Darling Academy est ce qu’elle appelle une TradWife, pour Traditionnal Wife. Sur sa chaîne YouTube ou son compte Instagram, elle explique comment être une parfaite épouse – comprendre faire la poussière efficacement, repasser correctement les chemises et subvenir à tous les besoins domestiques de son mari. Le mouvement des TradWives reste très marginal mais son compte Instagram fédère tout de même une communauté, largement féminine, de 12 000 personnes. Après des années de lutte pour faire sortir les femmes de la cuisine, le mouvement TradWife et son esthétique inspirée des années 50 ont de quoi surprendre.
C’est quoi une TradWife ?
Être une TradWife, c’est un choix et un mode de vie. Et il ne s’agit pas simplement d’être une femme au foyer. D’ailleurs, Myriam Boussabah-Bravard, professeur spécialiste de l’histoire des femmes et du genre, le rappelle « il y a toujours eu des femmes au foyer, même après l’acquisition de leurs droits et donc de leur émancipation. » Alors qu’est-ce qui distingue une TradWife d’une femme au foyer moderne ? Pour Alena Kate Pettit, tout est question de priorités. « Être une TradWife, ça veut dire que le travail domestique et la famille passent avant tout », nous explique-t-elle. Celle qui est par ailleurs autrice de deux ouvrages et anime plusieurs comptes sur les réseaux sociaux, nous l’assure : son « rôle premier est de prendre soin de [sa] maison et de [sa] famille. » Et de le faire avec le sourire. Car c’est bien ça, le combat d’Alena Kate Pettitt, redorer l’image des femmes au foyer.
Redorer l'image des femmes au foyer
« À cause des médias, les femmes au foyer ne sont plus valorisées », répète la fée du logis. Il faut dire qu’entre la série Desperate Housewives et les émissions de télé-réalité du type The Real Housewives of Berverly Hills, l’image de la femme au foyer en a pris un sacré coup. Alena Kate Pettitt regrette donc que ses pairs soient « dépeintes comme misérables et soumises aux tâches ménagères, coincées dans une maison qui est devenue leur prison. »
La créatrice de The Darling Academy s’est donc tournée vers les années 50 et son esthétique de la ménagère-femme parfaite et « ses magazines pour femmes au foyer, [ses] livres qui encourageaient les femmes à bien faire leur travail domestique. » Car pour Alena Kate Pettitt, le travail domestique c’est du sérieux, « comme une carrière, et une carrière épanouissante de surcroît ». Elle reste néanmoins consciente que la vision actuelle des femmes des années 50 est probablement erronée et que l’époque de la femme ménagère puissante, libre et glamour n’a probablement jamais existé. Mais ça ne l’empêche pas d’en épouser même les aspects les plus gênants, comme la soumission de la femme à son mari.
Un mouvement qui se nourrit des failles du féminisme
Sur son blog, Alena Kate Pettitt rappelle donc à ses lectrices que leur mari doit toujours passer en premier. Volontairement provocatrice, la Traditionnal Wife dénonce un âge du « féminisme agressif et du man-bashing. » Et ce n’est pas Lillian, connue sous le nom de The Post Modern Mom sur les réseaux sociaux, qui dira le contraire. Cette Américaine installée en Angleterre, mère de deux enfants et épouse comblée se dit déçue du féminisme qui l’a « poussée à considérer les hommes comme une fin en soi et non comme des formidables partenaires de vie. »
Pour Alena aussi, le féminisme n’a pas tenu ses promesses. « Je pensais que le féminisme devait permettre aux femmes d’avoir le choix, et pourtant mon choix dérange, » raconte-elle, un peu amère. Depuis ses débuts, le mouvement TradLife s’est construit en contrepoids du féminisme. En 1963, alors que la publication de The Feminine Mystique lance la seconde vague féministe, Helen Andelin publie Fascinating Womanhood et lance le mouvement TradLife. Ces femmes au foyer néo-tradi construisent ainsi leur idéologie dans les failles du féminisme. Pour la journaliste britannique Sally Howard, autrice du livre The Home Stretch, « les féministes deviennent la cause de tous leurs problèmes. »
Lillian affirme ainsi que le féminisme l’a desservie en tant que femme. Celle, fan des traditions, qui a choisi avec ironie le nom de « Maman Post-Moderne » reproche notamment au mouvement pour l’égalité hommes-femmes d’avoir « affaibli la culture de la famille en Occident ».
Les femmes mieux équipées pour rester à la maison
Être une TradWife, c’est avant tout une histoire de famille. Mais qui en dit long sur la femme et la féminité. Les deux femmes au foyer tradi sont formelles, leur choix de s’occuper de la maison est principalement une question de dynamique de couple. « Je ne parle que de ce qui fonctionne pour moi et pour ma relation avec mon mari, » se défend Alena Kate Pettitt. Même son de cloche pour Lilian qui nous affirme que « chaque couple est unique et doit trouver son équilibre. »
Oui, mais si l’on parle de femme au foyer et non pas d'homme au foyer, ce n’est pas un hasard. « Les hommes comme les femmes sont capables d’effectuer un travail domestique mais certaines différences biologiques nous rendent plus enclines à certaines tâches », avance Alena. L’argument biologique trouve aussi écho chez Lillian qui affirme que les femmes qui « "souffrent" de changements hormonaux » sont naturellement mieux équipées pour rester à la maison.
Profondément différentialiste, la Maman Post-Moderne estime également que les femmes sont naturellement plus « agréables » que les hommes. Ce qui permet à ces derniers d’obtenir des postes de leadership. Une certaine idée de la femme, de l’homme et du management, donc.
Derrière le choix, un autre système de valeurs
Le monde du travail, les deux mères au foyer en ont fait l’expérience. Lillian était professeur de musique, Alena était responsable marketing dans l’industrie cosmétique. Mais aucune n’a vraiment trouvé sa place dans l’univers de l’entreprise. Alena a même fait « une sorte de burn-out » avant d’arrêter définitivement de travailler quelques mois avant la naissance de son fils. À la fin de son congé maternité, Lillian avait du mal à s’imaginer confier ses enfants à des inconnus pendant qu’elle enseignerait la musique à ceux des autres. Elle a donc choisi d’éduquer elle-même ses enfants. Et « voir ses enfants s’épanouir » est désormais ce qu’elle préfère dans son quotidien. On l’aura compris, ce n’est pas la TradLife qui les a choisies mais bien l’inverse.
Un choix personnel, oui. Mais qui se vit en communauté. « Nous nous réunissons sous un hashtag car beaucoup d’entre nous sont isolées dans leur communauté », explique Alena qui nous assure qu’il s’agit d’un mouvement d’envergure, international, pluri-religieux et pluri-culturel. Elle regrette d’ailleurs que son choix personnel soit « associé aux suprémacistes blancs et à l’extrême droite. » Pourtant, difficile de ne pas voir un système de valeurs proche de celui de la droite conservatrice dans ce mode de vie qu’elle documente et promeut sur les réseaux. « Elle habille un choix, qui dans son cas est présenté comme personnel, avec les habits de la politisation, ceux de la droite dure », commente Myriam Boussabah-Bravard.
Pour Lillian, c’est même clair. Son utilisation du terme « post-moderne » est le vœu d’un retour à des valeurs traditionnelles après l’ère moderne. Derrière la défense du choix de toutes les femmes, les tartes aux fruits et les tabliers, on trouve donc un autre système de valeurs qui nous ramène quelques années en arrière.