La soumission ou l’indépendance

Éditorial de septembre 2022

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« Le dualisme institutionnel […] permet aux unilingues anglos ou à ceux qui choisissent de s’angliciser de le faire en tout confort et en toute impunité »

StatCan a frappé un grand coup avec les données du recensement. Ce qui jusque-là pouvait être tenu pour des anxiétés de nationaleux s’est établi avec une évidence que personne ne peut plus nier. Le français est d’ores et déjà effondré au Canada. C’est d’une tristesse infinie pour les minorités qui tentent héroïquement de résister. Elles méritent toute notre compassion et, pour ce qui est de notre possible dans l’ordre canadian mortifère, tout notre soutien. Le Québec doit rester pour les parlants français d’Amérique un allié indéfectible et – il faut le rappeler pour ceux-là qui n’en peuvent plus – une terre de refuge. Mais cela ne restera vrai que dans la mesure où les Québécois eux-mêmes sauront composer avec l’autre versant de cette mauvaise nouvelle  : l’effondrement menace ici aussi. Notre langue et notre culture ne disparaîtront évidemment pas du jour au lendemain, mais la logique que révèlent ces résultats est implacable : le Québec français est engagé à vitesse grand V sur la voie de relégation.


La folklorisation est en marche, elle avance au pas de l’assimilation qui gruge le rapport démographique. Au rythme où vont les choses, notre capacité de maintenir le pouvoir intégrateur de l’ensemble des institutions va fléchir et rendre de plus en plus évidente l’expropriation symbolique d’abord (c’est déjà en train de se faire) et socioéconomique ensuite. La capacité instituante est d’abord une affaire de nombre, mais elle est aussi une affaire de cohérence institutionnelle et de cohésion sociale. Et c’est précisément ce que le régime vise à détruire avec un succès de plus en plus évident. Les timides initiatives de la loi 96 sont à peine annoncées que déjà l’artillerie lourde est déployée. Avec le concours de la juge en chef de la Cour supérieure, avec l’octroi massif de soutien financier pour attaquer tous les aspects de la loi, avec la mobilisation tous azimuts des groupes visant à saboter la référence à la langue française et à la culture québécoise comme centre de gravité de la vie sociale.


C’est une chose qui n’a pas retenu l’attention de la nuée de bonimenteurs qui ont fait des phrases sur la stupeur qu’a provoquée la nouvelle. Elles n’ont pas manqué les ratiocinations pour désamorcer les conclusions qui s’imposent d’évidence, pour produire une millième fois des raisonnements fallacieux pour mieux minimiser l’ampleur des pertes, pour faire de la boucane dans les esprits déjà embrumés par la propagande et l’habitude du recul. Ils n’ont pas manqué les raisonnements spécieux pour dire que les actions de redressement sont complexes, que le salut viendra de la francisation des immigrants, que les choses sont compliquées, que si nous parlions une langue plus châtiée, que si nous étions plus inspirants, que si, que si… Les exposés en apparence savants n’auront servi qu’à masquer la plus criante évidence : la seule chose qui soit réellement facile dans toute cette affaire, c’est de contourner le français !


Il s’en est certes trouvé pour rappeler le grossier Rousseau et la culture rhodésienne d’Air Canada, mais les dénonciations sont restées dans le registre des lamentations. Les plus ardents y sont même allés d’appels au raffermissement de la volonté… Comme s’il s’agissait d’une mollesse de caractère d’abord. C’est toujours le même penchant du raisonnement : s’en prendre à soi-même plutôt qu’au régime. Pour mieux se mépriser. Pour mieux composer avec l’impuissance et se dorer les arguments de la résignation. L’anglicisation ne progresse ici d’abord que par l’action militante d’Ottawa qui agit sur tous les fronts pour instrumentaliser et accroître les pressions démographiques, multiplier les sabotages juridiques et réglementaires et conduire des politiques plaçant la minorisation effective dans tous les programmes et interventions de l’État. Le régime canadian repose tout entier sur la logique d’érosion de notre existence nationale et sur les tactiques de « containment » de son expression. Le coup de force constitutionnel de 82 aura mis en place les instruments requis pour agir avec une efficacité redoutable. La Charte canadian et la doctrine du multiculturalisme, sanctifiées comme mythe de refondation, n’ont pas d’autres fondements ni raisons d’être.


Ces instruments produisent autant d’écrans rendant obscure aux Québécois eux-mêmes la lecture de leur propre situation. Ils servent aussi d’outils de renforcement de ce qui rend si facile le contournement du français et de la culture québécoise au Québec même : le dualisme institutionnel. C’est ce dualisme qui permet aux unilingues anglos ou à ceux qui choisissent de s’angliciser de le faire en tout confort et en toute impunité : les cégeps et les universités anglophones surfinancés, un Radio-Canada/CBC au service du multiculturalisme comme doctrine d’État, un réseau d’hôpitaux chapeauté par un CUSM qui n’était justifié que pour maintenir l’hégémonie de McGill et qui a drainé des ressources qui condamnent l’hôpital Maisonneuve-Rosemont à la taudisation et les citoyens des régions à se contenter d’une médecine de brousse.


Sous couvert d’accommodement avec les droits de la minorité, c’est la logique du développement séparé qui caractérise l’architecture institutionnelle du Québec, une logique que le gouvernement du Québec maintient et renforce, même dans les domaines qui relèvent de sa juridiction et de ses moyens d’agir. Deux Québec existent dans une lutte sourde qui se déroule à armes inégales et se finance à même les impôts que versent les Québécois. Deux Québec, mais dont l’un travaille à saper l’autre et qui ne saurait tenir sans le recrutement et la mobilisation d’un personnel en très grande partie composé de francophones et d’allophones, car l’anglosphère n’a pas la démographie pour soutenir ses institutions. L’absurde est une composante essentielle de notre condition.


C’est en raison de la volonté de maintenir le dualisme institutionnel que le gouvernement Legault a refusé d’étendre la loi 101 au cégep. C’est pour conforter l’hégémonie des institutions anglaises sur le monde universitaire et sur la métropole et son centre-ville qu’il a fait don à McGill du Royal Victoria – un cadeau d’un milliard à la puissance assimilatrice ! C’était affligeant de voir le ministre Jolin-Barette réitérer le refus de son gouvernement de revoir les dispositions de la loi 96 pour faire du cégep français le véritable passage obligé qu’il devrait être, alors même que lui et son premier ministre se disaient inquiets. Ce n’est qu’une mesure pour mettre une sourdine sur les signaux d’alarme.


C’est toujours la même logique de minimisation des pertes qui est à l’œuvre dans la politique de consentement à la minorisation. Sa loi ne tient que sur des demi-mesures qui ne seront certes pas toutes sans résultats, mais qui viendront trop tard étant donné la vitesse à laquelle s’annonce l’effondrement. C’est le retour du « nés pour un p’tit pain », ces résultats serviront de prix de consolation, de matériau pour continuer de se donner l’impression d’agir. La politique de consentement fonctionne essentiellement sur la confusion volontairement entretenue entre action et l’agitation. Le gouvernement Legault s’agite, il se paie de mots en multipliant les simagrées. La main sur le cœur pour évoquer la Louisiane… Et continuer de financer notre propre assimilation.


Les résultats du recensement ont vite été chassés des écrans médiatiques. Nous avons le drame court et une nouvelle chasse l’autre. Et pourtant ils ont servi de révélateur du sens profond de l’élection de cet automne. Le gouvernement Legault demande aux Québécois de se faire une fierté de sa résignation.


À moins d’un retournement aussi imprévisible qu’invraisemblable, il sera probablement réélu. Il le sera sur la censure de notre condition nationale réelle. Les opportunistes se bousculent déjà au portillon pour tenter de faire croire à l’émergence d’un nouveau paradigme politique, le « ninisme ». Ni fédéraliste ni indépendantiste avec le pragmatisme dans les limbes nommé autonomisme pour mieux inviter à se projeter dans le non-être. C’est une absurdité qui ne durera pas. Elle sera le carburant de la recomposition politique en cours. Et Ottawa ne manquera pas d’y souscrire pour forcer le jeu.


Même si les Québécois, leur élite politique et l’ensemble des producteurs du récit médiatique ne veulent pas le voir et encore moins en tirer les enseignements qui s’imposent, le Canada se métamorphose. Et il a d’ores et déjà entrepris de finir la besogne de Lord Durham. Avec le concours, évidemment, d’une cinquième colonne qui connaîtra de belles carrières, et d’une cohorte de candides qui s’imaginent encore que le Québec de la politique provinciale peut vraiment décider de ce qui est bon pour la nation. La campagne électorale ne donnera lieu qu’au désolant spectacle des faiseurs de contorsions qui tenteront de bidouiller des solutions réalisables avec les moyens que le Canada nous laisse. Et pour tenter de convaincre, malgré toutes les évidences, que le Québec français est possible dans le Canada qui s’est réformé pour mieux le combattre.


Les programmes provinciaux ne sont jamais que des promesses pour s’accommoder dans un cadre que l’État canadian impose en fonction de priorités qui ne renvoient qu’à des projets qu’il se fait pour lui-même. Au mieux nos ambitions nationales n’y tiennent que des places accessoires, au pire elles s’y écrasent dans le dépit résigné. Comme il en a été question pour la déclaration d’impôt unique, pour le contrôle de l’immigration et comme il le sera de plus en plus brutalement pour les choix énergétiques. Sans parler de la culture assujettie à grand renfort de critères Équité, diversité inclusion (EDI) pour mieux en saboter la puissance symbolique et réduire ses artisans au quémandage et à la relégation dans un grand fatras de médiocrité et une indigeste bouillie diversitaire.


L’élection qui vient n’ouvrira pas sur le mandat reposoir qu’a eu la CAQ qui n’a d’abord pu prendre le pouvoir qu’en raison du délitement de la pensée nationale dans les autres partis et de la nausée qu’inspirait le gouvernement Couillard. Le Canada va imposer des conditions d’exercice à la politique provinciale qui va rapidement enferrer le futur gouvernement dans le consentement inconditionnel à l’ordre canadian. – en santé, dans les infrastructures, en immigration, etc. Et il aura la tâche d’autant plus facile que le ramassis hétéroclite qui se présente comme une coalition se trouvera content de ne rien demander qui pourrait déclencher de vrais combats. Et tout aussi content de ne rien dire de ce qu’il pourrait faire devant les rebuffades. Ottawa pourra en outre compter sur un Parti libéral devenu un parti ethnique au service de l’avant-poste canadian au Québec, des protestataires de gauche et de droite qui rivaliseront d’artifices rhétoriques pour faire semblant que rien d’existentiel n’est en jeu. Ils ne sont déjà plus que des danseurs malhabiles qui gesticulent sur le pont du Titanic. La démographie et le monde parallèle soutenu par le dualisme institutionnel vont rendre de plus en plus dérisoire le parlottage de ceux-là « qui frissonnent dans les parallèles de leur pensée » (Miron). Les immigrés qui s’anglicisent, les étudiants étrangers qui font craquer les capacités d’accueil de Dawson, Concordia et autres McGill et Vanier College, les indifférents qui se détournent du français vivent déjà dans un monde où le Québec n’existe pas. L’héritage québécois pourrait bien n’être bientôt plus transmis que dans l’univers privé et le folklore des familles. Mommy n’est pas qu’une belle chanson triste…


Le temps de la gesticulation achève. Cette élection marque le début de la fin des alibis. Le réel est en train d’écraser la politique fantasmatique. Les Québécois et les Québécoises en passe de devenir exotiques pour eux-mêmes ne vont plus pouvoir confortablement composer avec le déni. Une question nationale se résout ou elle pourrit tout, semant honte, mépris et humiliations.


C’est la soumission ou l’indépendance. Il n’y a désormais plus rien d’autre à l’ordre du jour.

 


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Robert Laplante172 articles

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Robert Laplante est un sociologue et un journaliste québécois. Il est le directeur de la revue nationaliste [L'Action nationale->http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Action_nationale]. Il dirige aussi l'Institut de recherche en économie contemporaine.

Patriote de l'année 2008 - [Allocution de Robert Laplante->http://www.action-nationale.qc.ca/index.php?option=com_content&task=view&id=752&Itemid=182]