La Route de la soie arctique : un énorme bond en avant pour la Chine et la Russie

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De la grande géopolitique

On sait peu de choses sur l’initiative de la Chine dans le cercle polaire arctique, qui représente une nouvelle voie que Pékin est maintenant en mesure de développer, grâce à la technologie, avec le partenariat stratégique de la Russie.


Impliquant environ 65 pays et affectant 4,4 milliards de personnes, représentant 30% du PIB mondial, avec un investissement total de Pékin qui pourrait dépasser mille milliards de dollars, le projet est immense et demande beaucoup d’imagination pour saisir les intentions de la direction chinoise. Avec une foule de projets déjà en cours, et certains presque achevés – le Corridor sino-pakistanais connu sous le nom de CPEC est archétypal – les routes terrestres et maritimes se développent côte à côte. Beaucoup d’encre a été utilisée pour décrire les intentions de Pékin concernant les connexions Est-Ouest du vaste continent eurasien. Les pipelines, les lignes de chemin de fer, les câbles de fibres optiques, les infrastructures de télécommunications et les autoroutes dominent les discussions, tout comme celles sur les coûts, les études de faisabilité, la sécurité et le retour sur investissement. La Route de la soie terrestre est certainement un défi imposant qui n’est pas seulement commercial mais qui pose les fondations d’une plus grande intégration culturelle et sociale entre les pays voisins. C’est un projet qui, à long terme, vise à amalgamer le continent eurasien et à surmonter les contradictions qui le composent grâce à une coopération gagnant-gagnant et au développement économique.


La route maritime est un projet plus structuré, lié principalement à deux besoins intrinsèques de la République populaire de Chine. Le premier est commercial et concerne la nécessité pour Pékin d’expédier ses marchandises le long des routes établies, en créant des ports et des installations pour l’approvisionnement en cours de route. L’objectif est d’augmenter les profits des cargos, surtout lorsqu’ils reviennent en Chine remplis de marchandises, ainsi que de créer de nouveaux centres mondiaux de distribution dans les ports implantés le long de la route maritime. Des exemples importants peuvent être vus au Pakistan avec le développement du port de Gwadar.


La première phase a été achevée en 2006 et la deuxième est en cours depuis 2007, bien que le port ait été inauguré en novembre 2016 et soit opérationnel depuis. Le projet devrait être étendu dans les décennies à venir, avec potentiellement 45 points d’ancrage de navires, le drainage du canal d’approche à une profondeur d’environ 20 mètres, et un transit annuel total de plus de 400 millions de tonnes. Le principal avantage de cet arrangement entre les voies terrestre et maritime est de répartir le transit des biens selon leur nécessité, leur valeur et l’offre disponible. Le port de Gwadar est principalement relié par des pipelines à la ville chinoise de Kashi. C’est un bel exemple de diversification possible avec la voie maritime, principalement utilisée pour les marchandises, tandis que le port de Gwadar devient une plaque tournante importante du commerce pétrolier et gazier, notamment grâce aux progrès de la technologie du méthane et de la gazéification.


Parmi les autres destinations majeures de la Route de la soie maritime figurent Venise et Athènes, le port du Pirée est déjà détenu par COSCO depuis de nombreuses années, il s’agit d’une entreprise spécialisée dans les activités portuaires et l’intégration de ports le long de la Route de la soie maritime sur le modèle du Port de Gwadar. Venise est actuellement seulement un rappel de l’ancienne Route de la Soie, mais si son rôle passé devait être retrouvé – dans un environnement moderne – pour être le terminal de la Route en mer du Sud, cela nécessiterait certainement aujourd’hui de gros investissements pour nourrir un dense réseau d’échanges. La Chine aurait alors une route maritime dans le sud de l’Europe, reliée principalement par voie terrestre à son corridor nord.


L’autre raison – moins connue – qui pousse la République populaire de Chine à investir dans de telles routes maritimes concerne la doctrine navale adoptée par la marine chinoise. Les États-Unis conservent une capacité notable à projeter leur pouvoir sur les cinq continents grâce à la taille de leur Marine de Guerre, qui a connu une croissance régulière au cours du siècle dernier. Pékin s’est rendue compte que posséder, elle même, une telle projection de puissance soutiendrait la viabilité de ses routes maritimes, aussi bien en la protégeant contre les pirates qu’en évitant la possibilité d’un blocus naval en temps de guerre, quelque chose qui est toujours à l’esprit des stratèges chinois [qui doivent se souvenir de l’embargo mis en place par les États-Unis contre le Japon, qui a entraîné la guerre du Pacifique en 1941, NdT].


Un parallèle en termes de sécurité est facilement observable lors de l’analyse de la Route de la soie terrestre et la sécurité qui accompagne nécessairement un tel réseau d’infrastructures. En ce sens, l‘Organisation de coopération de Shanghai, et l’adhésion du Pakistan et de l’Inde à celle-ci, visent à créer les conditions d’un développement pacifique tout en évitant les tensions entre pays voisins et différents groupes ethniques. Pékin est bien conscient qu’il n’y a pas de prospérité sans sécurité, surtout dans le contexte du sous-développement d’un continent si diversifié au regard de sa géographie humaine.


En termes militaires et navals, le budget de Beijing a atteint des niveaux significatifs, passant d’environ 10 milliards de dollars en 1989 à environ 110 milliards en 2017. Avec de tels investissements, Pékin a pu lancer trois nouveaux modèles de sous-marins (type 93, 94 et 95) ainsi qu’un porte-avions remis à neuf (type 001) et la construction du premier porte-avions entièrement produit et équipé en Chine (type 001A). L’objectif principal de la Marine de l’Armée Populaire de Libération est d’investir stratégiquement dans des navires amphibies et des petits navires qui fournissent les moyens de projeter des forces pour pouvoir influencer la dynamique des conflits en mer de Chine méridionale, ceci dans le contexte du harcèlement américain pour dominer la  région. En ce sens, la stratégie consistant à priver l’Amérique d’une présence en mer de Chine méridionale s’accompagne également de la construction d’îles artificielles et du développement de nouveaux missiles anti-navires à capacités supersoniques.


La sécurité et l’investissement semblent être les moteurs du projet chinois de Routes de la soie, et la connectivité semble être la chaîne de transmission. Une attention maximale est également accordée à la création de ports maritimes pour la marine chinoise, comme on le voit avec la première base étrangère chinoise à Djibouti, un emplacement particulièrement stratégique proche du détroit de Bab-el-Mandeb [à l’entrée du canal de Suez, NdT].


Un aspect moins bien connu du projet chinois, et sur lequel nous avons encore peu de détails, est la route de l’Arctique. L’Arctique est formellement partagé entre les États-Unis, le Nord du Canada, la Finlande, le Groenland (Danemark), l’Islande, la Norvège, la Russie et la Suède et est administré par le Conseil de l’Arctique. Les pays non membres comprennent la France, l’Allemagne, l’Inde, l’Italie, le Japon, la Corée du Sud, les Pays-Bas, la Pologne, Singapour, l’Espagne, le Royaume-Uni et la République populaire de Chine.


Récemment, la Russie et la Chine ont entamé des discussions fructueuses sur l’exploitation des routes de l’Arctique. La réunion de juillet 2017 entre Xi Jinping et Medvedev a confirmé que Moscou et Pékin avaient l’intention de développer conjointement la Route de la soie maritime chinoise dans l’Arctique afin de diversifier les routes commerciales et d’impliquer les États voisins dans les projets portuaires et la recherche scientifique. Pékin a l’intention de transporter ses marchandises à travers l’Arctique depuis l’Europe vers la Chine, réduisant ainsi les distances de 20% à 30%, économisant du temps, du carburant et des ressources humaines. Considérant que 90% des marchandises chinoises sont transportées par voie maritime, même une petite modification de ce ratio générerait des économies et des profits très importants. Face à une telle occasion irrésistible, la Chine ne perd pas de temps. Il y a quelques jours, le brise-glace Xuelong – la Fédération de Russie est le seul pays possédant deux brise-glaces nucléaires – a traversé le passage du Nord-Ouest dans l’Arctique, atteignant l’Amérique du Nord depuis l’Asie en un rien de temps. C’est la première fois qu’un navire chinois a emprunté cette route. Tout aussi important pour les affaires, l’entreprise COSCO, le géant chinois, a réalisé en 2013, le passage Nord-Est dans l’Arctique, en partant du port chinois de Dalian pour arriver à Rotterdam, réduisant la durée du trajet d’un tiers, passant de 45 jours à 30.


Il y a certaines considérations à faire, concernant la région arctique, d’un point de vue à la fois pratique et réaliste. Il y a actuellement trois routes possibles, à savoir par le nord-est, le nord-ouest et le « nord-nord » – traversant le pôle Nord. Le premier est celui par lequel la Russie et la Chine ont l’intention de raccourcir les délais de livraison, malgré les difficultés rencontrées par le manque actuel d’infrastructures et un environnement hostile, compliquant les choses et rendant ces efforts extrêmement coûteux. En ce sens, la coopération entre la Russie et la Chine est très rentable pour les deux pays, qui sont intéressés à proposer cette voie à d’autres pays, ce qui se traduira par une augmentation des volumes de transit. Actuellement, l’itinéraire peut être utilisé pendant environ quatre mois de l’année. La route du nord-ouest a un problème de glaces profondes qui empêchent les brise-glaces de dégager un passage pendant une durée suffisante pour permettre une route commerciale. Le passage « nord-nord », traversant directement le pôle Nord, est inaccessible jusqu’à ce que toute la glace soit fondue, ce que les scientifiques prévoient d’ici 2050, avec toutes les conséquences qui en découlent.


Les routes de l’Arctique représentent inévitablement le futur en termes d’opportunités et d’économies de coûts. En comparaison avec le canal de Suez, qui est la route actuelle par laquelle la Chine atteint l’Europe, avec un trajet de près de 12 000 miles nautiques, le passage par la voie arctique du Nord-Ouest est inférieur à 7 000 milles.


Pékin investit dans des infrastructures pour réduire le temps de transit et augmenter les profits. La route de l’Arctique a toutes les caractéristiques pour devenir un élément central de l’initiative des Routes de la soie. L’engagement de la Chine pour le développement de la route de l’Arctique est comparable à un autre projet titanesque, qui est également au cœur de la stratégie de la Route de la soie maritime, en cours au Nicaragua, à savoir la construction d’une alternative au canal de Panama. La viabilité de ces projets gigantesques reste une question de temps, reposant principalement sur l’acquisition de nouvelles technologies qui transforment l’impossible en possible, l’accessibilité des nouvelles technologies permettant de réduire les coûts de recherche et de développement.


Dans un avenir proche, les routes de transit à travers l’Arctique prendront une certaine importance dans la géopolitique mondiale de la Russie et de la Chine. Pékin et Moscou semblent avoir l’intention de développer cette route innovante avec tous les moyens à leur disposition, ajoutant à la Route de la soie maritime une route imprévue mais très bénéfique. La création d’un partenariat avec la Russie dans l’Arctique permettra à Pékin de prendre pied dans la région et de participer à l’exploitation des hydrocarbures et d’autres ressources naturelles. Combinée à la capacité croissante de la Fédération de Russie de pénétrer dans l’Arctique et donc de créer l’infrastructure nécessaire, la route chinoise de l’Arctique pourra, de plus en plus souvent, être proposée aux pays partenaires.