La résistance, de Duceppe à Royal

Le Bloc Québécois a 20 ans!


Le Québec est-il encore colonisé? Plusieurs auraient envie d’affirmer que cette époque où nous étions infériorisés, où nous laissions les Anglais définir ce que nous étions – évidemment des méchants racistes, et peu importe si nos institutions étaient plus ouvertes aux Juifs et aux étrangers que les leurs -, que cette époque est révolue. Ils ont tort. L’unanimité des partis politiques et de la presse anglophone à dénoncer les propos de « résistance » de Gilles Duceppe démontre, encore une fois, à quel point nous sommes loin d’être un peuple mature, que nous n’avons pas encore conquis la plus grande des libertés: celle de nous définir nous-mêmes.

Qu’a donc dit Duceppe de si terrible, lors de la célébration des vingt ans du Bloc Québécois, pour mériter l’opprobre général des anglophones? Il a affirmé: « Pour le moment, nous sommes des résistants. Mais les résistants d’hier seront les vainqueurs de demain. » Le mot résistance, a immédiatement affirmé Lawrence Cannon, ferait référence à la résistance française contre les nazis, ce qui impliquerait que le Bloc Québécois traiterait le Canada de naziste. Logique tordue, ne trouvez-vous pas?
Or, puisqu’il est question de résistance française, pourquoi ne pas regarder le discours de Ségolène Royal, cheffe du Parti Socialiste, après les élections régionales? La même journée, à quelques heures d’intervalle:

J’avais appelé dimanche dernier à un vote d’espérance; vous avez répondu. Le vote d’aujourd’hui montre que notre capacité de résistance a été reconnue.

Voilà. Quand Gilles Duceppe parle de résistance, on en fait tout un plat, mais si une politicienne française – dans un pays ayant effectivement subi le joug nazi – utilise le même mot, dans un contexte semblable, aucun problème. Comme une lettre à la poste, affirme le dicton. Qu’on parle de résistance contre le Canada, et les insultes pleuvent; qu’on parle de résistance contre les politiques de Sarkozy, et tout va bien. Vous y comprenez quelque chose?
En fait, la différence est de taille: la France constitue un pays sûr de son identité, ayant pris possession de son histoire et ne laissant ni le passé ni les autres définir sa nature-propre. En France, on est Français, on a le droit d’être Français, et on a le droit de s’exprimer en tant que Français. Et si vous n’êtes pas d’accord, et bien lâchez-moi les baskets.
Au Québec, par contre, il y a toujours cet infect relent de culpabilité qui rode, cette honte qui brise la fenêtre et s’immisce dans la chambre à coucher pour troubler notre endormissement. On nous a tellement affirmé que nous étions mauvais de vouloir seulement exister qu’on a fini par le croire. Non seulement on nous enlève la capacité d’espérer voir nos valeurs et notre langue se perpétuer dans le temps en nous enchaînant dans ce Canada, tombeau des francophones, mais on ajoute l’insulte à l’injure en nous empêchant de même imaginer qu’il puisse être possible de résister à cet état de fait. Pire: ce sont des ministres québécois, issus de notre propre peuple, qui se font les hérauts des culpabilisateurs qui, dans leurs fantasmes, considèrent leur mission civilisatrice à l’égard des barbares québécois comme étant la chose la plus humaine à faire. Le Québec, résister au rouleau-compresseur identitaire canadien, vous voulez rire?
François-Albert Angers (ANGER, François-Albert, Les droits du français au Québec, Éditions du Jour, 1971, p. 133), ancien président de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, économiste et un des plus grands nationalistes du vingtième siècle, a bien expliqué ce phénomène:
Les « Canadians » [...] croient que nous sommes un peuple dégénéré et que l’état de notre langue est la preuve de notre décadence. Cette attitude est normale. Les colonisateurs ne pouvant fonder leur occupation sur la justice, s’appuient sur un sentiment de supériorité. Ils croient que le peuple dominé a besoin de lui, que, privé de sa présence, il sombrerait dans l’anarchie et la pauvreté.

Comprenez. Les ministres canadiens qui blâment Duceppe pour avoir parlé de « résistance » ne se sentent pas le moins du monde mal à l’aise avec l’idée que Ségolène Royal puisse, pratiquement au même moment, utiliser la même expression en France. Non, non… C’est que NOUS, petit peuple inférieur, avons besoin de la compassion canadienne; nous avons besoin d’être ramenés dans le droit chemin. Nous sommes le mal, nous portons en nous tous les germes des pires cataclysmes infernaux des quatre cavaliers de l’Apocalypse du nationalisme, et c’est avec tendresse, presque bienveillance, que le pays qui est responsable de notre quasi-disparition nous couve de son amour incestueux et réprimande nos élites comme on s’adresse à un enfant. C’est cela la leçon: nous sommes le mal, et les Canadiens-anglais vont nous protéger de nous-mêmes.
Dans une autre société, on rirait un bon coup en écoutant les propos de Cannon et de ses émules qui, lorsqu’il est question du Québec, font front commun contre l’identité québécoise. On se dirait: « non, mais quels idiots » et on changerait de poste. Mais nous ne sommes pas une autre société, et celle-ci, après 250 ans de culpabilisation identitaire, tend l’oreille, répercute toutes les stupidités de ceux qui, au quotidien, participent au génocide culturel des francophones du Canada. En France, par exemple, avez-vous lu un seul chroniqueur blâmer Ségolène Royal pour son appel à la résistance? Non. Seulement au Québec, évidemment. Nous sommes tellement mauvais intrinsèquement. C’est à se demander comment nous pouvons même souhaiter survivre.
Signe des temps, Duceppe a persisté et signé. C’est tout à son honneur. Il y a dix ou quinze ans, il se serait peut-être confondu en excuses et en explications boiteuses. Mais les temps changent. Lentement, mais fermement, les Québécois relèvent la tête et réalisent qu’ils ont non seulement le droit d’exister, mais qu’ils peuvent, qu’ils doivent s’opposer à ceux qui les en empêchent.
La résistance, pour beaucoup de Québécois, elle se vit au quotidien, dans des villes, des entreprises, des écoles où leur langue et leur culture sont devenues des éléments folkloriques. Qu’un politicien se lève et reconnaisse publiquement que nous avons le droit de résister, voilà qui fait grand bien et apporte un fragile baume sur la plaie béante de notre propre aliénation.
Duceppe a parlé; qu’il agisse maintenant!


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