La proie ou l'ombre?

Pour la souveraineté de la nation, et pour l'humanité du geste!

Article publié dans Cyberpresse du vendredi 18 février 2011 sous le titre "Signes religieux et PQ: quel gâchis en vue!"

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Chère Pauline Marois, permettez-moi de vous exprimer ma crainte profonde à l'égard de la position qui pourrait être adoptée au Congrès d'avril en faveur de l'interdiction du port de signes religieux ostensibles dans les secteurs publics et parapublics. Nous faisons fausse route! Et si nous continuons à insister sur ce point, je crains que nous nuisions sérieusement à notre projet d'indépendance.

Trois raisons me poussent à m'opposer vivement à cette idée et à suggérer le compromis suivant. Pour assurer la laïcité de nos institutions publiques, nous n'avons pas besoin d'aller aussi loin. Aussi, dans l'éventuelle Charte de la laïcité, nous ferions mieux de proposer l'interdiction du port de signes religieux aux gens occupant des postes qui requièrent une neutralité absolue et qui peuvent utiliser la force ou la contrainte, soit ceux de juge ou de policier.

Nous, souverainistes, savons tous à quel point il est important pour le Québec de se doter d'un État fort, d'un État qui n'a pas honte de lui-même, d'un État moteur qui saura veiller aux intérêts économiques, sociaux et culturels du peuple québécois. Point besoin de répéter les raisons justifiant un État fort, car d'autres l'ont souligné de manière fort éloquente, notamment depuis le début de la Révolution tranquille. En revanche, jamais ces défenseurs d'un État québécois fort n'ont voulu d'un État envahissant, pointilleux et intrusif à l'égard des individus dans leur comportement quotidien.

Or, qu'on ne se leurre pas, la proposition actuelle, qui s'appliquerait à l'ensemble des secteurs publics et parapublics — et ça compte pour beaucoup de monde — constitue un code vestimentaire dont l'application risque de provoquer des dérapages très désagréables. À titre d'exemple, allons-nous montrer la porte à toutes ces infirmières, médecins et enseignantes qui portent actuellement le foulard islamique ou la kippa juive dans nos hôpitaux et nos écoles? Qui va décider de ce qui est ostensible ou non? La barbe, très ostensible, est-elle un signe religieux? Quel beau gâchis en vue!

Notre projet de souveraineté est emballant, le Québec est mûr et il marche dans le sens de l'histoire. Mais l'heure est au rassemblement, à la recherche de ce qui nous rassemble, non pas ce qui nous divise. Interdire le port de signes religieux est un geste de division, un geste qui divisera surtout les souverainistes de la population de culture ou de religion musulmane, qu'elle soit pratiquante ou non. Nous savons tous — et les derniers événements en Tunisie et en Égypte nous l'ont rappelé — que cette population connaît bien le combat pour la liberté, contre le colonialisme et pour l'indépendance; il s'agit aussi d'une population très largement francophone qui a choisi le Québec parce que nous formons une société de langue française, et non pas malgré cela.

En fait, ces nouveaux Québécois n'attendent qu'un geste de notre part pour embarquer dans la grande aventure québécoise. Si vous me permettez une anecdote: candidat du Parti québécois en 2007 dans Saint-Henri-Sainte-Anne, j'ai été invité à prendre la parole au moins trois fois dans les mosquées du sud-ouest de Montréal. Bon nombre d'hommes et de femmes musulmanes se sont affichés ouvertement favorables au Parti québécois. Or, depuis que nous voguons vers une politique «à la française», qui relève davantage de son passé colonial en Afrique que d'un esprit républicain, je sais pertinemment que je n'aurais pas de telles invitations.

La troisième préoccupation relève de la stratégie. Le Québec ne vit pas seul sur une île renforcée et entourée remparts qui le protègent de voisins encombrants et parfois belliqueux. Nous en savons quelque chose, notamment depuis le référendum de 1995 et les suites d'une certaine déclaration de l'ancien premier ministre. M. Parizeau n'a dit qu'une vérité le 30 octobre 1995, mais cela a permis aux adversaires du Québec de se redonner une autorité morale et de reprendre l'initiative perdue pendant la campagne référendaire. Cela nous mit sur la défensive pendant une décennie.

La question est simple: voulons-nous faire l'indépendance du Québec ou non? Si la réponse est oui, pourquoi alors offrir sur un plat d'argent la masse avec laquelle nos nombreux adversaires nous assommeront? Mais en adoptant cette résolution telle quelle sur le port de signes religieux, nous invitons tous les bien-pensants du continent nord-américain à monter sur leurs grands chevaux pour mater cet État qu'ils qualifieront avec ou sans raison urbi et orbi d'État renégat. À force de suivre une ombre, nous aurions lâché la proie.

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Robin Philpot, éditeur et écrivain - L'auteur a été candidat du Parti québécois en 2007


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