La politique de reconquête de souveraineté de Victor Orbán en Hongrie

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Un équilibre délicat

Au pouvoir depuis 2010, après une première expérience en 1998, la politique menée par la Fidesz et son leader Viktor Orbán s’est caractérisée par des mesures fortes en faveur d’une centralisation du pouvoir et des intérêts nationaux. Dans son argumentaire, Orbán fait le constat d’une Europe au modèle libéral failli, qui a couté cher à la Hongrie. Il promeut donc un modèle unique à la Hongrie, en marge de la politique des autres Etats membres.
Cette politique suscite régulièrement le mécontentement des autorités européennes et des gouvernements nationaux qui lancent régulièrement des procédures d’infractions à l’égard de la Hongrie. Les multinationales, qui souffrent de politiques économiques discriminatoires, pressent l’UE à plus de fermeté. Mais jusqu’à présent, la Hongrie flirte avec la ligne jaune sans réelles conséquences, au nom de la reconquête de sa souveraineté nationale. Seuls les Etats-Unis ont haussé le ton le 17 octobre 2014, en interdisant l’entrée sur leur territoire de certains proches du gouvernement accusés de corruption. Dénoncé à l’Ouest, Orbán a trouvé de nouveaux alliés dans le cadre de sa politique de « réorientation vers l’Est », en resserrant les liens avec la Russie et la Chine.
Une politique de puissance du faible au fort
C’est principalement par des politiques économiques hétérodoxes que la stratégie d’accroissement de puissance de la Hongrie s’opère. Celles-ci visent à reprendre le contrôle des secteurs stratégiques de l’Etat (contrôle perdu suite à l’ouverture du pays aux capitaux étrangers en 1989), et à réduire la dépendance financière du pays vis-à-vis d’acteurs externes. Pour ce faire, il met sous pression les industriels étrangers par l’intermédiaire de taxes, et contrôle les prix, notamment pour l’eau, l’électricité et le gaz.
Les taxes mises en place ont en parallèle permis au gouvernement de redresser les finances du pays. Désireux de mettre fin à la tutelle du FMI et de l’UE, la dernière tranche de prêt contracté en 2008 a été remboursée par anticipation.
En outre, pour compenser un taux de fécondité moribond – 1,41 en 2013 – la Hongrie facilite l’accès à la citoyenneté hongroise pour les individus ayant des origines hongroises. Enfin, le gouvernement Orbán souhaite renforcer l’indépendance du pays en diversifiant ses relations commerciales, aujourd’hui fortement orientées vers l’UE (76% des échanges commerciaux en 2013). Il met donc en œuvre sa politique « d’ouverture vers l’Est » principalement vers la Russie et la Chine. Les procédures d’octroi de visas longs simplifiées pour des pays comme la Chine répondent au double objectif de dynamiser l’économie et de resserrer les liens avec ce pays.
Orbán s’appuie avant tout sur la population hongroise qui lui témoigne un large soutien, en témoigne les dernières élections d’avril 2014. Ses détracteurs ont donc plus de difficultés à dénoncer efficacement certaines mesures qu’ils qualifient de liberticides.
En outre, sa stratégie utilise au mieux la faiblesse politique de l’UE et les atermoiements des Etats membres, tout en évitant de prendre une tournure trop radicale.
Enfin, par cette orientation stratégique, la Hongrie est, certes, en froid avec la plupart de ses partenaires européens, mais à l’inverse, a su trouver un écho favorable chez de puissants alliés, tels que la Russie et la Chine. Le dirigeant hongrois essaie clairement de séduire ces pays, qu’il a qualifiés de « modèles pour la Hongrie » dans un discours tenu en Roumanie le 26 juillet 2014.
A l’initiative de ce changement stratégique radical dans la politique du pays, l’on retrouve le premier ministre Victor Orbán, l’un des fondateurs de la Fidesz, présent sur la scène politique depuis 89 et premier ministre dès 35 ans en 1998. En 2002, il est battu, débutent alors 8 années dans l’opposition.
A l’origine parti libéral, Orbán fait évoluer la doctrine du parti vers des sujets populistes qui galvanisent les hongrois : discours nostalgique sur la Grande Hongrie et dénonciation de l’influence des acteurs externes (UE, multinationales). Il s’appuie sur l’histoire de la Hongrie, avec comme point d’orgue le Traité de Trianon, très douloureux dans la mémoire populaire hongroise. Solidement ancré au pouvoir grâce à ce discours, sa politique de reconquête de souveraineté du pays est le prolongement de cette rhétorique.
Pour mener à bien cette politique, Orbán, à son retour au pouvoir en 2010, s’est attaché à réformer le cadre politique du pays en sa faveur. Jouissant de la majorité des deux tiers, la Fidesz a pu voter une nouvelle Loi fondamentale le 18 avril 2011, modifiant en profondeur la Constitution hongroise. Cette nouvelle loi fondamentale réduit le rôle de la Cour Constitutionnelle. La majorité des deux tiers avait déjà été utilisée pour instaurer une loi sur les médias fin 2010, qui créait une instance de régulation des médias, avec à sa tête des membres de la Fidesz. Cette logique de nomination de proches du parti a été reproduite dans d’autres institutions, comme la Banque Centrale du pays.
Si les intentions d’Orbán sont clairement affichées, celui-ci cherche néanmoins à adapter ses propos selon son auditoire afin qu’elles soient mieux acceptées. Au peuple hongrois, il réserve les discours enflammés sur la lutte de la patrie hongroise face aux intérêts étrangers, sous fonds d’euroscepticisme. Face à l’UE, il nuance ses propos, comme lors d’un déplacement en Allemagne en mai dernier, en déclarant : « Par-dessus tout, nous remercions l’Ouest pour l’adhésion de la Hongrie à l’UE il y a dix ans ». En outre, si une mesure déclenche une levée de boucliers générale, Orbán sait aussi être flexible, mettant parfois un peu d’eau dans son vin.
Le chef du gouvernement hongrois joue en réalité une partition très fine, à l’équilibre précaire : c’est de la virulence de son discours à l’encontre d’acteurs étrangers et des mesures emblématiques en faveur des intérêts hongrois qu’il tire sa popularité. Néanmoins, il se doit de ménager l’auditoire européen, tout simplement car il ne peut envisager de se priver des aides financières de l’UE : celles-ci s’élèvent à 20,5 milliards d’euros d’ici 2020, et financent à hauteur de 97% les investissements publics !
Résultat
Le discours d’Orbán sur la reconquête de la souveraineté nationale s’est façonné lors du passage de la Fidesz dans l’opposition. Il a pu réellement mettre en application ses idées lors de son retour au pouvoir en 2010. Réélu le 6 avril 2014, la Fidesz a quatre années de plus pour poursuivre son programme. Durant ces quatre années, peu de risques de voir l’autorité politique du Fidesz s’affaiblir : les élections régionales d’octobre ont confirmé les résultats des élections législatives. La poursuite de cette stratégie est fonction de la capacité de la Fidesz à se maintenir au pouvoir avec une marge de manœuvre suffisante.
Cette politique de reconquête de souveraineté a donné des résultats probants au niveau économique. La politique agressive envers les multinationales étrangères a, comme souhaité au sein de l’exécutif, permis de diminuer la mainmise des acteurs étrangers sur les secteurs stratégiques, comme en témoigne la cession récente des activités de négoce d’électricité de GDF Suez à l’entreprise hongroise MET Zrt, tout en permettant, via les recettes fiscales, de juguler la dette (déficit de 2,7% en 2013). Au niveau macroéconomique, bien que durement touché par la crise financière, le pays s’est mieux rétabli que la plupart des autres pays européens.
Dans sa politique de diversification vers l’Est, la Hongrie avance : en janvier 2014, le gouvernement annonce qu’elle a conclu un accord avec le russe Rosatom pour la construction de deux réacteurs pour la centrale nucléaire de Paks. Un mois plus tard, le leader de la Fidesz rencontre Xi Jinping, l’occasion de s’engager à développer les relations entre les deux pays.
La stratégie d’Orbán s’avère néanmoins périlleuse. La pierre angulaire de sa réussite actuelle réside dans le soutien populaire dont il bénéficie. Or ce soutien n’est pas indéfectible, comme l’illustre le tollé déclenché en Hongrie par le projet de loi sur la taxe Internet au mois d’octobre 2014. En outre, si au niveau macroéconomique la Hongrie jouit d’un dynamisme économique, il n’en reste pas moins que les inégalités s’accroissent inexorablement, conduisant une part non négligeable de la population à une situation précaire. Enfin, à vouloir reconquérir sa souveraineté nationale en passant par une diversification vers l’Est, Orbán prend le risque de voir son objectif de reconquête de souveraineté compromis par l’ingérence de puissances offensives telles que la Russie. La population, très sensible à ce sujet, pourrait faire payer à Orbán cette dérive. Elle a d’ailleurs manifesté des signes d’inquiétude, en se rassemblant par milliers, le 2 janvier 2015, pour condamner ce rapprochement


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