La place du français au Canada

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« Je subodore la mauvaise foi parce que le recul d’une langue n’est pas une fatalité, c’est un choix politique »


En début de campagne, les chefs des partis ont beaucoup parlé de l’état du français au Québec, mais très peu de sa situation au Canada. Le sujet aurait mérité plus d’attention, car, là aussi, le français va mal. Très mal.


Avertissement : un peu partout au Canada, des minorités francophones militent et se battent tous les jours pour vivre en français. Leur courage est immense. Leur combat est essentiel. Leur combat est le nôtre. Le Québec doit les appuyer avec force. Mais le fait de respecter leur combat ne change pas une certaine réalité. C’est de cette réalité que je veux vous parler.


Au Canada sans le Québec, donc sur 30 millions de personnes, il y a 532 000 personnes dont la langue prédominante parlée à la maison est le français. Je choisis cet indicateur parce qu’il représente le noyau de personnes hors Québec pour qui le français n’est pas uniquement un moyen de communiquer, mais le vecteur d’une culture. Donc, aujourd’hui, au Canada anglais, seulement 1,8 % des gens ont le français comme langue prédominante à la maison (donc 98,2 % des gens ne l’ont pas). C’est près de la moitié de ce que c’était au moment de l’adoption de la Loi sur les langues officielles, en 1969.


Le français va mal en lui-même, mais également par rapport aux autres langues. Il n’arrive même plus en deuxième place des langues les plus parlées à la maison.


Au Canada hors Québec, il y a maintenant beaucoup plus de gens (861 000) dont la langue prédominante à la maison est le chinois (mandarin ou cantonais). D’ici quelques courtes années, le punjabi et le tagalog, deux langues en forte croissance, devraient, eux aussi, dépasser le français.


La situation dans les grandes villes illustre assez cruellement la place du français : à Vancouver, elle est en 11e position et à Calgary, en 12e. Pour l’anecdote, en juin de cette année, une succursale de la Scotiabank de Toronto était critiquée pour avoir affiché sur sa porte d’entrée, en 14 langues : « We speak your language ». Le français n’y était pas. C’est la réalité canadienne, le français est au 17e rang des langues les plus parlées dans la métropole ontarienne.







En 2022, le français ne fait plus partie du quotidien des Canadiens anglais hors Québec.


Dernières données : le nombre de personnes bilingues français-anglais augmente au Québec, mais diminue au Canada. Dans le Canada hors Québec, seulement 6,2 % de la population n’ayant pas le français comme langue maternelle peut soutenir une conversation en français (donc 93,8 % des gens ne le peuvent pas).


Ottawa, capitale fédérale officiellement bilingue, ne l’est dans les faits qu’à 36,4 % alors que Québec, notre capitale nationale, l’est à 42,7 %. Les villes de Montréal (60 %), Laval (60 %), Gatineau (58 %), Longueuil (52 %), Sherbrooke (46 %), Terrebonne (45 %) et Lévis (38 %) ont toutes une population plus bilingue que celle d’Ottawa.


Le bilinguisme est plus que jamais une affaire de Québécois.


Les combats politiques pour le français menés en ce moment au Canada illustrent, eux aussi, l’immense défaite du français partout au pays.


Il faut se battre pour que le chef de l’État (la représentante du roi) parle français, ce qui devrait aller de soi.


Il faut se battre pour que les juges de la Cour suprême et les hauts fonctionnaires fédéraux parlent français, ce qui devrait aller de soi.


Il faut se battre pour être servi en français par Air Canada, ce qui devrait aller de soi.


On reprochait récemment au ministre François-Philippe Champagne, un ministre fédéral, de faire ses discours hors Québec essentiellement en anglais. Il fait comme les fonctionnaires fédéraux qui ont de l’ambition, il rédige ses notes de service en anglais. Il fait comme les entreprises qui veulent des clients satisfaits, il leur parle dans leur langue.


La réalité est limpide : partout au pays, le français perd autant ses batailles démographiques que symboliques.


Ce recul tous azimuts du français se produit dans l’indifférence absolue du Canada anglais.


Avez-vous entendu des Canadiens anglais déchirer leur chemise pour défendre le français ? Exiger des actions fortes ? Revendiquer une certaine vision d’un Canada bilingue ? Non. Pas un mot. Silence total. Le gouvernement fédéral et les gouvernements des provinces gardent leur sourire et ne font rien.


Alors qu’il sait que la solution est là, le Canada n’a jamais atteint ses cibles en matière d’immigration francophone hors Québec, et ce, depuis leur adoption en 2003. Jamais atteint. Même pas près. Je subodore la mauvaise foi.


Je subodore la mauvaise foi parce que le recul d’une langue n’est pas une fatalité, c’est un choix politique. Grâce à la loi 101 et à une bonne dose de courage, le Québec a pu faire un virage fondamental. Avec la loi 96, il tente encore de venir en aide au français.


Que fait le Canada ? Il se mobilise contre la loi 96. Au risque d’avoir l’air de quelqu’un qui veut semer la division, je dirai que le Canada protège sa langue, pas la nôtre. Qu’en pensent les chefs ?




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