La partisanerie qui aveugle

DSK à New York



Dès les premiers jours de l'affaire Strauss-Kahn, la montée au créneau en rangs serrés des ténors de la gauche française se portant à la défense énergique de leur candidat potentiel à la présidence du pays illustrait l'aveuglement partisan. Mercredi de cette semaine, Ségolène Royal, la même qui ne s'était délié la langue que quarante-huit heures après le choc de la nouvelle avec une pensée pour la présumée victime, a déclaré, cette fois à la radio, qu'il ne fallait pas «voir occulter les vrais problèmes des Français par l'affaire DSK». De là à conclure que cette affaire est un faux problème, il n'y a qu'un pas facile à franchir. Et l'on peut également imaginer que madame Royal mènerait tambour battant ses attaques si d'aventure l'agresseur présumé était un ponte de la droite.
Soyons clairs. Le machisme archaïque auquel je faisais référence la semaine dernière dans cette chronique et qui a sous-tendu les coups de gueule scandalisés des amis de DSK caractérise autant la gauche que la droite. Les socialistes français cependant sont de grands donneurs de leçons, des parangons supposés de vertu égalitaire, des dénonciateurs de l'exploitation des pauvres et des opprimés. Ils se révèlent soudain tels qu'en eux-mêmes: des apparatchiks, une élite guidée par une vision théorique de la justice sociale et aujourd'hui peu sensible aux malheurs de celle qui pourrait s'avérer la vraie victime.
Ils sont bien embêtés soudain devant le déploiement de ces millions de dollars injectés par la famille de DSK afin de terrasser dans ses derniers retranchements cette femme de chambre africaine qui dérange leur agenda politique. Qui plus est, de nombreux militants sont tentés de considérer cette dernière comme une adversaire, ce qui expliquerait l'adhésion de plusieurs à la théorie d'un complot dont elle aurait été l'instrument contre rémunération.
Que DSK vive dans le faste grâce à la colossale fortune de sa femme qui aujourd'hui sert à sa défense et à le loger à 50 000 $ par mois pose un problème d'image. Or, le parti socialiste tendance gauche caviar ne s'embarrasse guère de ces contradictions. Il y a une longue tradition de partisanerie aveugle à gauche. Durant des années la gauche occidentale a défendu le communisme soviétique et a flirté avec de nombreux petits dictateurs dès lors qu'ils endossaient l'uniforme révolutionnaire. La gauche moderne a fait son mea culpa, revu et corrigé sa vision simpliste de l'économie de marché, mais en France, comme la droite, elle demeure attachée à une sorte d'héritage monarchiste.
François Mitterrand se conduisait comme un monarque entouré de courtisans et son mépris de l'argent ne l'empêchait guère de fréquenter de richissimes amis. Peu de socialistes d'ailleurs trouvaient à y redire. On aura compris que, dans notre esprit, on peut être riche et de gauche. Là où le bât blesse chez cette gauche, c'est quand elle attaque ses adversaires politiques en leur reprochant une fascination pour l'argent et les riches tout en ayant des moeurs identiques. Dans un monde idéal, l'on voudrait que les gens qui se disent de gauche soient plus sensibles aux injustices, plus ouverts à l'égalité entre les sexes, qu'ils pratiquent la compassion et soient moins prompts à user de la partisanerie aveugle au nom d'une vérité qui n'est pas la leur. Tel n'est pas le cas, convenons-en.
La partisanerie condamne souvent à une vision dichotomique ceux qui la pratiquent. On dénonce l'adversaire sans égard pour la vérité. On travestit les faits, on pratique les demi-vérités, on tait des éléments compromettants pour sa cause, on protège les méfaits de ses propres collègues et on avantage ceux qui appartiennent à sa famille idéologique. Cela s'appelle le corporatisme, le favoritisme politique, la discrimination idéologique. Pour fonctionner dans ce monde, il faut choisir un camp, par conviction ou intérêt. Ceux qui n'ont pas de camp, à vrai dire la majorité, se débrouillent comme ils le peuvent. En politique, cette majorité s'exprime par les votes lors des élections alors qu'elle a le pouvoir de sanctionner les uns et les autres.
L'affaire DSK, si typiquement française à travers les réactions produites en France, permet aussi de faire chez nous un examen de conscience. De constater, par exemple, que perdure un machisme sournois parce qu'enfoui sous la rectitude politique. Un machisme qu'ont intégré aussi, comme en France, des femmes qui au nom de la présomption d'innocence ne semblent considérer qu'une seule victime présumée, Dominique Strauss-Kahn. Ne nous sommes-nous pas déchaînés récemment au sujet de l'affaire Cantat alors qu'à la stupéfaction de nombre de gens on a assisté à une forme de banalisation de la violence conjugale par des soi-disant partisans de la suprématie de la création artistique sur la vie même? Il y a eu de plus ce débat qui a tourné court sur la «madamisation» des médias, c'est-à-dire sur la place jugée prépondérante d'animatrices au ton caricatural et au contenu un tantinet débile. Propos féminins, quoi! Les confrères mâles qui se sont gloussés de ces femmes caquetantes ont omis cependant de parler de l'envahissement des ondes par des adolescents trentenaires et quadragénaires qui pavoisent leurs sottises testostéronées à longueur de semaine et dans toutes les chaînes de radio, précisons-le.
La leçon que l'on peut tirer dès à présent de l'affaire DSK et peu importe la suite est qu'elle permet déjà de révéler la face cachée de la vertu affichée et rend intolérable un certain esprit partisan.


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