La parenthèse ultramontaine (1840)

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Pour les Anglais, un contre-pouvoir riche et puissant





Le 19 avril 1840, dans un moment de profond désarroi, les Canadiens français assistent au «couronnement» d’un grand homme d’État de 41 ans, Ignace Bourget, l’ennemi juré des Patriotes. Ce dernier ne brandit ni la carabine ni le carnet de chèques, mais le chapelet. C’est un prélat. Le nouvel évêque du diocèse de Montréal va devenir, à maints égards, l’homme le plus puissant du pays, et il va métamorphoser la face de la métropole.


Pourtant, les Canadiens français ne sont pas encore réputés pour leur dévotion: au début du XIXe siècle, l’Église a toute la misère du monde à recruter des prêtres et des religieuses. Mais dans un monde dominé et cadenassé par le pouvoir anglais, où l’économie et la politique sont pipées contre eux, les Canadiens français découvrent dans l’Église un État dans l’État dont ils peuvent se rendre les maîtres. Et voilà soudainement que les Canadiens français fracassent tous les records d’ostentation religieuse catholique! Les Français ou les Américains de passage à Montréal dans la deuxième moitié du XIXe siècle n’en croient pas leurs yeux: il y a des églises partout! Pendant le règne de Bourget, l’idéologie ultramontaine, qui accorde la préséance à l’autorité papale, à Rome, fleurit. Certes, le pouvoir anglais, protestant, se méfie de ce contre-pouvoir aussi riche que puissant.


Montréal, « Ville aux cent clochers »


L’historien populaire Léandre Bergeron, anticlérical, voit dans la prise du pouvoir par l’Église une «deuxième Conquête». Les choses sont plus compliquées. Mgr Bourget sait habilement se rendre indispensable à la fois à son peuple, auquel il donne un système d’éducation et un filet de sécurité sociale, tout en protégeant sa langue et en lui offrant des occasions de carrière dans les ordres, et au Conquérant britannique, dont il reconnaît la légitimité en échange de généreuses concessions, telles que des taxes et l’assouplissement de certaines règles, notamment l’acceptation du retour des Jésuites.


L’ennemi, pour Mgr Bourget, c’est moins l’Anglais, ou même le protestantisme, que le républicanisme et la modernité. Il déteste Napoléon, il exècre la Révolution française, il vomit le mercantilisme des États-Unis, etc. Cet ennemi des idées modernes va pourtant fonder des institutions d’éducation dont le Québec profite encore aujourd’hui. Les collèges Jean-de-Brébeuf et Notre-Dame, par exemple, vont former des élites culturelles dont les petits-enfants feront la Révolution tranquille.


De passage à Montréal en 1881, l’écrivain américain Mark Twain est estomaqué par toutes les églises qui se succèdent: «C’est bien la première fois que je m’arrête dans une ville où l’on ne peut lancer une pierre sans risquer de briser un carreau d’église.» Montréal devient dans le jargon populaire la «Ville aux cent clochers». Maintenant que toutes les possibilités sont ouvertes aux Québécois, qui peuvent aspirer au pouvoir et à l’argent, l’Église a perdu son emprise; mais partout autour de nous, il y a ces églises, gigantesques, dont on ne sait pas quoi faire, sinon des condominiums.


Avec la collaboration de Louis-Philippe Messier




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