La nouvelle loi sur les forêts: un indécent cadeau de Noël!

Par Éric Bélanger

17. Actualité archives 2007


C'est un vieux truc de la joute parlementaire: il n'y a pas de meilleur moment que la fin de la session pour passer les projets de loi qui, en temps normal, pourraient valoir un mauvais quart d'heure à leurs promoteurs. C'est ce qu'a fait Pierre Corbeil, le ministre des Ressources naturelles et de la Faune, avec le projet de loi 49 adopté au petit matin cette semaine.
Bien enrobée dans les détails techniques, la modification à la Loi sur les forêts constitue en fait une manoeuvre sournoise pour ouvrir la voie à une réforme en profondeur de notre régime forestier. Sous prétexte de jouer les accommodants et de fournir à l'industrie la souplesse qu'elle réclame pour tenter de sortir de la crise, le ministre a fait rien de moins que de céder sur le point essentiel de la revendication de Guy Chevrette et de son employeur, le Conseil de l'industrie forestière du Québec: la délocalisation des contrats d'approvisionnement et d'aménagement forestiers (CAAF).
Regarder passer les camions
La loi prévoyait que le CAAF rattache un volume de bois à une usine. Les industriels réclament désormais de pouvoir fermer les usines tout en continuant de bénéficier des approvisionnements qu'ils souhaitent diriger là où bon leur semble. Avec la nouvelle loi, on passe du lien CAAF-usine au lien CAAF-entreprise. Dans cette perspective, il n'y a plus aucune garantie que les communautés forestières puissent profiter de l'exploitation de la forêt. Ce sont les plans d'affaires des compagnies qui vont décider du sort des collectivités.
Pour les villages mono-industriels, on voit la catastrophe: cette revendication condamne les populations locales à se bercer sur les perrons en regardant passer les camions qui transportent ailleurs le bois récolté dans leur région, voire à déménager avant que leur village ne soit complètement mort et que leurs maisons ne valent plus rien.
La nouvelle loi ouvre la porte à un transfert de bois d'une usine à l'autre. Il va autoriser les pratiques qui serviront à invoquer le précédent. C'est l'annonce de la capitulation: les grands industriels vont faire et défaire la structure du peuplement et l'organisation du territoire.
À la merci de décisions privées
C'est un beau cadeau de Noël pour les communautés forestières! Les décisions que vont prendre les compagnies avec le bois qui appartient à la collectivité québécoise vont servir à attiser les conflits entre les villes et les villages, qui vont s'affronter pour savoir si Pierre va profiter des vêtements qu'on arrachera à Paul. Tout le monde va danser sur une plaque chauffée à blanc par les plans de restructuration.
C'est indécent de laisser ainsi le chantage à l'emploi servir de philosophie de gestion d'un bien public. C'est un pur scandale de laisser les populations à la totale merci de décisions privées qui n'ont aucunement à prendre en compte l'intérêt public, le tout avec des ressources forestières qui appartiennent à l'ensemble des Québécois. Cela s'appelle de la démission politique.
Les choses seraient déjà suffisamment navrantes pour que ce projet de loi ait mérité de mourir au feuilleton. Mais comme c'est Noël, il y a un dindon autour de la farce. La nouvelle loi confère au ministre des Ressources naturelles et de la Faune des pouvoirs qui, dans la loi actuelle, relèvent de l'Assemblée nationale. Passant du législatif à l'exécutif, plusieurs dispositions de la loi vont donc conférer au ministre un pouvoir exorbitant, le pouvoir de façonner, par ses décisions sur l'utilisation des ressources forestières, les conditions environnementales, économiques et sociales avec lesquelles les collectivités locales devront composer, et ce, à l'échelle de tout le Québec forestier.
Ces dispositions permettront au ministre de disposer comme il l'entend des voeux pieux qui pourront être exprimés à propos de la ruralité, de l'occupation du territoire et du développement régional. Il aura tout ce qu'il faut pour s'entendre avec les grands industriels pour agir sur les déterminants de la mise en valeur d'une ressource stratégique.
Ceux-là qui s'inquiètent déjà de la culture du copinage entre le ministère et l'industrie n'ont pas fini de frémir. Ce ne sera pas seulement la loi du silence qui prévaudra désormais, ce sera la ruine du langage. En effet, adopter cette loi avant la tenue du sommet forestier qu'on nous annonce pour le printemps prochain, c'est condamner l'ensemble des participants au babillage inoffensif.
Un sapin!
Cette loi constitue le premier mouvement d'une réforme inavouée. C'est une manoeuvre antidémocratique qui tente de présenter comme des accommodements des mesures qui dénaturent l'esprit et la lettre du régime forestier actuel.
Cette loi trahit également la philosophie du rapport Coulombe en plus de rendre inapplicables certaines de ses recommandations les plus importantes. Ce rapport plaidait pour une plus grande transparence dans la gestion; le ministre y répond par une manoeuvre qui va rendre la gestion encore plus opaque et accentuer la crise de confiance des citoyens à l'endroit de la façon dont notre État s'acquitte de sa responsabilité.
Quant à l'élargissement du rôle des autorités locales et régionales, il pourrait bien n'être plus réduit qu'à la multiplication des occasions de joindre les chorales de lamentations.
La forêt nous appartient à tous. Elle constitue un patrimoine fabuleux qu'aucun politicien ne devrait avoir le droit de laisser à la merci de l'intérêt privé. La forêt doit servir à la prospérité du Québec avant d'être un instrument dans les mains des actionnaires des grandes sociétés. Le ministre Corbeil nous a passé un sapin.
Éric Bélanger

Ingénieur forestier


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