Le Canada en guerre

La négligence criminelle des premiers ministres canadiens depuis douze ans débouche sur du sang et des larmes

La liste de nos vulnérabilités stratégiques est sans fin

D83dff69b39b647f269bccb313b45e8b

Personne ne s’est interrogé sur les morts à venir

On a tendance à l’oublier, mais le Canada est en guerre depuis bientôt douze ans. Si Jean Chrétien, en fin connaisseur de l’âme québécoise, a vu le risque qu’aurait fait courir à l’unité canadienne un engagement du Canada en Irak aux côtés des États-Unis en 2002, il n’est pas parvenu à éviter de s’engager en Afghanistan l’année suivante dans un rôle qui devait d’abord en être un d’appoint, mais qui est devenu de plus en plus offensif au fil des années, d’abord sous Paul Martin, puis sous Stephen Harper.

Les circonstances de la vie m’ont amené à recevoir chez moi au moment des Fêtes l’an dernier un jeune militaire canadien d’une trentaine d’années, un démineur, qui venait tout juste de quitter l’armée après avoir combattu en Afghanistan. Sa relation des événements qu’il avait vécus ne laissait aucun doute sur le rôle offensif des troupes canadiennes dans ce pays.

Et au cours des dernières semaines, le gouvernement Harper a pris la décision de se joindre à la coalition dirigée par les États-Unis contre les djihadistes de l’État Islamique qui sont en train de prendre le contrôle de l’Irak. Du coup, le Canada s’est retrouvé menacé de représailles.

La semaine dernière, les Canadiens ont pris conscience avec horreur, à l’occasion d’attentats qui ont fait deux morts et plusieurs blessés, d’abord dans le stationnement d’un petit centre commercial de province, puis au coeur même de la plus haute institution politique du pays, que faire la guerre avait un prix, et qu’ils allaient le payer de leur sang et de leurs larmes.

Jamais personne ne les avait prévenus. À peine se sentaient-ils concernés. Cette guerre-là ne se déroule-t-elle pas à des milliers de kilomètres de chez eux dans des contrées barbares en retard de plusieurs siècles sur l’histoire ? La voilà qui fait tout à coup irruption au coin de la rue, au Parlement, et qui touche des voisins, des amis, des connaissances. La réalité très abstraite prend soudain un tour très concret.

On peut débattre sans fin de l’opportunité pour le Canada de s’être lancé dans ses projets guerriers, mais là n’est pas mon propos. D’autres l’ont fait avant moi, et ma contribution n’ajouterait rien à ce qui a déjà été dit.

Il y a cependant un aspect qui n’a pas été touché, c’est la responsabilité des trois premiers ministres qui nous ont précipité dans ce conflit contre les extrémistes religieux du monde musulman sans nous demander notre avis, ni le leur d’ailleurs, et l’incurie dont ils ont fait preuve en ne veillant pas à ce que soient mises en place les mesures de prévention, de protection et d’atténuation nécessaires pour tenir le plus possible les Canadiens et le pays à l’abri des conséquences possibles de leur action militaire.

Tout dirigeant qui prend une décision a en effet l’obligation d’en évaluer les conséquences de façon à pouvoir identifier les risques et prendre les mesures qui s’imposent pour les neutraliser, ou à tout le moins les minimiser.

Cette notion qui relève pourtant du sens commun le plus élémentaire était si mal comprise par les gestionnaires du public et du privé que, dans les années 1960, aux États-Unis, Charles Kepner et Benjamin Tregoe, deux spécialistes de la Rand Corporation, une entreprise sans but lucratif dont la mission est de développer des solutions qui répondent aux défis posés par la mise en oeuvre des politiques publiques, formalisent les processus de la résolution de problèmes, de la prise de décision et de l’analyse de risque, pour le bénéfice de leurs commanditaires et de leurs clients du secteur de la défense, où ils revêtent l’importance la plus cruciale.

Ces processus se sont rapidement imposés dans les ministères et les grandes entreprises des États-Unis avant de se répandre dans le monde entier, et ils sont désormais si universellement reconnus et utilisés qu’ils ont même été intégrés dans le système international des normes ISO. Les fonctionnaires canadiens du Conseil privé - le ministère du premier ministre fédéral, l’équivalent du Conseil exécutif à Québec - et des ministères des Affaires extérieures et de la Défense, les connaissent bien et les utilisent couramment pour préparer leurs recommandations.

Ils ont donc informé les premiers ministres Chrétien, Martin et Harper des risques associés aux interventions militaires du Canada en Afghanistan et en Irak et leur ont fait part, entre autres, du risque de représailles terroristes au Canada même contre des personnes et des infrastructures, et contre des ressortissants et/ou des intérêts canadiens à l’étranger.

À en juger par l’absence de mesures de prévention, de protection ou d’atténuation mises en place, il faut en conclure que les premiers ministres ne les ont pas pris au sérieux ou ont qu’ils ont consciemment décider de les ignorer.

Pourtant, le Canada, en raison de l’immensité de son territoire, de sa faible densité de population dans de nombreuses régions, et de l’envergure de ses infrastructures (installations portuaires et aéroportuaires, voie maritime du Saint-Laurent, ponts, réseaux de communications, réseaux ferroviaires, routiers, et électriques, pipe-lines, barrages, viaducs et tunnels, raffineries, complexes pétrochimiques, tours de transmission, centrales nucléaires, mines, édifices publics, tours à bureaux, etc.), est très vulnérable et sans aucune protection digne de ce nom.

Est-il donc responsable de se lancer en guerre lorsqu’on est incapable d’assurer correctement la protection de sa population et de ses infrastructures en cas de représailles terroristes ? Lorsqu’on est incapable d’affirmer avec une certitude absolue que la catastrophe survenue à Lac-Mégantic en juillet 2013 n’était pas le résultat d’un attentat ? Trois quatre lascars mal intentionnés et même pas armés auraient suffi.

Lorsque tout pétrolier naviguant sur le Saint-Laurent est à la merci d’une attaque lancée par une embarcation de plaisance bourrée d’explosifs comme celle qui a fait sauter un navire de guerre de l’US Navy, le USS Cole, à Aden dans les eaux du Golfe Persique en octobre 2000 ?

La réponse est évidente. Non seulement c’est totalement irresponsable, c’est même témoigner d’une « insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui » comme le précise le Code criminel canadien à l’article 219.

En effet,

219. (1) Est coupable de négligence criminelle quiconque :
o a) soit en faisant quelque chose;
o b) soit en omettant de faire quelque chose qu’il est de son devoir d’accomplir,
montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui.
• Définition de « devoir »
(2) Pour l’application du présent article, « devoir » désigne une obligation imposée par la loi.
• S.R., ch. C-34, art. 202.

L’article suivant précise la peine imposable

220. Quiconque, par négligence criminelle, cause la mort d’une autre personne est coupable d’un acte criminel passible :
• a) s’il y a usage d’une arme à feu lors de la perpétration de l’infraction, de l’emprisonnement à perpétuité, la peine minimale étant de quatre ans;
• b) dans les autres cas, de l’emprisonnement à perpétuité.
• L.R. (1985), ch. C-46, art. 220;
• 1995, ch. 39, art. 141.

La semaine dernière, lorsque sont survenus les attentats qui ont coûté la vie à deux militaires, personne au Canada, ni dans la classe politique ni dans la classe journalistique, n’a soulevé de questions sur la responsabilité de nos trois derniers premiers ministres fédéraux dans ces tristes événements. Personne n’a évoqué la longue liste de nos vulnérabilités stratégiques. Personne ne s’est interrogé sur les morts à venir. Cette inconscience garantit à elle seule qu’il y en aura beaucoup d’autres.

On s’est par contre beaucoup inquiété du sort de nos droits individuels et de nos libertés civiles. Quel étrange sens des priorités ! Que nous est-il arrivé pour que les libertés formelles prennent dans nos esprits et nos coeurs le pas sur le droit de vivre ?


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé